Le cardinal Philippe Barbarin a été condamné jeudi à six mois de prison avec sursis pour non-dénonciation d’abus sexuels. Tandis que ses avocats ont annoncé qu’ils allaient interjeter appel, l’archevêque de Lyon a déclaré à la presse qu’il allait remettre sa démission au pape François.
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Surprise, incompréhension pour certains. Soulagement ou victoire pour d’autres. L’annonce jeudi dans la matinée de la condamnation du cardinal Barbarin à six mois de prison avec sursis pour ne pas avoir dénoncé les abus sexuels d’un prêtre a suscité une importante vague de réactions toute la journée. Quelques heures après, lors d’une courte allocution à la presse, l’archevêque de Lyon a annoncé sa décision d’aller voir le pape François dans les prochains jours afin de lui remettre sa démission.
Déclaration du cardinal Philippe Barbarin – 7 mars 2019 à Lyon. pic.twitter.com/5KurmXPuzC
— Diocèse de Lyon (@diocesedelyon) March 7, 2019
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Quel est le verdict qui a été rendu ?
Le tribunal correctionnel de Lyon a condamné le cardinal Barbarin « à un emprisonnement délictuel de six mois » (six mois avec sursis, ndlr), pour « non dénonciation de mauvais traitements, privations ou atteintes sexuelles infligés à un mineur de 15 ans”. Cette non dénonciation, qui va de juillet 2014 au 5 juin 2015, porte sur des faits s’étant déroulés dans les années 1980-1990. Les termes du jugement sont sévères à l’égard du Primat des Gaules. Alors que le cardinal avait dit pendant son procès n’avoir « jamais cherché à cacher, encore moins à couvrir ces faits horribles », le tribunal a estimé qu’il « avait fait le choix en conscience » de ne rien dire aux autorités judiciaires « pour préserver l’institution à laquelle il appartient ». « En voulant éviter le scandale (…) Philippe Barbarin a préféré prendre le risque d’empêcher la découverte de très nombreuses victimes d’abus sexuels par la justice, et d’interdire l’expression de leur douleur ».
« La motivation du tribunal ne me convainc pas. Nous allons donc contester cette décision par toutes les voies de droit utiles », a indiqué dans la matinée l’avocat du cardinal Barbarin, Jean-Félix Luciani. Il a souligné qu’il « était difficile pour le tribunal de résister à une telle pression avec des documentaires, un film… Ça pose de vraies questions sur le respect de la Justice », a relevé l’avocat. Pour les cinq autres prévenus, le tribunal correctionnel ne les a pas condamnés, considérant soit l’absence de fautes soit que les faits étaient prescrits. Il ne les a donc pas condamnés.
Comment en est-on arrivé à condamner le Primat des Gaules ?
C’est en 2015 que l’affaire est rendue publique lorsque Alexandre Dussot-Hezez accuse le père Bernard Preynat d’avoir abusé sexuellement plusieurs jeunes scouts (dont il fait partie) de sa paroisse de Sainte-Foy-lès-Lyon dans les années 1980-1990. Le père Preynat est déchargé de son office de curé et suspendu de tout ministère le 31 août 2015. Les victimes de ce prêtre, qui ont fondé l’association La Parole Libérée, portent également plainte en février 2016 contre Mgr Philippe Barbarin pour non-dénonciation d’agressions sexuelles sur mineurs dans son diocèse. Une première enquête préliminaire est ouverte le 4 mars 2016 par le parquet de Lyon pour « non-dénonciation de crime » et « mise en danger de la vie d’autrui ». Cinq mois plus tard, elle est classée sans suite et le parquet de Lyon écarte toute volonté d’entraver la justice de la part de Mgr Philippe Barbarin. Il souligne également qu’avant 2014 — date à laquelle le cardinal rencontra pour la première fois une victime — la non-dénonciation était prescrite après trois ans. Les plaignants décident néanmoins de lancer une procédure de citation directe devant le tribunal. Initialement prévu en avril 2018, le procès s’est finalement déroulé début janvier 2019. À l’issue de ce procès, la procureure Charlotte Trabut n’avait pas requis de peine à l’encontre de l’archevêque, ni contre cinq anciens membres du diocèse poursuivis avec lui. « Le ministère public ne s’oppose pas aux parties civiles, pas plus qu’il ne soutient mordicus les prévenus tout en assurant de son impartialité », avait-elle affirmé.
Cette condamnation est-elle une surprise ?
