En demandant à ses disciples de venir le rejoindre sur les lieux mêmes où débuta leur aventure commune, c’est-à-dire en Galilée, le Ressuscité nous invite à lire les évangiles à la lumière de Pâques. À nous de discerner le message du Christ dans les événements que les écrits nous rapportent de l’existence du maître de Nazareth après le matin de Pâques.
La foi en la Résurrection ne nous fait pas vivre en lévitation
Aux femmes venues au tombeau le matin de Pâques, l'ange déclare : « Allez dire à ses disciples : il est ressuscité d'entre les morts, et le voilà qui vous précède en Galilée ; c'est là que vous le verrez » (Mt 28, 7). Ainsi, le Ressuscité choisit la région où il commença sa vie publique et sa prédication pour donner rendez-vous aux Onze apôtres ! Ce choix peut surprendre à première vue. La Résurrection ne représente-t-elle pas la nouveauté par excellence, l’irruption de l’inédit et de l’inouï dans l’histoire ? Pourquoi Jésus n’inaugure-t-il pas ses retrouvailles avec ses compagnons dans un lieu où ni lui ni eux n’ont jamais été durant sa vie mortelle, pour leur manifester qu’il mène désormais une vie nouvelle, totalement investie par l’Esprit, au-delà de l’espace et du temps ? Pourquoi revenir dans la région où tout commença, et où le succès primitif laissa vite place à l’incompréhension et au rejet ?
Pour comprendre le choix de Jésus, il est nécessaire de souligner certaines conséquences que sa résurrection implique pour nos existences. Tout d’abord, la levée du Christ d’entre les morts ne signifie pas que nous autres, chrétiens du XXIe siècle, avons à vivre nos existences sur une autre terre, dans une autre société, que celles où évoluent nos semblables que nous côtoyons chaque jour. La Résurrection, même si elle rend possible un changement de notre façon de nous comporter dans le monde, nous fait vivre cependant la même existence que celle que nous menions avant d’être devenus croyants (pour ceux qui ne l’ont pas toujours été).
Le cadre de nos existences ne change pas
Après que le Ressuscité s’est manifesté à lui, l’infirmier restera infirmier, et aura affaire aux mêmes patients qu’auparavant. Mes parents âgés ne recouvreront pas subitement la santé parce que je crois en Jésus-Christ, Seigneur des vivants et des morts. Les caractères de mes collègues ne vont pas miraculeusement devenir meilleurs. Je devrai toujours gagner ma vie, vivre ma vie de famille, être soumis aux mêmes contingences matérielles qu’auparavant. Autrement dit, le cadre de mon existence, dans ces dimensions objectives, demeure identique à ce qu’il était avant que je sache que le Christ est ressuscité. La Résurrection change tout, et en même temps, rien ne change en apparence ! Je suis renvoyé à ma vie telle qu’elle était avant.
Voilà pourquoi le Christ donne rendez-vous à ses disciples en Galilée. Il s’agit pour eux de vivre en ressuscités au milieu des personnes qu’ils côtoyaient avant que le Ressuscité ne vienne en personne leur révéler l’impensable.
L’enseignement de Jésus n’a pas changé
De plus, le choix par Jésus de la région qui vit le début de sa prédication nous indique que la doctrine qu’il y prêchait, en tant que rabbi itinérant, n’a pas été rendue caduque par sa levée d’entre les morts. Si les paroles du Galiléen n’ont pas été comprises par ses disciples tandis qu’il les prononçait, ou bien ont été jugées impossibles à mettre en pratique, cela tient à ce que la condition de possibilité de leur compréhension et de leur application était précisément la Résurrection et l’envoi de l’Esprit saint qu’elle entraînerait. C’est en tant que destinataires de l’Esprit, envoyé par la Ressuscité, que le chrétien est capable de vivre la charte du Royaume, à savoir les béatitudes, que prononça jadis sur une montagne de Galilée le rabbi de Nazareth.
À ce propos, signalons que les évangiles ne sont pas un reportage journalistique, pris sur le vif, de l’existence de Jésus. Ils ont été écrits à la lumière de l’événement pascal – ce qui ne signifie que les paroles de Jésus aient été inventées par les rédacteurs, et mises indûment dans sa bouche. Seulement, l’Esprit qui inspira ses auteurs est le même que Celui qui nous permet aujourd'hui de vivre comme des frères du Ressuscité. En rejoignant ses disciples en Galilée, Jésus tient à leur montrer que ce qu’il leur a enseigné, tandis qu’il était encore dans sa condition mortelle, est plus que jamais valable, et que c’était par l’Esprit de résurrection qu’il expulsait les démons, guérissait les malades et édictait les lois du Royaume sur les routes de Palestine.
Jésus est resté le même, tout en menant une vie différente
La Résurrection projette ainsi sa lumière sur tout le parcours du Nazaréen. Par exemple, dans les évangiles, chaque fois qu’il est écrit qu’un malade, un alité « se relève », cela ne signifie pas seulement qu’il se remet physiquement debout, mais aussi que la puissance de la Résurrection agit en lui pour le faire mener une nouvelle existence : « Va, et ne pèche plus. » D’ailleurs, le même terme est utilisé pour dire « se relever » et la « levée » du Christ d’entre les morts. L’existence pré-pascale de Jésus est comme une parabole de la puissance de la Résurrection. Aussi, pour le lecteur, ce retour en Galilée représente-t-il une invitation à méditer la vie du Christ comme une révélation, et non comme une simple biographie qui empilerait les faits divers les uns sur les autres.
C’est qu’il existe à la fois une discontinuité et une continuité entre le Jésus mortel et le Jésus ressuscité. Discontinuité, parce que Jésus ne meurt plus, et qu’il est capable désormais de rejoindre ses disciples de l’intérieur, par l’Esprit. Mais aussi continuité, parce que le Ressuscité reste le Crucifié, que son amour et son application à nous servir n’ont pas changé.
Une annonce de l’ouverture du christianisme aux nations
Enfin, signalons que la Galilée était qualifiée, au premier siècle, de « carrefour des nations », parce que beaucoup d’ethnies étrangères y vivaient au milieu de la majorité juive. La région était également un lieu de communication entre Méditerranée et Orient. Rejoindre Jésus dans cette région-carrefour, revenait donc à annoncer déjà l’ouverture du christianisme aux nations, et proclamer dans la foulée son universalisme.