Notre chroniqueur ALain Noël est retourné à Dieu ce mardi 23 avril, dans l’octave de Pâques, mort à l’âge de 68 ans des suites d’un malaise cardiaque. Éditeur, prédicateur laïc, il avait fondé avec son épouse le site du “Monastère invisible” et la Fraternité de la Sainte-Croix à Étampes. Là fut le grand œuvre de sa vie : non seulement rendre la foi plus crédible, mais populariser l’expérience mystique de la rencontre personnelle avec Dieu.
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Il nous faudra du temps pour saisir non pas ce que nous avons perdu quand Alain Noël nous a quittés, mais ce qu’il nous laisse, qui ne vient pas que de lui et qui pourtant ne pouvait sans doute passer que par lui. Quand mon chemin a croisé celui d’Alain Noël, il y a près de trente ans, j’ai tout de suite senti que ce gars-là était à part. Il débarquait de nulle part dans le petit monde catho — enfin, de ceux qui entendent partager la foi qu’ils ont reçue. Et il s’y est engagé totalement, sans prendre la place de personne ni se couler dans aucun moule préexistant. Communiquer, éveiller des besoins plus profonds que les habitudes, donner les moyens d’y répondre : ça, il savait. Il l’avait pratiqué professionnellement comme « commercial ». Mais le Bon Dieu avait mis la main sur lui comme Élie avait jeté son manteau sur Élisée pour que celui-ci lâche tout et le suive (1 Rois 19, 19).
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Du rock à l’édition
Il a compris qu’il ne suffisait pas qu’il utilise ses dons de chanteur de rock pour faire une carrière d’évangélisateur de concert, et qu’il fallait d’abord qu’il se forme intellectuellement, parce qu’au XXe siècle finissant, on tendait de plus en plus à croire que les raisons de ne pas croire l’emportaient largement sur la logique pourtant supérieure de la charité. Ce qu’était à l’époque (dans les années quatre-vingt) l’enseignement de la théologie n’a pas réussi à lui faire relativiser ce que professait l’Église. Il s’est ensuite engagé comme éditeur, dans la production littéraire qui modèle l’imaginaire de nos contemporains et où il sentait bien que la foi chrétienne est une ressource d’une inépuisable fécondité, même si elle n’est pas toujours immédiatement identifiée.
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C’est ainsi que nous nous sommes trouvés pour nous lancer, au début des années quatre-vingt-dix, dans l’aventure d’une série de polars. L’idée, déjà exploitée par Chesterton avec les Enquêtes du Père Brown, était que l’énigme (qui est le meurtrier et quel est finalement son mobile ?) conduit sans lourdeur didactique à percevoir le mystère de la condition humaine, le scandale du mal et l’attente de la justice et du salut. Ce ne fut pour Alain qu’un coup d’essai et c’est avec les Presses de la Renaissance dont il prit la direction et assura le succès qu’il déploya et vérifia la justesse de l’intuition que le christianisme germe et refleurit sur le terrain « culturel ». En bon serviteur, il a donné la parole à d’autres, afin qu’ils éclairent et stimulent l’esprit et le cœur de foule d’autres encore.
L’expérience mystique pour tous
Ce n’était cependant pas encore assez pour le radicalisme de son engagement — ou plus exactement de sa vocation. Il s’est aperçu qu’il était lui-même appelé à agir et à parler : en décidant, avec son épouse et une fois leurs enfants devenus grands, de mener une vie à la fois monastique et apostolique. Il n’y a au fond rien là de nouveau : Louis Bouyer, un des tout meilleurs théologiens du XXe siècle, a montré que la condition du moine est simplement celle du chrétien qui pousse aussi loin qu’il le peut les exigences de son baptême — l’isolement érémitique et le célibat, l’appartenance à une communauté structurée et institutionnalisée, avec sa règle et ses supérieurs, et a fortiori l’ordination sacerdotale n’étant en quelque sorte que des options inspirées selon la variété des dons de Dieu.
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Ce qui demeure nécessaire, en revanche, si l’on reste « dans le monde », c’est le témoignage, la prédication et même l’accompagnement spirituel qui n’est pas réservé au confessionnal. C’est ce qui a donné le « monastère invisible » et la Fraternité Sainte-Croix basés à Étampes, dans le diocèse d’Évry, et ouverts à tous aussi bien physiquement que par Internet. Alain s’est mis lui-même à écrire et publier, à accueillir et aller donner des retraites, à intervenir à la radio, à la télévision — et sur Aleteia où je n’ai pas été surpris que nous nous retrouvions sans nous être concertés. Sans cesser de tout faire pour rendre la foi plus crédible, il avait saisi que ce qui compte en dernier ressort, le but à atteindre, c’est la relation personnelle avec Dieu, c’est l’expérience mystique qui ne doit pas rester élitiste, mais devenir populaire. Pour y guider, il pouvait faire fond sur la sienne, qui emplissait désormais toutes ses journées, sur le partage quotidien avec son épouse et ses proches, et sur une pédagogie éprouvée et développée à l’écoute des autres.
Un trésor qui nous reste
Ce fut un travail d’apôtre laïc, marié, père de famille, qui n’a pas eu besoin de demander à monter en chaire et est spontanément resté d’une fidélité intransigeante à la Tradition de l’Église, à son magistère et à sa hiérarchie. Les précédents ne sont pas si nombreux. Cette voie du coaching mystique est peu frayée, car elle n’est pas sans dangers. Le marchand lyonnais Pierre Valdo n’a pas bien fini à la fin du XIIe siècle : il ne croyait pas à la présence réelle dans l’Eucharistie, et ses disciples sont devenus les hérétiques vaudois. Jean de Bernières, fonctionnaire royal à Caen au XVIIe siècle, est un meilleur exemple : il eut une influence considérable et positive dans ce que l’on a plus tard appelé l’École française de spiritualité. Mais il a été soupçonné de quiétisme et ses livres posthumes ont été mis à l’index.
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Alain Noël n’a rien à craindre de tel. S’il nous a quittés si tôt et si vite, il est permis de penser que c’est parce que Dieu n’a plus voulu attendre pour rappeler à lui son serviteur qui avait rempli la mission reçue. Il nous reste ses livres, ses textes, ses enregistrements et ses vidéos d’aide à la prière, à la participation aux étapes successives du cycle liturgique et à la découverte des merveilles de Dieu : tout un trésor non seulement imprimé mais encore numérique (et notamment sur Aleteia !), dans un langage aussi contemporain et accessible que les supports. Le plus bel hommage à rendre au messager sera l’accueil du message qu’il a transmis.
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