Journaliste, auteur et lanceuse de mille projets, Natalia Trouiller publie un manifeste aux éditions Première Partie dans lequel elle dresse avec gouaille et humour un constat très franc sur le rôle des chrétiens d’aujourd’hui, embourbés dans “la gnose”. Elle y propose des solutions concrètes pour remettre les paroisses au cœur de la société, elles qui sont par essence lieu d’accueil pour les corps, les esprits et les âmes.
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Heureux êtes-vous si vous ne connaissez pas encore Natalia Trouiller car vous allez pouvoir découvrir ses messages hilarants sur sa page Facebook, notamment les échanges avec Clothilde, son éditrice “martyre”, lors du travail de relecture de son dernier livre. Sortir, manifeste à l’usage des derniers premiers chrétiens, aux éditions Première Partie est le quatrième ouvrage de Natalia Trouiller. Pour l’écrire, elle s’est plongée dans les écrits des Pères de l’Église, “qui sont à hurler de rire”, d’après elle, mais également dans son expérience personnelle de femme engagée dans l’Église et dans le monde, réel comme virtuel.
Originaire de Grenoble, Natalia Trouiller vit à Lyon où elle a été journaliste chez RCF puis directrice de la communication du diocèse, avant de voler de ses propres ailes en créant en 2014, l’agence Noé 3.0, nouvel outil pour l’évangélisation sur internet. C’est son mari Benoît, qui gère aujourd’hui l’agence, alors qu’elle a dû prendre un peu de recul “avec l’arrivée de la maladie”, explique-t-elle pudiquement. Ce qui ne l’a pas empêché d’écrire ni de créer un think tank d’anthropologie chrétienne qui propose des conférences sur l’incarnation et l’innovation. Bref, cette maman de trois enfants n’entre pas dans les cases mais elle a souvent une longueur d’avance pour innover au nom de “ma mère l’Église”.
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Ce regard aiguisé, elle le tient de ses nombreuses rencontres, “déformation professionnelle, j’aime parler aux gens”, mais aussi de l’arrivée de la maladie qui l’oblige à côtoyer régulièrement le monde de l’hôpital. Et de cette maladie sur laquelle elle ne souhaite pas s’étendre, ce qui l’a le plus marqué, c’est le changement du regard des autres. Elle l’écrit d’ailleurs dans un très beau message sur son active page Facebook, où elle raconte son chemin pour tenter de pardonner à ceux et celles qui, du jour au lendemain, lui ont tourné le dos en la découvrant plus fragile.
Derrière l’humour se cache une femme intelligente et profonde dont le regard, plein d’humanité, parle aussi de souffrance à travers ce corps qui la lâche. À cause du repos forcé, elle s’est plongée avec délectation dans les écrits des Pères de l’Église. Et voilà son verdict, qu’elle expose lucidement dans son dernier livre : la disparition ou plutôt la détestation des corps dans nos sociétés modernes. Cette haine n’est autre qu’une résurgence de la gnose, la toute première des hérésies chrétiennes. “Pour faire court, la gnose c’est dire que le corps est mauvais et que seule l’âme vaut quelque chose. Et pour être sauvé, il n’y a que la connaissance”. “Cette gnose actuelle, dont est pétri le monde et les chrétiens, “de droite” comme “de gauche”, tout le monde en prend pour son grade, explique beaucoup de situations contemporaines”, reprend-elle. “On aura beau avoir toutes les formations du monde sur la bioéthique et écrire de belles tribunes, si on ne rencontre pas physiquement les gens pour leur proposer des réponses concrètes, on continuera sur ce chemin de la négation du corps !”
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Des exemples dans notre vie courante ? Ils sont légion ! “Regardez le succès et le danger des réseaux sociaux qui permettent d’insulter quelqu’un derrière son écran, ce que, a priori, nous ne ferions pas de visu ! L’écran fait oublier le corps”. Ou encore le développement des techniques de procréation. “Il suffit aujourd’hui de quelques clics pour trouver le sperme adéquat, alors qu’avant, quand même, on devait donner de son corps, voire passer par une expérience plutôt glauque avec un inconnu.” Pas de corps donc pas de réaction, ni de réflexion. “Il n’empêche, en effaçant le corps de notre être et de notre pensée, on se dirige vers un monde toujours plus inhumain”.
Constat sans concession mais de belles intuitions
Dans son livre décapant, les exemples cités par Natalia sont nombreux et font mouche. “Le transhumanisme à venir ? N’est-ce pas la sauvegarde de l’esprit que l’on va numériser, en ignorant superbement le corps et ses limites ?” Un constat sans concession mais réaliste. Néanmoins, habitée de l’espérance de sa Foi, et dotée de belles intuitions, Natalia Trouiller propose des idées concrètes pour redonner au corps toute sa place dans notre société. “Le voilà le rôle des derniers chrétiens que nous sommes, chronologiquement parlant. La religion de l’incarnation, c’est quand même nous !” Corps, âme et esprit, il faut donc tout relier, et quel est le lieu le mieux adapté pour cela ? “Les paroisses bien sûr. Nous devons nous y réincarner, et y remettre les pieds !”
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Et Natalia de mettre en garde : “Pas une paroisse virtuelle, ni celle où l’on préfère les sermons du curé ou la conversation des copains sur le parvis, mais bel et bien sa paroisse de quartier”. Qui dit paroisse dit aussi dispensaire et école, “le triptyque gagnant”. Remettre de la vie et surtout des services adaptés aux maux de notre siècle. Quels sont les enjeux à venir ? De quoi mes frères ont-ils besoin ? Voilà les questions à se poser pour apporter judicieusement des réponses adéquates au cœur des paroisses. Et les initiatives à développer sont nombreuses : visites et soins aux malades (tous ces milliers de bénévoles estivaux à Lourdes, que font-ils pendant l’année ?), prières et veillées mortuaires dans les églises pour dire “à Dieu au corps”, cellule de soutien contre le harcèlement sur les réseaux sociaux… “Il y en a pour tous les goûts et tous les âges, il faut juste se bouger, le temps presse.” Dans un style singulier, elle enfonce le clou : “les cathos d’aujourd’hui préfèrent voir leur enfant trader à Londres que juge aux affaires familiales.” On l’aura compris, pour elle, le danger c’est la désincarnation.
Des premiers retours de lecteurs, elle se dit bouleversée par les échanges et les visites provoquées par ses contacts établis, paradoxalement, via les réseaux sociaux. Il y a donc une ligne de crête à trouver, et pour elle aussi, “apprendre à lâcher les écrans pour être toujours plus dans la rencontre de l’autre”. Son téléphone sonne, sur son fond d’écran, l’ossuaire de Saint Irénée, “mon pote !”. C’est Clothilde, son éditrice qui lui organise une tournée parisienne de dédicaces. “Tu ne peux déjà plus te passer de moi ?”, lui susurre-t-elle hilare.