Saint Joseph : un saint trop discret ? Et si sa vie, sa vocation d’époux, son métier était à redécouvrir ? S’il fut l’homme de l’ombre, le Père Dominique-Joseph parvient à montrer dans son recueil de Pensées spirituelles sur saint Joseph (Artège, 2019) combien le charpentier de Nazareth peut nous parler. L’auteur, bibliste, moine d’une communauté nouvelle (La Famille de Saint Joseph) à Puimisson près de Béziers, dans l’Hérault, nous fait entrer dans le mystère et la profondeur de la vie du descendant du roi David. Dans la vie amoureuse comme dans le travail, on n’a pas fini de (re)découvrir les leçons de l’époux de la Vierge Marie.
Aleteia : Saint Joseph est l’homme obéissant par excellence. Ce cœur à cœur docile de saint Joseph à la volonté du Père est-il à redécouvrir ?
Père Dominique-Joseph : Au XXIe siècle, on revendique l’autonomie avec beaucoup de force, on promeut l’accomplissement, l’autoréalisation de soi, par soi et souvent pour soi. Saint Joseph nous rappelle que vivre de l’Esprit Saint — pour nous, chrétiens, vivre selon l’enseignement de l’évangile — c’est exactement le contraire. À quoi bon bâtir des palais, si Dieu ne l’a pas demandé ? si ces palais ne servent pas le royaume ? si ces palais ne sont là qu’à la gloire de nos egos ? Saint Joseph n’a jamais rien accompli qui ne soit au service de Dieu, qui ne soit une réponse à la volonté de Dieu. En ce sens-là, il est un exemple particulièrement fécond pour nous aujourd’hui.
« Saint Joseph n’est pas un séducteur mais un serviteur »
Saint Joseph a été amoureux de Marie. Comment peut-il aider les célibataires à appréhender l’âme sœur ?
Je crois en effet que Marie et Joseph étaient deux jeunes gens profondément amoureux l’un de l’autre. Je ne souscris pas à l’idée d’un mariage arrangé. Saint Matthieu le dit dès l’introduction de l’évangile : Marie est présentée comme fiancée (Mt 1,18) et Joseph est immédiatement appelé « époux de Marie » (Mt 1,16). L’époux est celui qui aime. Le Nouveau Testament s’ouvre donc sur un mariage authentique. Les fiancés et les époux trouvent naturellement un modèle et un exemple en Marie et Joseph. Quant aux célibataires, il me semble qu’ils peuvent trouver en saint Joseph un précieux allié. Les jeunes hommes apprendront l’amour serviteur, les jeunes femmes découvriront l’amour oblatif de l’homme.
Pouvez-vous préciser ?
Contrairement à l’amour captatif qui met la main sur l’autre, pour soi, pour son plaisir, l’amour conjugal est offrande de soi et respect du chemin de sainteté du conjoint. En tant qu’époux, saint Joseph discerne le projet de l’Esprit-Saint sur Marie, il s’enquiert de l’identité spirituelle de sa fiancée et se met à son service. C’est ainsi que saint Jérôme (Père et Docteur de l’Église mort en 420, ndlr) affirme que la virginité de saint Joseph est au service de la virginité de Marie. L’argument est fort et dépasse les simples arrangements sociaux que l’on avançait autrefois pour représenter saint Joseph comme un vieillard « inoffensif » pour la virginité de Marie.
Saint Joseph aurait donc lui-même choisi de garder la virginité par amour pour Marie ?
Saint Joseph épouse Marie en parfaite connaissance de la consécration virginale de sa femme (comment Marie lui aurait-elle caché cela ?) et devient le gardien de sa virginité. Autrement dit, Joseph n’est pas un séducteur (il ne ramène pas la femme à lui), mais il est un serviteur : il va vers son épouse en collaborateur du dessein divin sur elle. Remarquez que la réciproque est vraie : Marie et Joseph sont mutuellement les gardiens de la virginité de l’autre.
L’amour de Joseph pour Marie, c’est l’ouverture à l’autre par la dépossession de soi ? Le contraire de la possession « mondaine » finalement… ?
C’est bien cela. C’est une forme d’oblation, c’est-à-dire d’offrande. Et tous les amoureux — ou les « apprentis amoureux » — peuvent évaluer leur amour à cet aune. Ce mouvement cependant ne s’explique que par l’ouverture du couple à l’Amour lui-même. Dans le couple de Marie et de Joseph, Dieu éveille en chacun l’amour du conjoint. Pour l’un et pour l’autre, Dieu est premier. Cela veut dire que pour eux, le mariage est une forme de leur consécration à Dieu. Tous les époux sont appelés à vivre cela d’une certaine manière, mais Marie et Joseph sont les seuls à vivre ce mystère dans sa plénitude.
« Saint Joseph ne cherche pas à s’auto-réaliser »
Vous décelez en saint Joseph un « maître de la petite voie », celui qui « a renoncé à toute sécurité ». Or, nous autres chrétiens, nous sommes bien souvent phagocytés par toutes sortes de sécurités affectives, financières ou matérielles, morales voire spirituelles. En quoi saint Joseph peut-il nous aider à sortir de nos sécurités ?
C’est une question centrale car nous avons du mal à donner notre confiance à Dieu. Plutôt que de Lui faire confiance, nous lui cherchons des substituts : l’argent, le pouvoir, les plaisirs et la vaine gloire… Nous préférons les sécurités à la confiance et Dieu lui-même peut devenir une sécurité parmi d’autres : on se lance dans la vie en espérant qu’il assure l’intendance. La vie de saint Joseph illustre l’humilité spirituelle authentique : il prend le risque de ne compter que sur Dieu, au lieu de prendre des risques en comptant sur Dieu.
Pour les entrepreneurs modernes qui souhaitent créer des « boîtes », saint Joseph a-t-il, là encore, quelque chose à dire ?
Joseph n’entreprend rien pour poursuivre ses objectifs propres, il ne cherche pas l’auto-réalisation ni le développement personnel. Il répond en tout à la volonté de Dieu. Dans atelier à Nazareth, il a certainement connu les soucis de tout entrepreneur : les impayés, les mauvais clients, les difficultés d’approvisionnement, etc. Mais il le vivait d’une façon telle qu’il a été trouvé digne de recevoir Jésus comme apprenti et comme compagnon de travail. Cela pourrait être un repère pour évaluer toute entreprise : Jésus y serait-il heureux ? Les relations dans les équipes de travail manifestent-elles Jésus comme frère ? Réalise-t-on la volonté de Dieu ?
Entreprendre comme saint Joseph, c’est ne pas anticiper les choses ?
Gouverner, c’est prévoir. Saint Joseph avait assurément le sens de l’initiative. Ce n’est cependant pas incompatible avec l’écoute et l’obéissance : c’est la volonté de Dieu qu’il convient de ne pas anticiper. Dieu connaît le temps pour agir ; reste à entretenir la vigilance intérieure pour interpréter les signes des temps et entendre l’appel du Seigneur. Toute action nécessite un cœur qui écoute.