Pour Yves Sauvayre, avocat de Stéphane Hoareau, partie civile, il s’agit d’un jugement « historique ». « On a été écouté, et entendu. C’est un signe qu’on envoie à tout le monde. L’impunité des années écoulées, ça ne va plus durer », a-t-il affirmé. « Le souffle donné dans cette audience a eu des conséquences ». « S’il y a une négligence établie, il doit purger la peine que l’État lui impose. Ni plus, ni mois. Nous ne sommes pas au-dessus de la loi », a réagi pour sa part le père Hans Zollner, membre de la Commission de la protection des mineurs et cheville ouvrière du récent sommet sur les abus sexuels organisé au Vatican. Dans un communiqué, la Conférence des évêques de France a pris « acte de la décision de justice » et rappelé que « comme tout citoyen français, le cardinal Barbarin a le droit d’utiliser les voies de recours à sa disposition. C’est ce qu’il a fait et nous attendons l’issue de cette nouvelle procédure ».
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« C’est une décision surprenante », affirme néanmoins à Aleteia Henri de Beauregard, avocat pénaliste. « Ce procès est singulier par bien des aspects. On se retrouve avec une affaire dans laquelle le parquet, qui est censé être accusateur public demandant une condamnation, requiert la relaxe et un tribunal qui condamne alors qu’il n’est pas saisi de réquisition de condamnation. C’est techniquement possible mais statistiquement extrêmement rare ». Un avis que partage Philippe Bilger, ancien juge d’instruction et ancien avocat général. « C’est rare mais il peut arriver qu’un tribunal ne suive pas les réquisitions du procureur », détaille-t-il pour Aleteia. « Je dois avouer que dans cette affaire cela m’étonne un peu : j’avais lu le compte-rendu des réquisitions et l’analyse me semblait sensée et équilibrée ». Ceci étant dit, « c’est aussi cette contradiction qui permet de confirmer la liberté et l’indépendance de la justice », rappelle Philippe Bilger. Concernant la condamnation en tant que telle, « le quantum de six mois n’est pas dérisoire », reconnaît l’ancien avocat général. « La sanction, ni dérisoire ni intolérablement sévère, témoigne à l’évidence d’une volonté de la part du tribunal de marquer le coup judiciairement ».
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« Cette condamnation m’interroge pour deux raisons », souligne Henri de Beauregard. « La première est que cela signifie que le délit s’étend à l’obligation de dénoncer des faits eux-mêmes prescrits. La seconde veut dire que l’obligation de dénonciation s’étend au cas d’une personne qui a subi une agression étant mineure et qui s’en ouvre étant majeure. Si elle-même à ce moment-là n’a pas fait le choix de déposer plainte, la personne à qui elle se confie aura l’obligation de s’en ouvrir à la justice ». « Entendue telle qu’elle a l’air d’être entendue », reprend Henri de Beauregard, « cette infraction peut imposer le déclenchement d’une procédure judiciaire sans ou contre le consentement de la personne victime… ».
Le climat médiatique a-t-il pu peser dans le verdict ?
« L’émoi public a pu jouer, d’une manière ou d’une autre, dans ce verdict », explique Philippe Bilger. « Il s’agit de quelque chose de très subtil mais on peut penser que le climat actuel ait imprégné le tréfonds d’une décision collective ». En effet, depuis près de deux ans « l’Église catholique est une cible privilégiée. Cette ambiance, de manière plus inconsciente que délibérée, a pu desservir la cause du cardinal », détaille-t-il. « Le climat ne peut pas n’avoir aucune influence », reconnaît également Henri de Beauregard. « Les magistrats vivent dans le monde mais la réalité de cette influence est difficile à mesurer ». « Faut-il espérer que la démission sollicitée par le cardinal Barbarin ait pour effet positif d’assurer un procès d’appel plus serein, plus apaisé ? », s’interroge-t-il.
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Un tel verdict peut-il faire jurisprudence ?
« À partir du moment où le cardinal Barbarin a été reconnu coupable de non dénonciation alors qu’il le contestait, judiciairement, on ne pourra pas ne pas en tenir compte », affirme Philippe Bilger qui estime par ailleurs que « ce verdict constitue un avertissement non seulement pour la société, mais aussi pour l’Église catholique qui adoptera certainement une autre démarche dans des affaires similaires ». « Pour les associations et dans les mois qui viennent, ce verdict peut servir d’argument », analyse de son côté Henri de Beauregard. « Mais il ne peut pas faire ‘jurisprudence’ dans le sens où c’est une décision de tribunal donc une autorité relative. Dans le cas précis, la décision du tribunal est frappée d’appel donc elle est à prendre avec prudence ».
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