Quelques heures après le violent incendie qui a ravagé Notre-Dame, le gouvernement a fait plusieurs annonces afin de reconstruire « en cinq ans » la cathédrale. Reconstruire, oui, mais comment ? À l’identique ou autrement ? Parmi les mesures annoncées, un « concours international d’architectes pour la reconstruction de la flèche » inquiète une partie des Français. D’autres, à l’inverse, y voient une formidable opportunité de marquer leur époque.
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« L’objectif doit être de tenir le délai de 5 ans et de bâtir un projet mobilisateur et puissant », a annoncé l’Élysée ce mercredi 17 avril, quarante-huit heures à peine après l’incendie qui a partiellement détruit Notre-Dame. Pour y arriver, plusieurs annonces ont été faites : soutien fiscal aux dons, projet de loi pour une souscription nationale et… un concours international d’architecture pour la reconstruction de la flèche.
« [La flèche] ne faisant pas partie de la cathédrale d’origine, le Président de la République souhaite qu’une réflexion soit menée et qu’un geste architectural contemporain puisse être envisagé », précise encore l’Élysée. « Faut-il reconstruire une flèche ? À l’identique ? Adaptée aux techniques et aux enjeux de notre époque ? », s’est ainsi interrogé le Premier ministre Édouard Philippe. Précipitation dans la déclaration, flou dans les termes employés, interrogations dans la mesure où les plans de Viollet-le-Duc sont accessibles… Il n’en fallait pas plus pour créer un vif débat au sein de la société. Et il en va de même pour la charpente. Doit-elle être reconstruire en bois ou avec d’autres matériaux ? Les réactions n’ont pas tardé à se multiplier dans la presse et sur les réseaux sociaux.
LIVE | Compte-rendu du #ConseildesMinistres consacré à la reconstruction de Notre-Dame de Paris.https://t.co/CP5AOzcVBA
— Élysée (@Elysee) April 17, 2019
Ceux qui n’ont pas (encore) d’avis (trop tranché)
- François-Xavier Bellamy : « Nos gouvernants devraient retrouver un peu d’humilité », a réagi sur Twitter François-Xavier Bellamy, tête de liste des Républicains pour les européennes, « Cette restauration est la mission des architectes formés pour cela, des artisans et des compagnons […] Un président n’a d’autre responsabilité que de leur donner les moyens de réussir cette mission ». « Avant de nous proclamer bâtisseurs, reconnaissons que nous sommes d’abord héritiers… Il serait tragique qu’au deuil de la destruction succède la manie de la disruption, et que l’orgueil du ‘nouveau monde’ dénature maintenant le meilleur de l’ancien au lieu de le transmettre », a-t-il précisé.
Avant de nous proclamer bâtisseurs, reconnaissons que nous sommes d’abord héritiers… Il serait tragique qu’au deuil de la destruction succède la manie de la disruption, et que l’orgueil du “nouveau monde” dénature maintenant le meilleur de l’ancien au lieu de le transmettre.
— Fx Bellamy (@fxbellamy) 18 avril 2019
- Bertrand de Feydeau : « La question se pose. Quel type de restauration voulons-nous faire ? Il faut savoir que le projet de Viollet-le-Duc avait fait couler beaucoup d’encre à l’époque, c’était un projet novateur qui ne plaisait pas à tout le monde », a confié à Aleteia Bertrand de Feydeau, vice-président de la Fondation du Patrimoine. « Certes, elle faisait partie de notre environnement visuel depuis 150 ans, mais elle n’est pas d’origine et n’est pas la vérité absolue ! Pourquoi alors ne pas se poser la question de revenir à une flèche d’inspiration médiévale, ou au contraire, pourquoi ne pas tenter la modernité ? »
- Pour Denis Dessus, président de l’Ordre des architectes, « prendre comme principe qu’il faut aller très vite pour un bâtiment qui frise le millénaire est une erreur. Il ne faut surtout pas réduire le temps des études qui conditionnent la pertinence des travaux ». « L’architecte en chef des monuments historiques devra déterminer si nous devons reconstruire la version décrite par Victor Hugo, celle que nous connaissons avec l’interprétation néo-gothique de Viollet-le-Duc ou si nous devons imaginer une cathédrale du XXIe siècle ». Pour autant, « il ne sera en tout cas ni possible ni pertinent de reconstruire à l’identique. Probablement, il faudra s’orienter vers une charpente plus légère, cohérente avec l’état des superstructures conservées, et qui pourra être optimisée par les techniques numériques actuelles ».
