Prêtre du diocèse de Paris, auteur de “Notre église est celle au bout de la rue”, le père Pierre Vivarès écrit sa douleur, sa colère et son espérance devant les tours de Notre-Dame en flamme. La destruction, dramatique, d’un bâtiment doit toujours nous renvoyer à l’essentiel qui ne s’incarne pas dans des pierres : « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimé. »19 h 30, je sors de la messe que je viens de célébrer dans ma paroisse en ce lundi de la Semaine sainte. Un paroissien que je salue à la sortie me dis, avec des larmes dans les yeux, « Notre-Dame est en flamme. » Je ne comprends pas, je n’y crois pas, je ne sais que répondre. Je salue les autres paroissiens qui n’ont pas l’air au courant puis rentre à la sacristie. Un ami doit venir dîner avec moi ce soir. Mon téléphone est saturé de sms, mails, WhatsApp. Là, je comprends qu’en effet Notre-Dame est en flamme. Irréel. Je rentre au presbytère et dans l’entrée je vois un des sacristains de Notre-Dame, que je connais depuis des années, hébété, en larmes, seul, perdu. « Viens. » Nous montons et je dois allumer la télévision pour que les images me donnent la preuve de cette nouvelle sidérante.
Nous regardons, interdits, impuissants, les flammes qui consument la charpente, la flèche qui s’effondre. Nous sommes en deuil.
En deuil comme le deuil d’un très proche, d’une mère, d’une maison familiale, en deuil de quelqu’un pour lequel il était impensable que nous devrions être séparés un jour. En deuil et je repense à toutes les étapes du deuil que nous avons tous vécues lorsque nous avons perdu un proche.
Choc
Cette nouvelle nous atteint et au fond de nous un effondrement se produit. Quelque chose est cassé et le sera toujours. Le déni n’est pas de mise ici puisque les images parlent d’elles-mêmes. Nous devrons finir notre vie avec cette absence. Nous le prenons comme une claque qui nous laisse hébétés. Accepter les sentiments qui nous habitent est une étape spirituelle et c’est une étape nécessaire.
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Douleur
Nous sommes en peine et prenons le poids de tout ce qui est perdu. Alors nous essayons de nous raccrocher aux bonnes nouvelles : le Saint Sacrement a été sauvé, la Couronne d’épines, les reliques de la Passion, des œuvres d’art. Mais la douleur est présente, vive, durable. Cette douleur durera, elle sera ravivée chaque fois que nous serons dans Notre-Dame, que nous passerons devant, que nous penserons à elle. Douleur d’une vie entière comme le sont les douleurs de nos vies qui s’accumulent alors que nous vieillissons.
Colère
Oui de la colère, contre l’État, propriétaire de l’édifice, en charge des travaux, qui n’a pas pris les moyens de prévenir un tel incendie. Car il est possible de prévenir un incendie, quelle que soit sa cause. Vous n’aurez jamais une étincelle dans une centrale nucléaire alors pourquoi pas dans un monument emblématique de la France ? J’ai dénoncé déjà dans Notre église est celle au bout de la rue (Presses de la renaissance) l’incurie de l’entretien des bâtiments religieux par l’État et les communes : nous en avons ici une preuve supplémentaire. Car si ce n’est qu’un accident, il pouvait être évité, ou circonscrit. Il faut juste mettre les moyens pour cela, et ils ne sont pas mis. Que ce drame suscite une prise de conscience sur les trésors qui nous été donnés et que nous devons transmettre. Mais râler ne sert à rien : il faut agir.
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Marchandage
Là il est question de trouver une cause extérieure ; un attentat, une malveillance. L’enquête dira les causes de ce drame, mais je vois fleurir sur les réseaux sociaux des théories qui viendraient à prouver que tout cela a une cause criminelle. C’est une façon de ne pas se sentir coupable, une manière de ne pas subir la culpabilité. Or cette culpabilité est réelle : le peu de cas que nous faisons du patrimoine que nous ont légué nos ancêtres. Il appartient à chaque citoyen de faire savoir que nous sommes attachés à ce patrimoine et voulons le conserver. Il appartient à chaque élu de prendre le poids du patrimoine dont il a la charge et de le faire valoir. Et si vous m’autorisez à être un peu polémiste, la subvention d’un musée pour une cause à la mode rapporte plus de voix que la défense d’un patrimoine de mille ans : la noblesse des causes vaut mieux que leur opportunité politique. Que nos élus pensent plus au bien public et moins à leur aura médiatique.
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Dépression
Cette tentation anime le cœur des fidèles après tout ce que nous avons vécu dans l’Église au cours des derniers mois. Certains voudraient voir un signe divin dans cet incendie, comme si Dieu nous disait quelque chose en brûlant l’église mère de notre chrétienté. Il faut être très saint ou très sot pour voir des signes partout et je vois plutôt le signe du diable dans ce désespoir et dans l’affirmation que Dieu aurait quitté l’Église de France. Dieu n’abandonne jamais son Église et si Dieu a permis cela, il n’en est pas la cause. Nos péchés seuls en sont la cause, et ce péché est contre le Corps du Christ, contre le pauvre et le petit qui sont méprisés dans nos sociétés, contre la sainteté de l’Eucharistie ignorée chaque jour, contre l’adoration qui est due à Dieu seul. Le Seigneur nous rappelle peut-être qu’il est dans l’homme et non dans les pierres et « qu’as-tu fait de ton frère ? »
Reconstruction
Nous voulons reconstruire Notre-Dame et nous avons raison. Mais pourquoi ? Pour offrir un lieu de villégiature à des millions de touristes chaque année ? Pour que, au cœur de la capitale, le « Disneyland médiéval » voulu par la maire de Paris retrouve de sa splendeur ? Ou pour que l’Église qui est à Paris ait un signe, un lieu et un centre de prière diocésaine qui unit tous les fidèles et manifeste l’attachement de tous les catholiques avec son évêque et le successeur de Pierre ? L’Église ne peut s’écrire qu’avec un grand E, et toutes nos églises de glaises, de bois, de pierre ou de béton ne sont que le signe de cette Église qui est faite de ceux et celles qui adorent le Christ et Le servent dans leur frères et sœurs humains. La destruction, dramatique, d’un bâtiment doit toujours nous renvoyer à l’essentiel qui ne s’incarne pas dans des pierres : « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimé. »
Alors cette nuit je me rappelle cette phrase du Christ : « Détruisez ce temple et en trois jours je le relèverai. » Nous ne relèverons par Notre-Dame en trois jours, c’est certain, mais dans la nuit de Pâques, samedi prochain, nous serons témoins — martyrs — de ce relèvement du Christ qui est la source, le chemin et la fin. Que chaque chrétien soit uni au Christ, et Notre-Dame, Celle qui nous a donné le Christ, sera relevée.
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