Audrey Sauvajon a vu sa vie basculer le 11 novembre 2016 lorsque Marin, son fils de 20 ans, a été violemment agressé pour avoir pris la défense d’un couple qui s’embrassait à Lyon. Si cet acte de bravoure a bouleversé la France, cette maman “lionne” a dû faire face à un combat difficile pour sauver son fils, le faire rééduquer et sortir par le haut de ce drame qui a fait voler en éclat sa vie passée. Elle se confie à Aleteia sur l’état de Marin, sur ses nombreux combats et ses nouveaux projets.
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Il y a des rencontres qui vous marquent plus que d’autres. Audrey Sauvajon en fait partie. Quand cette jolie femme de seulement 41 ans vous regarde, c’est toute sa détermination et sa force qui apparaissent dans son regard, parfois traversé d’un voile de souffrance. Il faut dire que ces trois dernières années ont été particulièrement difficiles et ont chamboulé sa vie et celle de sa famille. Si l’acte courageux de Marin a bouleversé tous les français, on comprend en rencontrant sa maman, de qui le jeune homme tient sa force et son éducation.
Aleteia : Pouvez-vous nous dire comment va Marin ?
Audrey Sauvajon : Il va du mieux qu’il peut. Il est rentré définitivement de Suisse en avril dernier, et depuis le 5 octobre, il a intégré un centre d’accueil de jour. Il poursuit son agenda de ministre car chaque soir, il faut organiser les conduites et les rendez-vous chez différents spécialistes (kiné, ostéo, psychologue…). Marin a besoin sans cesse d’être stimulé pour retrouver le plus de capacités possibles. Néanmoins, il fatigue toujours très vite et a besoin de beaucoup de repos. Entre avril et octobre, je l’emmenais avec moi dans les locaux de notre association pour le stimuler et je me revois encore travailler l’après-midi dans le noir pour le laisser dormir une heure !
Et vous, comment allez-vous ?
Depuis deux ans et demi, notre vie est en dents de scie, on a tout traversé. Heureusement je suis bien suivie, tout comme mon mari Nicolas et nos deux petites filles de 6 et 7 ans. Nous avons pris conscience du choc post-traumatique qui nous a mis dans un état de sidération, une douleur impossible à évacuer. C’est pourquoi nous sommes tous suivis par un psychologue, mais chacun le sien. Et puis, après deux ans d’absence, je viens de reprendre mon travail, c’était le même jour que l’entrée de Marin dans son centre d’accueil. Nous avons tous les deux pris nos marques et je suis contente de retravailler même si mes journées n’en sont que plus longues car l’association me demande beaucoup de temps.
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Comment avez-vous pu tenir pendant ces semaines où Marin était entre la vie et la mort ?
Comment on tient ? À l’espoir et à l’instinct au départ. Et puis très vite, grâce à mes sœurs qui ont ouvert une page Facebook, on tient aussi grâce à tous les messages de soutien en se disant “si ces gens y croient, pourquoi pas moi ?”. J’ai vraiment tenu grâce à eux tous, je tiens à les remercier. Moi qui au départ avais une mauvaise image des réseaux sociaux, je peux témoigner des magnifiques choses qui s’y passent. Toute cette affection reçue est devenue notre moteur. Je me souviens que dans les moments les plus durs, chaque matin, j’allumais d’abord mon téléphone pour regarder les messages et j’y trouvais une de ces forces !
Pourquoi avoir écrit ce livre témoignage ?
Je ne voulais pas faire un livre au départ, mais Marin et ma maison d’édition ont su trouver les mots pour me motiver, et finalement j’y ai trouvé une grande aide. Il a fallu revivre toutes ces émotions, tous nos combats et cela m’a libérée. Et puis je voulais aussi que les gens comprennent nos nouveaux engagements, notamment la reconnaissance des chocs post-traumatiques et l’aide que nous souhaitons apporter aujourd’hui aux victimes de traumatismes cranio-cérébral. En reprenant chronologiquement ces deux dernières années, j’ai aussi vu le chemin parcouru… J’ai eu Marin à 18 ans, il a toujours été mon moteur en me donnant l’envie de me dépasser, tout en gardant la tête haute, d’où le titre.