- L’architecte Jean Nouvel estime quant à lui que « la sédimentation est dans l’ADN [de Notre-Dame” et qu’ “une couche de plus peut exister”. Il estime néanmoins que “la flèche de Viollet-le-Duc était un geste fort et signifiant déjà à son époque” et qu’ “elle fait partie des choses intangibles de la cathédrale”.
Ceux qui sont pour reconstruire à l’identique
- Maryvonne de Saint-Pulgent : « Les mots sont importants: il ne s’agit pas d’une « reconstruction », comme je l’entends dire, ou d’un ravalement, mais d’une restauration: celle-ci répond à des normes bien précises », affirme Maryvonne de Saint-Pulgent, directrice du patrimoine au ministère de la Culture de 1993 à 1997, dans un entretien au Figaro. À la question de savoir s’il faut construire à l’identique elle répond : « Oui, quand c’est possible. Évidemment, une charpente du XIIIe siècle telle que celle qui a disparu n’est pas remplaçable ». Ceci étant dit, elle rappelle également que « l’esprit patrimonial n’a jamais consisté à penser qu’il n’était pas pertinent d’utiliser des techniques modernes. Bien sûr, on ne refait pas à l’identique ce qui est impossible à refaire: exemple d’un vitrail, que l’on peut commander à un artiste contemporain (comme cela a été fait avec Chagall pour la cathédrale de Reims). Mais, dans le cas de la flèche, il est tout à fait possible de la restaurer à l’identique ». Une position qu’elle a également défendu sur le plateau de l’émission “C dans l’air” :
#NotreDame “On n’est pas en train de reconstruire, on est en train de restaurer un monument inscrit au patrimoine mondial de l’humanité. On peut faire ce que l’on veut dans les constructions neuves, pas ici. Un débat est lancé, il n’est pas du tout conclu”. M de Saint Pulgent pic.twitter.com/xpvpr26oVQ
— C dans l’air (@Cdanslair) 17 avril 2019
- Roland Castro : Interrogé par Le Parisien, l’architecte Roland Castro souligne également que « ce n’est pas le moment de faire une nouvelle cathédrale ». Selon lui, « il faut reconstruire à l’identique, c’est une chose que tout le monde attend, comme on le fait très souvent pour des grands monuments historiques. Elle est trop inscrite dans notre patrimoine. C’est un édifice tellement chargé d’histoire, et une histoire tellement longue, qu’il ne faut pas y toucher ».
Ceux qui sont contre reconstruire à l’identique
- Jean-Michel Wilmotte : « Sur une enceinte affaiblie par le feu, une charge telle que celle de l’ancienne charpente pourrait présenter un problème », souligne de son côté Jean-Michel Wilmotte, architecte qui a construit l’église russe à Paris. D’après lui l’essentiel est de « retrouver l’élancement, la proportion, l’échelle » de cette église. Il propose le recours au titane, trois fois moins lourd que le plomb utilisé dans l’ancienne construction, et le remplacement du bois par l’acier, deux fois moins lourd. Concernant la flèche, il en verrait bien une « en écho visuel à la Pyramide du Louvre ». « Ce serait magnifique. On pourrait raconter l’histoire de la cathédrale en la gravant dessus… ».
- Yannick Jadot : « Il ne faut pas figer l’histoire », a indiqué ce vendredi 19 avril Yannick Jadot, tête de liste EELV pour les élections européennes. Mettant en garde contre une « nostalgie régressive », il a estimé qu’il ne fallait pas « figer l’histoire ». « Cette flèche dont on était tous fiers était la reconstruction d’une flèche précédente qui n’était pas une reconstruction identique par Viollet-le-Duc », a-t-il rappelé sur LCI. « La France est un pays de bâtisseurs, moderne, qui doit s’enraciner dans l’histoire, mais il faut se projeter vers un horizon vaste comme le monde », a-t-il ajouté, en appelant à « utiliser l’innovation, les savoirs d’aujourd’hui ».