En 2014, une étonnante découverte a lieu dans un grenier toulousain. Une toile de 144 x 173 cm, très abimée est retrouvée après avoir été oubliée depuis plus de 100 ans ! Le sujet ? Une scène biblique bien connue, celle de la décapitation du général Holopherne des mains de Judith, une évocation sanglante d’un réalisme cru qui fait tout de suite penser à l’art du peintre Michelangelo Merisi dit le Caravage (1571-1610). Après une longue restauration, l’œuvre est exposée ce vendredi 14 juin à l’hôtel des ventes de Drouot à Paris, avant sa vente à Toulouse le 27 juin par la maison Marc Labarbe avec le cabinet d’expertise Turquin.
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Une attribution controversée. Une toile datée de 1607 retrouvée dans un grenier toulousain et représentant une scène biblique bien connue, celle de la décapitation du général Holopherne des mains de Judith, et attribué au Carvage fait débat parmi les historiens de l’art et les spécialistes de l’artiste. Le Caravage n’a en effet légué à la postérité que 68 œuvres dont seules 5 sont en mains privées.
Le cabinet d’expertise Turquin souligne l’attribution non équivoque de cette œuvre mise à prix dans la salle de la Halle aux grains de Toulouse à 30 millions d’euros par la maison de ventes Marc Labarbe pour une estimation de 100 à 150 millions d’euros. Les enjeux sont bien sûr importants. Pour Éric Turquin, grand expert français des maîtres anciens, Caravage livre avec ce tableau une œuvre de maturité, et cela change tout ! : « Le peintre a en effet depuis changé de vie après la mort de cet ami avec lequel il a eu une rixe, ce qui l’a conduit à fuir Rome et la Contre-Réforme dont il se trouve alors coupé. Cela va lui permettre de développer un style plus personnel, un Caravage tardif de Naples et de Malte qui selon moi est le plus beau ». Il s’agit là d’une peinture plus tragique, plus sombre, contrastée et exacerbée.
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Les partisans de l’attribution au Caravage font valoir une similitude de pigments et de techniques dans une évolution d’un immense peintre que l’on ne saurait enfermer dans des cadres rigides souligne encore Éric Turquin. D’autres spécialistes ne voient là, en revanche, que l’œuvre d’un contemporain du grand maître italien, celle du peintre flamand Louis Finson, qui a souvent copié les tableaux de Caravage. Mais Éric Turquin rejette cet argument : « Comment ne pas être sensible à la beauté du visage de Judith ? ». Par-delà ces controverses d’experts, il demeure que l’État français – pour des raisons strictement financières rappelle Éric Turquin – a finalement renoncé à préempter et à en devenir propriétaire, laissant ainsi la porte ouverte à une vente aux enchères publiques.
Un thème déjà traité par Le Caravage
Le Caravage a toujours été attiré par le thème de la violence, violence qui l’habitait en permanence et qui lui valut une vie tumultueuse faite de rixes et de morts, jusqu’à sa disparition tragique à l’âge de 38 ans. Aussi n’est-il pas étonnant qu’il se soit saisi de l’histoire de Judith de l’Ancien Testament. Ce récit tragique se déroule à l’époque de Nabuchodonosor II (605 av. J.-C. – 562 av. J.-C.) dont l’un des généraux a soumis la ville de Béthulie. Sous la férule du vainqueur, le peuple juif est prêt à capituler. Seule une femme du nom de Judith osera dire « Non !» à l’ennemi et décapitera le général Holopherne après l’avoir enivré. La réussite d’une femme face à la toute-puissance ennemie n’a cessé d’inspirer les artistes et Le Caravage y a puisé toute la fougue de son inspiration. Car, la toile aujourd’hui mise en vente présentée comme de Caravage n’est pas, en effet, la seule représentation sur le thème de Judith connue du maître.
Le peintre est connu pour avoir revisité ses toiles, probablement sur commande. Un premier tableau, le plus célèbre que nous lui connaissons jusqu’à présent sur ce thème se trouve actuellement à Rome au palazzo Barberini. Aussi, n’est-il pas inopportun de tenter un rapprochement entre ces deux toiles, une comparaison à laquelle encourage le grand expert Éric Turpin qui souligne combien celle-ci est loin d’être défavorable au tableau mis en vente.
Les deux représentations de Judith
Celle de Rome est d’une étonnante puissance narrative servie par le fameux clair-obscur si célèbre du maître ; Intitulée « Judith décapitant Holopherne », datée de 1598-1599, celle-ci surprend toujours. La scène réaliste et crue joue, en effet, des contrastes entre l’horreur du visage contracté par la douleur du général et la distance opposée par Judith dont la face impassible laisse juste percevoir un froncement de sourcils, l’émotion véritable étant reléguée au visage vengeur de la vieille servante qui l’accompagne, le linge dans les mains prêt à recueillir la tête sanglante…
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L’action de Judith en dépassant le caractère éminemment horrifique de son geste s’inscrit en une dimension transcendante, la jeune femme n’assouvissant pas une vengeance personnelle mais bien la volonté divine. La scène est d’autant plus surprenante que le récit biblique rappelle auparavant la séduction mise en œuvre par le même personnage qui partagea le lit de son ennemi, instaurant ainsi des liens inextricables entre désir, sexualité, peur et mort.
Cette violence ambiguë est sensiblement différente dans le tableau mis en vente pour lequel le peintre a développé une méthode nouvelle de maturité beaucoup plus incisive et rapide aux contrastes plus forts souligne Éric Turquin. Judith ne regarde plus le général qu’elle décapite mais tourne son visage vers le spectateur alors que la servante Abra la regarde à son tour. Le personnage biblique ne prend plus ses distances avec le corps supplicié mais au contraire s’en rapproche, le bras n’étant plus tendu mais fléchi. Pour Éric Turquin « cette toile correspondrait au deuxième coup porté par Judith tel que le précise la Bible ». Un sentiment de conspiration domine ici à la différence du tableau romain d’autant plus que Judith n’a pas mis ses plus beaux atours comme l’indique la Bible mais a gardé sa robe noire de deuil. « Le Caravage est fasciné par le texte biblique surtout dans ses dernières années », souligne encore Éric Turquin.
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Reste que les deux œuvres ont en commun de réunir dans cet acte sanglant les protagonistes sous un drapé d’un rouge profond dont les plissés tourmentés soulignent la complexité de la destinée de chacun de ces personnages. Éric Turquin relève l’exacerbation de ce rouge dans cette œuvre de maturité. N’est-ce pas d’ailleurs ce même rouge sombre dont le peintre usera encore pour signer la toile de sa fameuse Décollation de saint Jean-Baptiste à Malte, un rouge sang qui préfigure peut-être sa propre mort prématurée dans une ultime fuite.