Si la lecture chrétienne de l’histoire ne voit pas des signes partout, elle croit dans la présence de signes qui se laissent déchiffrer avec leur part de mystère.
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L’incendie récent de la cathédrale Notre-Dame de Paris a suscité une intense émotion. Cette émotion a dépassé de loin les frontières du catholicisme institutionnel et du monde des pratiquants réguliers. Si l’émotion a été aussi intense et générale, c’est parce que, de l’avis unanime et sans même que l’on ait eu à formaliser ce constat, l’événement a eu valeur de signe. Signe de quoi ? Les interprétations sont naturellement nombreuses mais, au fond, elles se ramènent toutes à la conscience d’une double blessure que le feu attaquant Notre-Dame rend en quelque sorte visible et charnelle : d’une part, l’agonie de ce qui fut la chrétienté française, aujourd’hui submergée de toute part, et surtout, peut-être, par la marée montante de l’indifférence, du cynisme et du nihilisme ; d’autre part, la crise actuelle de l’Église de France, analogue en apparence à celle de toutes les institutions dans notre société, mais infiniment plus grave que celle des institutions, car, pourrait-on dire, l’Église tombe de plus haut…
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La vérité indépassable d’une époque
Il n’est pas donné à tous les événements d’avoir valeur de signe. Ce n’est pas nécessairement affaire de gravité intrinsèque ou de caractère spectaculaire. Il est des évènements qui ont entraîné le renversement d’empires et pour lesquels, même avec le recul de quelques décennies ou de quelques siècles, on ne trouve aucune autre signification que l’évènement lui-même et ses conséquences objectives. Il existe au contraire des évènements qui, chétifs en apparence, ont pris, le plus souvent dès l’origine, valeur de signe. Ces événements parlent ; ils parlent d’une vérité qui transcende les circonstances particulières de leur apparition et dont ils sont pourtant l’expression définitive et absolue. Mais quelle est cette vérité ? D’abord, la vérité effective, sérieuse, du moment du temps où ils adviennent. L’histoire des hommes se réalise, et tout particulièrement à notre époque, dans un bruit général que l’on appelle l’actualité où tout se mélange et où l’on s’ingénie du reste à refouler l’essentiel sous l’accessoire de sorte que le significatif s’efface sous l’anecdote. Ceci nous rassure, sans doute, puisqu’ainsi nous parvenons à croire que, dans le flot de supposées informations qui nous submerge à chaque heure, rien de véritablement grave, de décisif, ne se produit jamais. Soudain, pourtant, le rideau du temple se déchire : advient l’événement qui révèle indubitablement ce qui, à ce moment du temps, est effectivement à l’œuvre, la vérité indépassable d’une époque et les enjeux spirituels de l’heure par rapport auxquels chacun d’entre nous est requis de se déterminer.
Appel à la conversion
Car l’événement significatif ne laisse pas indemne. Par rapport à ce qui est manifesté soudain et qu’il n’est plus permis de chasser de l’esprit, il faut choisir. Pour prendre l’exemple de l’incendie de Notre-Dame, la question qu’impose l’évènement est claire : devons-nous continuer, en tant que peuple et en tant qu’individu à suivre le chemin qui nous a menés vers ce tas de ruines spirituelles fumantes ou bien décidons-nous que c’est assez et qu’il est temps de confesser nos fautes, nos scandales, nos trahisons, pour repartir vers un plus beau voyage ? L’événement significatif est ainsi appel immédiat, inconditionnel, à la conversion qui, par exemple, fait prendre clairement conscience du désastre, de ses causes, et oblige à la fois à l’humilité et à la confiance, comme le Samaritain dont nous parle l’Évangile, répétant : Seigneur, aie pitié du pécheur que je suis…
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Une dimension prophétique
Enfin, un tel évènement a naturellement une dimension prophétique. La parole qu’il porte est d’abord prophétique pour le temps présent, comme on l’a vu. Mais elle prophétise aussi pour l’avenir. Naturellement, il ne s’agit pas d’une boule de cristal qui nous indique qui sera président de la République dans dix ans, comment les marchés vont évoluer ou même si nous connaîtrons à nouveau la guerre. La parole prophétique n’a pas pour objet l’exactitude mais le sens. C’est pourquoi, du reste, elle requiert le recul du temps et l’attention de l’esprit pour être pleinement comprise. Pourtant, il n’y a pas à douter qu’elle nous parle de l’avenir et d’abord en nous rappelant qu’il y aura un avenir : c’est le propre des époques désabusées, désespérées de se convaincre qu’il n’y a plus d’avenir possible, plus d’espérance envisageable mais seulement un présent que l’on essaye vaille que vaille de faire durer le plus longtemps possible. À cet égard, la survie finale de Notre-Dame montre que l’espérance n’est pas morte, qu’il y aura un lendemain. Quant au reste, nous ne saurons vraisemblablement pas ce que l’évènement nous dit de notre avenir avant que celui-ci n’ait commencé à se réaliser mais soyons sûrs que c’est bien, aussi, de notre avenir concret dont il nous parle.
Interpréter les signes
À travers cette chaîne solidaire de signes qui traverse, de loin en loin, l’histoire des hommes, se dessine une théologie chrétienne de l’histoire. Il faut certes proscrire l’illuminisme naïf, pour lequel tout est signe et d’ailleurs immédiatement interprétable — toujours, bien sûr, dans le sens qui nous convient et nous rassure. On connaît le proverbe portugais que Claudel a placé en incipit du Soulier de satin : « Dieu écrit droit avec des lignes courbes. » On ne s’improvise pas déchiffreur des signes de la Providence : il y faut, entre autres, attention et prière. Mais cette croyance à la présence des signes distingue la méditation chrétienne sur l’histoire des autres représentations de l’histoire. Pour nous chrétiens, l’histoire n’est pas une histoire de fous racontée par des idiots, un chaos dépourvu de sens ; elle n’est pas davantage le récit d’un progrès continu et raisonnable ou une matière, dont la science, prenant par exemple la forme du matérialisme historique, rendrait compte. Elle est un texte, mystérieux et qui, jusqu’à la fin des temps, doit conserver et conservera son mystère, mais où parfois, à travers d’étranges clartés, une phrase se laisse déchiffrer par celui qui en est digne.