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Après la modération, la bienveillance, le bonheur, l’abandon, la lecture spirituelle, le service et le courage, le Décalogue de la sérénité du saint pape Jean XXIII propose une septième résolution sur son travail.
Septième résolution, planifier son travail : « Rien qu'aujourd'hui, j'établirai un programme détaillé de ma journée. Je ne m'en acquitterai peut-être pas entièrement, mais je le rédigerai et me garderai de deux calamités : la hâte et l'indécision. »
Il est des personnes pour qui le travail du jour est semblable à celui de la veille, ou celui du lendemain. Certains métiers sont répétitifs et sans doute aliénants. L’image qui vient à l’esprit est celle de Charlot dans les Temps modernes, aux prises avec la chaîne d’une usine, et nous nous indignons de ce qui nous semble être un esclavage. Et puis nous achetons des vêtements cousus en Inde, en Chine, en Asie du Sud-Est dans des conditions sordides.
Dans certains métiers, il n’y a pas d’organisation autonome du travail de la journée parce que le l’homme ne dispose pas d’une autonomie suffisante pour cela. Dans ce cas, cette huitième prescription du pape Jean XXIII semble échapper à l’universalité qui devrait (sans doute) inspirer les propos du chef de l’Église catholique. On touche au seuil au-delà duquel le travail cesse de rendre activement l’homme digne. Des économistes diront que c’est plus efficace. Et puis il y a ceux qui peuvent bénéficier d’une latitude suffisante dans l’organisation de leur travail. La hiérarchie qui s’impose à eux ne pèse pas d’un poids insurmontable et ils sont relativement libres. À ces privilégiés, à qui des responsabilités sont parfois confiées, il incombe de planifier eux-mêmes leurs tâches. C’est à eux que Jean XXIII s’adresse, en plus de lui-même.
La folle hâte
Nous avons fait de la vitesse une déesse et nous lui sacrifions notre énergie. Les éventuels éloges de la lenteur sont regardés comme ringards, témoins les levées de bouclier quand il faut réduire de dix kilomètres par heure notre vitesse maximale sur une route. Nous constatons la disparition des trains à vitesse « normale » dès la mise en place des lignes à grande vitesse. Nous préférons la justice expéditive (et partiale et médiocre) des tribunaux médiatiques à celle des prétoires qui va son train de sénateur fatigué. L’instantanéité de la perception de l’action, favorisée par sa diffusion immédiate grâce à des moyens de communication dits efficients, induit l’exigence d’une réaction aussi immédiate que techniquement possible. Les investissements à long terme sont écartés au profit de ceux qui apparaissent plus rapidement rentables, les cadences augmentent pour produire plus et moins cher ; les délais sont vécus comme des diktats insoutenables, même quand ils sont dictés par une contrainte physique contre laquelle on ne peut rien. Cette hâte va jusqu’à la folie quand des ordinateurs jouent en bourse pour le compte de sociétés financières, donnent des ordres d’achat ou de vente sur les marchés financiers pour en annuler 95 % avant qu’ils ne puissent techniquement être exécutés, appariés à un ordre inverse. La durée de détention de l’actif acquis sera de quelques secondes, avant qu’un ordre de vente ne vienne y mettre fin1. L’algorithme le plus rapide gagne contre celui qui l’est moins. Cette pratique ubuesque est sans doute le symbole le plus éloquent de cette hâte sacralisée par un monde où la technique supplante l’homme. La hâte est une calamité.
La négation de la subsidiarité
Souvenir d’une jeunesse passée dans un cadre professionnel déserté en courant depuis belle lurette, les sempiternelles itérations d’analyses qui s’ajoutent les unes aux autres pour différer le moment où sera prise la décision, parfois douloureuse mais nécessaire, parfois salutaire, parfois malchanceuse parce que ne portant pas les fruits escomptés. Bien sûr que rationaliser une décision, dans la mesure du possible, est une bonne chose. Bien sûr qu’Alexandre tranchant son nœud gordien avec un glaive, ce n’est pas la panacée absolue. Les décisions se prennent aussi avec les tripes. Ne vouloir les prendre qu’avec la tête relève de la chimère. Il y a aussi le micro-management, voulu ou subi2, qui fait que peu de personnes trop haut placées décident trop souvent quand ils ne le devraient pas. Cette négation de la nécessaire subsidiarité, qu’elle soit voulue ou non par les procédures des organisations, conduit à des goulots d’étranglement qui induisent l’indécision chronique qui est aussi une calamité.
Savoir décider
Le monde actuel est malade de la prise de décision. La planification est-elle utile pour réduire la nuisance de ces deux calamités ? Nous reculons tous devant les décisions douloureuses, nous en avons peur, nous n’aimons pas les prendre et parfois nous espérons au-delà du raisonnable en les repoussant à d’hellènes calendes. Et nous nous hâtons, par mimétisme avec l’air du temps qui voit dans la vitesse une vertu. Peut-être qu’établir cette liste n’est qu’un exercice de lucidité. Si ce jour elle me semble dès le matin trop longue, je sais que je me condamne à une hâte nocive, ou au sentiment d’échec le soir venu. Si elle est trop courte, elle permettra à trop d’états d’âme polluants de venir me déranger. Et si l’imprévu survient et bouleverse mon organisation, que je me souvienne de la quatrième prescription de ce décalogue, et que je me plie aux circonstances.
Mon Dieu, donne-nous assez de discernement pour percevoir le bien commun et le servir dans notre travail.
[1] High Frequency Trading.
[2] Le micro-management est un mode de fonctionnement dévoyé d’une organisation où le responsable décide de tout, y compris des choses relevant des détails les plus insignifiantes. Cette absence de délégation effective peut être voulue par le décideur quand il ne sait ni ne veut déléguer, et elle est dès lors subie par l’exécutant ; elle peut être subie au contraire quand les subordonnés refusent de décider eux-mêmes (souvent par peur) et font remonter chaque occurrence de décision au plus haut niveau possible.