Élisabeth Beton Delègue, nouvelle ambassadrice de France près le Saint-Siège, a présenté ses lettres de créances au pape François le 7 juin 2019. Interrogée par I.MEDIA en marge de la rencontre avec le pontife, la diplomate a estimé qu’en matière de multilatéralisme, la France adoptait une approche similaire à celle du Saint-Siège, en cherchant à mobiliser un maximum d’acteurs.
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I.Media : Comment peut-on qualifier les rapports entre le Saint-Siège et la France ?
Élisabeth Beton Delègue : Ils ont toujours été étroits, en tout cas, ils n’ont jamais été placés sous le signe d’un désintérêt réciproque. Certes dans le passé, les lois relatives à la laïcité ont été perçues comme de l’anticléricalisme — pas forcément à tort — mais il faut désormais regarder le présent sans se référer sans arrêt à une autre époque. La laïcité est aujourd’hui la clef d’une coexistence harmonieuse dans un pays de plus en plus multiculturel. Nous ne sommes plus du tout dans une société marquée par un catholicisme dominant.
Depuis votre arrivée à Rome il y a un mois, quels points de convergences possibles avec le pape François avez-vous identifiés ?
J’évoquerais en premier lieu l’attachement au multilatéralisme, aujourd’hui menacé. La France est traditionnellement un pays mettant à disposition ses instruments de puissance au service du multilatéralisme. Dans cette optique, la France adopte une approche similaire à celle du Saint-Siège, en cherchant à mobiliser un éventail large et éclectique d’acteurs promouvant le multilatéralisme, les échanges et la paix. Les États ne sont en effet plus les seuls acteurs sur la scène internationale, ils ont donc besoin de ce genre de mouvements positifs. La démocratie n’est plus donnée comme un dogme absolu, tout comme les droits de l’Homme, le tout dans un monde non-stabilisé. On observe que le monde devient apolaire. Par conséquent, quand le Pape parle de périphérie, on peut se demander où se trouve désormais le centre.
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La lutte contre les abus sexuels représente également un sujet de convergence, dans la mesure où l’Église en France apparaît particulièrement en avance, comme l’a démontré la mise en place de la Commission indépendante française sur les abus sexuels dans l’Église (CIASE). De son côté, la France, par le biais du Sénat, a rendu son rapport rappelant que ce phénomène était loin de se limiter à l’Église mais qu’il concernait en premier lieu la famille. On trouve là des approches audacieuses à l’instar de celle du pape François avec le sommet de février, mais aussi avec son récent motu proprio Vos estis lux mundi (2019).
Quels outils à votre disposition comptez-vous utiliser pour assurer le succès de votre mission ?
Je veux contribuer à faire de la présence française à Rome une maison ouverte à tous, aux cultures, aux débats. Concernant la francophonie, nous sommes appelés à nous investir plus énergiquement. Cela a déjà démarré : nous avons répondu favorablement à une demande d’apprentissage du français à la Secrétairerie d’État au Vatican. Cela a vocation à se développer dans la mesure où le Saint-Siège compte de plus en plus faire appel à des prélats africains francophones notamment. Nous avons parallèlement un programme de bourses que nous cherchons à renforcer. L’aide au développement représente un champ intéressant dans lequel je souhaite travailler avec le Dicastère pour le service du développement humain intégral.
Concrètement, quels sont vos chantiers prioritaires ?
Nous allons donc essayer de nourrir ce dialogue autour de l’écologie. De ce point de vue, nous sommes particulièrement intéressés par le prochain synode sur l’Amazonie. La France est concernée puisqu’elle dispose d’un large territoire en Amazonie à travers la Guyane. Nous disposons également d’un capital de savoir important, incarné par l’anthropologie française. L’anthropologie mondiale a changé son cours après le travail de Claude Levi-Strauss et plus actuellement de Phillippe Descola. À ce titre, je me réjouirais de voir certaines figures françaises impliquées dans le synode sur l’Amazonie d’octobre prochain. Nous chercherons à contribuer sur ce thème en utilisant les outils d’influence qui sont les nôtres, la Villa Bonaparte mais aussi le centre culturel Saint-Louis, pour permettre, par exemple, à des chercheurs ainsi qu’à de grands acteurs engagés sur le terrain d’échanger. L’Amazonie représente un sujet très intéressant dans la mesure où il englobe à la fois les questions écologiques ainsi que celles des Droits de l’homme. Un aspect crucial pour la France comme pour le Saint-Siège.
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Je souhaite encore travailler sur la question de la place de la femme. Il y a une extraordinaire “force de frappe” dans l’Église incarnée par certaines religieuses. Je voudrais enfin travailler avec l’Amérique latine à laquelle je suis particulièrement attachée, ayant travaillé notamment au Chili et au Mexique.
Vous qui connaissez l’Amérique latine, reconnaissez-vous dans le pape François une mentalité propre à ce continent ?
Oui, on l’observe en premier lieu dans cette recherche du contact qui lui est caractéristique, mais aussi dans cette façon de rebondir sur toutes les difficultés. C’est ce qui est formidable en Amérique du Sud ; on observe globalement un esprit positif qui pousse à aller de l’avant, partant du principe que demain sera forcément meilleur. Il semble également que le Pape saisisse les mutations du monde à travers le prisme sud-américain : quand on vit dans ce continent, on est loin des mutations du monde. La vision de l’immigration en Amérique du Sud est d’autre part spécifique dans la mesure où le continent n’est pas confronté à l’islam radical. Mais ils subissent d’autres pressions, comme celle des narcotrafiquants. Dans ce contexte parfois difficile, ils ont su développer une véritable solidarité très organisée. Quand vous êtes en Amérique latine, le degré d’inégalité est aussi bien plus choquant et brutal qu’en Europe. C’est pourquoi, dans son discours sur la mondialisation par exemple, le pape François met l’accent sur une réalité qui n’est pas toujours européenne.
Quels sujets peuvent faire l’objet de désaccords avec le Saint-Siège ?
On peut citer en premier lieu la question de l’immigration. La vision du pontife argentin met l’accent sur l’accueil dans un monde globalisé conformément aux préceptes de l’Évangile. Il est évident qu’un État doit pour sa part faire l’équilibre entre des considérations morales et politiques, sa capacité à intégrer, tout en collaborant aux politiques communes au sein de l’Union européenne. Il faut encore distinguer migrations régulières et irrégulières. Le successeur de Pierre, lui, ne fait pas de distinction. La politique française est toutefois favorable au maintien du droit d’asile. Elle reste ferme vis-à-vis de l’immigration irrégulière notamment parce qu’elle est entretenue par des réseaux de passeurs. S’il fait souvent des rappels à l’ordre aux États, le Pape s’avère particulièrement influent auprès des citoyens qui partagent souvent ses positions d’ouverture, comme le révèle de récents sondages.
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Par ailleurs, nous n’avons pas ratifié le traité de désarmement nucléaire mais préférons-nous en tenir au traité de non-prolifération. Nous sommes toutefois dans une discussion continue avec le Saint-Siège sur ces questions.