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Le philosophe espiègle Michel Serres s’en va en Dieu

Michel Serres.

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Louise Alméras - publié le 07/06/19
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Décédé le 1er juin dernier à 88 ans, cet ancien élève de l’École Navale, devenu normalien par la suite, incarnait l’enthousiasme français à lui seul. Partir en guerre n’aura pas été sa dynamique de vie, si ce n’est celle qu’il a menée contre la tristesse et l’ignorance. Son enterrement aura lieu samedi 8 juin à Agen, son lieu de naissance.

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Michel Serres est connu pour sa pensée complexe et son savoir vivre en manière de transmission. C’est-à-dire qu’il n’ennuyait jamais, ni ses élèves ni ses proches, donnant tort à la muséification des êtres admis à l’Académie française. C’est avec une vive émotion que le monde des lettres et toute la France a salué la disparition, le 1er juin 2019, de ce doyen garant des noblesses de la langue.

L’espièglerie, la meilleure façon de passer du sacré au spirituel ?

Toujours entré par la grande porte, arrivé deuxième à l’agrégation de philosophie, son message demeure celui d’un homme humble et dédaignant le vice du pouvoir et de l’argent. Il n’hésite d’ailleurs pas à lancer sur un plateau télé en 2012, au sujet du bonus de 16 millions du patron de Publicis : « Je suis pauvre et suis fier de l’être. Je trouve que la pauvreté est une vertu et que la richesse [extrême] est un parangon de tous les vices ». Ancien scout de France et père du délégué général des Petits Frères des pauvres, il n’avait heureusement pas peur d’exprimer sa pensée.

https://www.youtube.com/watch?v=45GbNswPYyc&feature=youtu.be

Ami de René Girard, son collègue à Stanford, il avait pu toucher le sacré ou du moins l’aborder et le comprendre auprès d’un de ses plus grands penseurs. C’est sans doute cette lucidité vis-à-vis du sacrifice et des violences du  présent qui lui permit de rester au-dessus de la mêlée et de veiller à être un éclaireur du temps. Mais la spiritualité, bien distincte du sacré, ne lui était pas non plus étrangère.

« Dieu est notre pudeur »

Lors des obsèques de son ami Pierre Gardeil, philosophe et chrétien, son allocution émue avait été l’occasion d’un acte de foi. Cet hommage nous en apprend beaucoup sur celui qui, à son tour, vient de nous quitter, après qu’il ait rappelé toute leur histoire partagée avec la France. En voici quelques extraits :

Pierre, nous voilà enfin plongés dans le silence désormais désertique d’une société jadis travaillée, transcendée de sainteté. (…) Mon amarre, à partir de ce jour, je voudrais la crocher au lieu où tu reposes. Prie pour moi, Pierre, prie pour nous le Dieu de notre enfance qui t’enchante maintenant de Sa présence, pour qu’Il éclaire, par ton intercession glorieuse, mon savoir médiocre et mes essais petits ; supplie-Le pour qu’Il protège de son aile ma faiblesse et mon indignité désespérée. Adishatz, Pierre, adieu, comme on dit ici, sans y penser. À Dieu.


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Et lors de sa réception à l’Académie française, succédant au fauteuil d’Edgar Faure, le 31 janvier 1991, il accordait ses derniers mots à l’adresse de Dieu. Une manière d’interroger, de manière assez poétique, Sa place et Son identité sans doute, alors qu’il voulait évoquer sans détours la foi de son prédécesseur. « Dieu est notre pudeur : la vergogne de notre force derrière nos fragilités, ou, à l’inverse, de nos faiblesses derrière nos explosions de puissance, la pudeur de notre intelligence inattendue sous nos manques prévisibles, ou de nos ignorances en-dessous de nos raisons », déclarait-il face à ceux que l’on nomme immortels. « Il est la somme de nos vergognes, l’intégrale des pudeurs, caché, non plus par la bombe et le tonnerre, mais sous le sourire intérieur et l’éclat mystérieux des yeux, plus intime et infime que nos timidités. »

Accordons lui peut-être, à l’approche de la célébration de sa fin de vie à Agen, d’être un enseignant immortel, caché maintenant pour toujours, en méditant ces mots de philosophe et d’écrivain convaincus.

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