Voilà un homme que Jésus proclame être le « plus grand des enfants des hommes », et qui met cependant tout son soin à s’effacer devant son cousin, en lequel il a reconnu le Messie promis à Israël ! Voilà le plus rigoureux ascète du Nouveau Testament, qui se nourrit de sauterelles et de miel sauvage au désert, et qui est pourtant le prophète de la joie spirituelle ! Quel est son secret ?
Une joie née d’une rencontre
La première cause de la joie de Jean-Baptiste n’est pas une bonne prédisposition psychologique, mais une personne : Jésus-Christ. C’est en entendant la salutation de la Vierge Marie, venue aider sa cousine dans les derniers mois de sa grossesse, à sa mère Élisabeth, que Jean-Baptiste a « tressailli d’allégresse » dans le sein maternel, selon les propres termes d’Élisabeth (Lc 1, 44).
À cet instant, celui qui deviendra le plus grand des prophètes comprend qu’en la personne de Marie, la venue des temps messianiques est arrivé, et que l’enfant qu’elle porte en elle est le Sauveur ! Jésus, en plus de sanctifier son cousin dans le sein de sa mère, lui donne de surcroît accès à cette joie que tous les croyants devraient éprouver à la pensée de l’accomplissement des promesses divines.
L’expérience de Jean-Baptiste nous enseigne que la joie résulte d’une rencontre personnelle avec Jésus. Elle n’est pas le fruit d’un stage de remise en forme spirituelle en vue de libérer en nous « des ondes positives » ou des « pensées optimistes ». En régime chrétien, la joie découle d’une relation personnelle avec le Ressuscité, non de techniques ou d’une autosuggestion.
La joie de laisser à Jésus la première place
La seconde cause de la joie de Jean-Baptiste tient à son désintéressement. Bien qu’il soit le plus grand des prophètes, ou plutôt pour cette raison, Jean-Baptiste se donne totalement à sa mission. Il sait, de par sa consécration dès le sein maternel (Lc 1, 15), qu’il verra le Messie, et qu’il devra le désigner aux fils d’Israël. Soudain, au bord du Jourdain, alors qu’il a trente ans, il le reconnaît : c’est Jésus ! Il dit alors à ses disciples :
« Voici l’Agneau de Dieu » (Jn 1, 35).
Sur le champ, ces derniers le quittent pour le charpentier de Nazareth. Et Jean n’en fait pas une crise de jalousie ! Au contraire, il sait que dans cette désignation fondamentale réside la mission que Dieu lui a confiée. Quelle abnégation de sa part ! Quelle promptitude à donner à Dieu la première place ! Saint Jean est bien le patron des missionnaires désintéressés.
Mais surtout, il nous apprend que cette abnégation, ce souci de laisser à Jésus la première place, est source de joie et de jubilation. Car le fils d’Élisabeth est parfaitement conscient de la véritable cause de sa joie. Il n’est pas comme nous, qui ne prenons souvent conscience qu’après-coup que notre joie était due à la présence de Dieu, et qui disons comme Jacob : « Dieu était là et je ne le savais pas ! » (Gn 28, 16). Jean, lui, a détecté la source de son allégresse :
« Qui a l’épouse est l’époux ; mais l’ami de l’époux qui se tient près de lui et qui l’entend, est ravi de joie à la voix de l’époux. Voilà ma joie ; elle est maintenant parfaite. Il faut que lui grandisse et que moi, je décroisse » (Jn 3, 29-30).
Jean-Baptiste, l’ami de l’époux (Jésus) — à l’époque, l’ami du futur marié était chargé de lui amener rituellement sa fiancée le jour des noces — trouve son bonheur à lui présenter son épouse, à savoir l’Église, représentée dans les deux premiers disciples du Christ (Jn 1, 37). De plus, le fait de laisser toute la place au Messie, de s’effacer devant lui, et de décroître ainsi lui-même, met le comble à l’allégresse de Jean-Baptiste ! Quelle leçon pour nous, qui ne voyons de satisfaction que dans la mise en avant de nos ego, qui ne jurons que par la réussite mondaine, clinquante autant que passagère !
Le mystère de Jean-Baptiste
Un mystère n’est pas une chose obscure et ésotérique, mais une grâce de Dieu qui se prolonge tout le temps de l’Église. Celui de Jean-Baptiste consiste à procurer la joie à ceux qui annoncent Jésus-Christ, qui préparent sa venue dans les âmes et les cœurs, comme lui-même le fit à l’orée de sa vie publique en désignant, aux foules qui l’écoutaient, le Nazaréen comme Celui que tous les siècles avaient attendu.
La grâce johannique nous enseigne également que la vraie joie consiste à laisser toute la place en nous à Jésus, qui est la vraie source de l’allégresse. À l’instar de la Vierge Marie, exultant parce qu’avec l’enfant qu’elle porte sont venus les temps messianiques, Jean-Baptiste, l’ami de l’époux, sait que personne ne pourra lui enlever sa joie parce qu’elle s’identifie à la Personne du Fils bien-aimé du Père. Joie messianique qui résulte de la venue du temps promis par Dieu pour relever les pauvres, faire entendre les sourds, bondir les boiteux, voir les aveugles. Joie surnaturelle qui nous fait vivre avec Dieu et de Dieu, en laissant derrière nous les préoccupations de notre petit moi, décidément bien disproportionné à l’échelle de ce que nous pouvons apporter à notre prochain quand on possède les trésors de la foi !
Tel est le secret de l’ascèse johannique, qui n’est pas au service d’une performance religieuse, mais qui constitue la condition, ainsi que le prolongement, d’une rencontre fructueuse et amoureuse avec le Ressuscité.