Dès la toute petite enfance, les repas peuvent être source de conflit dans les familles. Comment transmettre à ses enfants le plaisir de manger ?
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La nourriture et les repas n’ont pas qu’une fonction nourricière. Bien au-delà, il s’agit d’une éducation au goût et d’une culture — notamment familiale — qui se transmet, dès la petite enfance. Est-ce que, en matière d’alimentation, tout se jouerait avant 3 ans ? Le rapport à la nourriture est complexe, il suffit d’écouter de jeunes mamans pour s’en convaincre. Il y a les bébés qui ne mangent rien, ceux qui mangent trop, ceux qui ont mal au ventre, parce qu’ils ont faim ou parce qu’ils ont du mal à digérer… Plus tard, au moment de la diversification, les problèmes sont d’un autre ordre : « Mon fils ne mange que des pâtes… Tout ce qui ressemble à un légume lui fait horreur, les repas se transforment en pugilat », confie Mathilde, démunie.
L’injonction de “bien manger”
Pour les parents, « bien manger » est essentiel et même fondamental : « Lorsque, en conférence, je demande : “Qu’est-ce qu’un bon parent ?”, la plupart des gens qui sont là me répondent : “Un parent qui arrive à faire manger des légumes à ses enfants”», raconte Myriam Alexis, diététicienne nutritionniste, spécialisée en pédiatrie. Transmettre de « bonnes habitudes » alimentaires à ses enfants est donc capital pour beaucoup, et naturellement source de pression.
Les spots publicitaires rappellent à l’envi qu’il ne faut « pas manger trop gras, trop salé, trop sucré » et qu’il est important de penser à dévorer ses « cinq fruits et légumes par jour ». La menace de l’obésité semble peser lourd dans chaque foyer… « Cette injonction à être conforme et diététique est parfois difficile à supporter pour les parents. Or, ces derniers ne s’appliquent pas toujours à eux-mêmes ces règles qu’ils veulent transmettre à leurs enfants », souligne Myriam Alexis.
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Bien entendu, les mauvaises habitudes alimentaires existent et sont à bannir. Comme cette maman qui donne une barre chocolatée Mars à son fils de 3 ans pour le petit-déjeuner, rapporte Laure, institutrice. Ou le père qui ajoute un peu de jus d’orange dans tous les verres d’eau de ses enfants. Myriam Alexis mentionne aussi les parents qui font subir à leurs enfants une forme d’extrémisme alimentaire, évacuant d’office certains aliments. Sur ce point, les médecins et les spécialistes de l’enfance s’attachent à rappeler qu’il est important de proposer un régime sain et varié aux petits. Cela s’apprend dès la petite enfance, selon une technique propre aux enfants de moins de 3 ans. Pour les plus grands, il sera important de rappeler qu’il ne faut pas manger entre les repas ou se goinfrer de biscuits, et que l’on doit goûter de tout. Mais cette relation à la nourriture est toute différente chez des petits, notamment ceux qui n’ont pas acquis la parole.
« La nourriture doit rester un plaisir »
Quand les petits enfants font des blocages, beaucoup de professionnels recommandent de ne pas aller jusqu’à l’affrontement. Ce sont les propos du Dr Philippe Grandsenne, pédiatre, dans Comprendre les pleurs de bébé (Eyrolles) : « Il est primordial de ne jamais se battre pour la nourriture, car c’est, précisément, ce qui entraîne des blocages chez les enfants. » De son côté, le Dr Victoire L. rappelle aux parents que si leur bébé refuse de prendre son biberon, « ils peuvent proposer un petit-suisse ». « C’est essentiel de décomplexer les parents, de leur apprendre à contourner le problème : la nourriture doit rester un plaisir », souligne-t-elle. De fait, les petits enfants comprennent très tôt que l’alimentation est un sujet de préoccupation pour leurs parents. Très logiquement, ils n’hésitent pas à s’exprimer par ce canal… « L’alimentation est un superbe support social et un support de conflit ! Les enfants ne sont pas vicieux, mais ils ont là un moyen idéal de signifier leur mécontentement, a fortiori lorsqu’ils ne maîtrisent pas la parole ! » Au-delà de la fonction nourricière d’un repas, il faut donc prendre en compte les ressorts psychologiques et affectifs qui entrent en jeu.
Stefan Kleintjes, diététicien, nutritionniste spécialisé en pédiatrie et auteur de La Diversification menée par l’enfant, estime qu’il est important de « ne pas complimenter son enfant lorsqu’il mange bien ou de ne pas le gronder lorsqu’il ne mange pas. Un bébé a envie d’être aimé, donc il fera — ou non — ce qu’il veut que ses parents veulent pour lui. C’est mettre beaucoup trop de pression sur l’alimentation ». Pour ce spécialiste, rien ne vaut l’exemple. Ainsi, les repas partagés sont probablement le meilleur moyen de montrer que manger est un plaisir : « Un bébé se développe en observant les autres. Ses parents, ses frères et sœurs, ses camarades de crèche… C’est vrai pour toutes les étapes du développement, parler, marcher et, donc, manger. »
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Myriam Alexis insiste, elle aussi, sur le contexte favorable aux repas. « Les parents sont accrochés au contenu — que mange mon enfant —, alors que l’environnement sonore, les tensions, les inquiétudes sont bien plus importants. Pour l’enfant, le non verbal est prioritaire sur le verbal jusqu’à 10-12 ans ! » Camille raconte que son fils de 2 ans ne mangeait plus rien et gigotait à table « alors qu’il était plutôt très facile. Je me suis aperçue qu’il vivait mal le fait que je range la cuisine pendant qu’il déjeunait. Il avait besoin que je reste à ses côtés, que je discute avec lui, et même que je mange, comme lui ! Du jour au lendemain, les repas se sont pacifiés : pour lui comme pour moi, c’est un moment privilégié ».
Il est donc primordial de réinvestir, en famille, le moment du repas partagé. Un moment où l’enfant serait au centre, « mais pas trop », insiste Myriam Alexis. Où le cuisinier du jour inventerait une autre façon d’accommoder les salsifis — avec de la béchamel et une pointe de persil, c’est délicieux. Les enfants les plus grands, ceux qui par exemple souffrent de « néophobie alimentaire » (entre 4 et 7 ans), peuvent mettre la main à la pâte et préparer un dessert de leur choix. Ainsi, la culture du goût se transmet en douceur, avec plaisir.
Ariane Lecointre-Cloix