Comment rebondir après un tel drame si injuste ?
On se demande longtemps pourquoi nous… Et puis on avance et on arrive finalement à se dire: pourquoi pas nous ? Qu’est-ce que je peux faire de ça ? Finalement, cela a décuplé ma force et mes idées. Cette agression n’a aucun sens, mais on va lui donner du sens en donnant du sens à nos vies. Faire quelque chose de bien et d’utile. Transformer le moche en beau, car si l’agresseur a pris une partie de la vie de Marin, il n’a pas gagné.
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Marin a reçu récemment la légion d’honneur des mains du Président de la République, pouvez-vous nous raconter ?
Nous en avons été très émus. Le Président a fait un discours très beau. Mais pour être honnête, tout cela a été très vite, dans le bruit, les flash, la foule … Je préfère vous raconter notre rencontre avec le Pape en avril 2018 ! Ce fut une émotion si forte. Même si c’est assez exceptionnel de le rencontrer ainsi de manière privée, en lui parlant tout paraît simple et évident. C’est un homme d’une grande profondeur, qui prend le temps, qui vous écoute et vous regarde. Par exemple, très vite il a senti que la présence du photographe officiel déstabilisait Marin, alors il l’a fait sortir. Le Pape dégage amour et bienveillance, c’était à la fois vertigineux et si simple. Cette rencontre a renforcé la foi de Marin qui prie beaucoup. Quand il passe au bloc avec son neurochirurgien syrien, ils prient ensemble avant l’opération, même s’ils n’ont pas le même Dieu.
Et vous, quelle est votre relation à Dieu ?
Je suis catholique mais j’avoue avoir mal parlé à Dieu après le drame. J’étais si révoltée. Marin a passé deux semaines dans le coma puis six semaines en réanimation, nous avons dû aller lui dire adieu… À chaque sonnerie de téléphone, j’attendais l’annonce fatidique. Bref, c’est une relation compliquée. Marin avance plus vite que moi, il a une vraie grandeur d’âme. De mon côté, j’ai encore du mal à pardonner à l’agresseur. Le procès a été un moment très difficile. Si l’agresseur a reconnu avoir brisé la vie de mon fils, il ne s’est pas excusé et s’est même rebellé au moment du verdict, c’est dur à vivre. Difficile aussi de découvrir que le couple agressé avait une cinquantaine d’année et que l’homme était un gendarme à la retraite qui est parti au lieu d’intervenir pour défendre Marin…
Parlez-nous de votre association ?
L’association “La tête haute, je soutiens Marin” a permis au départ de financer tous ses soins de santé. Et puis nous avons décidé d’élargir notre action pour venir en aide aux personnes victimes d’un traumatisme cranio-cérébral ainsi qu’à leurs proches. L’association compte à présent une salariée à temps plein et une quinzaine de bénévoles et constitue vraiment notre deuxième famille. Il y a eu un tel élan de générosité ! Nous avons gardé tous les courriers, lettres, dessins, cadeaux que nous avons reçus par centaines. Certains parents nous ont même écrit pour dire que leur fils s’appelait Marin en espérant qu’il devienne aussi courageux que le nôtre.
Pouvez-vous nous parler de vos projets ?
Ils sont nombreux. La Région Auvergne-Rhône-Alpes vient de lancer le prix Marin qui récompensera chaque année un héros du quotidien. Nous allons également participer aux assises des accidents de la vie qui sont la grande cause régionale 2019. Et puis il y a la diffusion du kit CAP Tête haute qui me tient particulièrement à cœur. Pendant le coma cérébral de Marin, je sentais qu’il fallait le stimuler, mais comment faire ? J’ai beaucoup lu et un peu improvisé en lui mettant de la musique, des photos, du parfum… D’où l’idée de ce kit, où l’on trouve une huile de massage à l’arnica, un godet à odeurs, un testeur de parfum, de la pâte à modeler et un livret écrit avec des neurochirurgiens qui expliquent l’importance de la stimulation. Je souhaite que ce kit soit le plus largement distribué dans les hôpitaux, aux familles qui se trouvent dans des situations d’urgence et ne savent pas quoi faire. Être utile aux autres, quel réconfort ! En fait, ce drame m’a réveillée, tant de choses sont possibles.