L’incendie qui a ravagé la cathédrale de Paris consterne les incroyants aussi bien que les fidèles. Reste à comprendre pourquoi et à y trouver des raisons d’espérer.L’incendie de Notre-Dame laisse tout le monde sans voix — à commencer par le président Emmanuel Macron : il a annulé son intervention télévisée sur les résultats du « grand débat » qu’il avait lancé en réponse à la contestation de ces derniers mois.
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Le cœur de Paris et de toute la France
La cathédrale de Paris est en effet bien plus qu’un magnifique monument religieux datant du Moyen Âge, bien plus qu’un chef-d’œuvre architectural que l’on s’est toujours appliqué à sauvegarder. C’est depuis des siècles le symbole ou le cœur non seulement de la ville de Paris, mais encore de la France entière. C’est là que sont venus prier, parce qu’il n’y avait rien d’autre à faire, les gouvernants (anticléricaux compris) quand le pays était victorieux (en 1918), quand il était défait (en 1940) et quand il a été libéré (en 1944). Notre-Dame a été transformée en temple de l’Être suprême ou de la déesse Raison sous la Révolution. Mais Napoléon l’a rendu à l’Église et a bien senti que c’est là qu’il devait se faire couronner s’il voulait être vraiment empereur.
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Nul n’ignore que ce qui fait la beauté Notre-Dame est la foi qui l’a inspirée et dont les symboles se retrouvent dans tous les détails aussi bien que dans la structure d’ensemble du bâtiment. Que quelque chose d’aussi ancien ait défié le temps et garde tellement de sens est un miracle qu’aucune science ne peut nier ni expliquer. C’est pourquoi le feu qui l’a ravagé et menace sa survie a tellement touché même les non-croyants. Cette cathédrale n’est pas seulement un monument du catholicisme. Il rappelle aussi à tous ceux qui ne sont pas insensibles à sa présence inesquivable dans le paysage qu’ils ont une âme.
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Coup dur pour les incroyants comme pour les fidèles
Il est frappant de constater que les incroyants sont peut-être les plus catastrophés. Ils craignent que les dégâts soient irréparables, qu’on ne trouve pas l’argent pour tout restaurer, qu’il soit impossible de refaire une charpente en chêne de la qualité de celle du XIIIe siècle — en un mot que Notre-Dame ne redevienne jamais telle qu’ils l’ont connue et en gardent le besoin.
Les fidèles paraissent moins pleurnichards. Ils pourraient pourtant être encore plus abattus. Le cardinal Lustiger s’est attaché à centrer la vie du diocèse dans la cathédrale et autour. Il a joliment et efficacement réaménagé l’intérieur et installé à la croisée du transept un autel moderne qui s’intègre admirablement au milieu du gothique. Être privé de tout cela pourrait être ressenti comme un coup de grâce, après les scandales d’abus sexuels qui ont atteint l’Église, les études sociologiques qui montrent que les nombres de baptêmes et d’ordinations s’effondrent, ou que les jeunes générations ne savent pas trop ce que l’on fête à Pâques ou ce que c’est qu’une paroisse. Par-dessus le marché, ce désastre survient au début de la Semaine sainte : où l’archevêque va-t-il bien pouvoir célébrer la messe chrismale dès ce mercredi ? Et le Triduum pascal ? Finalement, pourquoi Dieu permet-il tout cela ?
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Le signifiant et le signifié
Notre-Dame en feu et inutilisable pendant des mois, si ce n’est des années, c’est évidemment un coup très dur, surtout dans le contexte actuel. Mais il ne saurait être question d’y voir un châtiment ou la confirmation d’un inexorable déclin. Il y a d’abord quelque réconfort à puiser dans l’affliction et la solidarité d’incroyants qui prouvent par là que, si éloignés soient-ils de la foi, l’Église visible, incarnée dans la cathédrale du diocèse de la capitale, est pour eux bien plus qu’une relique du passé : une composante essentielle de leur cadre de vie, sans laquelle eux-mêmes se reconnaissent en manque. Mais ce soutien, tout précieux qu’il soit, n’est sans doute pas décisif.
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Ce qui compte en effet est la foi que le Christ n’abandonnera jamais l’Église son épouse, même si la fidélité de celle-ci est mise à l’épreuve. Le Temple du Mont Sion a été détruit, reconstruit et de nouveau rasé. Saint-Pierre de Rome a été saccagé plusieurs fois au cours du premier millénaire. Les croisés ont perdu Jérusalem… Il reste que ce n’est pas le signifiant — le signe perceptible, en l’occurrence une cathédrale, si merveilleuse et riche d’histoire soit-elle — qui fait la différence, mais le signifié — ce que dit le signe, à savoir la gloire que confère au Christ son abaissement. Le feu et la fumée qui masquent le rayonnement paradoxal de cette gloire révèlent à travers la privation le besoin que l’on en a et réveillent le désir d’en trouver au moins l’image sur terre, sous la forme d’un portail, de tours, d’une nef, d’arcs-boutants et d’une flèche.