Les vertus morales cardinales qui nous conduisent au bien — la prudence, la justice, la force et la tempérance — sont inscrites dans notre nature, alors que les vertus théologales — la foi, l’espérance et la charité — sont l’irruption du surnaturel en nous par une infusion gratuite de Dieu.
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Les vertus forment une forêt apparemment inextricable tant les relations entre elles sont compliquées. L’objet de notre courte réflexion ne sera pas les vertus intellectuelles, comme la sagesse, la science et l’intelligence (Somme Théologique de saint Thomas d’Aquin, Ia-IIae, q.57) que le docteur angélique définit comme celles qui « perfectionnent l’intellect spéculatif dans la connaissance du vrai, car c’est là son œuvre bonne » (q.57, art 2, conclusion). Les vertus qui nous occupent sont celles qui nous conduisent au bien, les vertus morales, celles qui résident dans la puissance appétitive, donc ce qui est inclination naturelle envers une action.
Les vertus guident les passions
L’être vertueux, en ce sens, est celui qui pratique librement le bien. Déjà Aristote faisait la distinction entre vertus intellectuelles et vertus morales, dans l’Éthique à Nicomaque : « Les vertus se définissent suivant la différence que voici : il en est que nous appelons intellectuelles et il en est que nous appelons morales. » Saint Thomas conclura à sa suite : « Ainsi donc, pour bien agir, il est requis que non seulement la raison soit bien disposée par l’habitus de la vertu intellectuelle, mais aussi que l’appétit le soit par l’habitus de la vertu morale. Donc, de même que l’appétit se distingue de la raison, de même la vertu morale se distingue de la vertu intellectuelle. Aussi, de même que l’appétit est le principe de l’acte humain dans la mesure où cet appétit participe en quelque chose de la raison, ainsi l’habitus moral a la qualité de vertu humaine en tant qu’il se conforme à la raison » (Somme théologique, Ia-IIae, q.58, art 2, conclusion).
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Parfois la confusion s’opère entre passion et vertu, mais la passion est plutôt le mouvement de l’appétit, tandis que la vertu est le principe de ce mouvement, infléchissant alors les passions vers le bien, puisque son unique objet est celui-là. Les vertus et les passions coexistent, les premières guidant les secondes. Saint Augustin souligne que « si la volonté est perverse, on aura des mouvements de passions qui le seront aussi ; mais si la volonté est droite, non seulement ces mouvements ne seront pas coupables, mais ils seront même louables. »
Les vertus morales cardinales
Cette façon de concevoir les vertus est d’ailleurs très ancienne, provenant de la morale naturelle, puisqu’elle est déjà présente chez Pythagore et s’exprime ainsi, dans la bouche de Salomon : « Les labeurs de la sagesse produisent les vertus ; elle enseigne la tempérance et la prudence, la justice et la force, ce qu’il y a de plus utile aux hommes pendant la vie » (Livre de la Sagesse, VIII, 7). Nous y voilà : ce sont les quatre vertus cardinales.
La prudence sera la vertu de discernement, la béquille de la raison pour découvrir ce qui est bien et ensuite pour l’accomplir. La tempérance sera cette capacité à modérer les désirs et à maîtriser les instincts, à trouver ce juste équilibre qui est au centre de toute vie morale. La force, qui est courage, permet d’avancer et de résister aux tentations, d’affermir les résolutions et de dépasser les obstacles (son exercice est souvent chancelant hélas, d’où l’affaiblissement des vertus et la fuite des « bonnes résolutions ». Il faut s’en souvenir pendant le Carême…). Quant à la justice, elle est tournée vers autrui car elle est la volonté de donner ou de rendre à chacun ce qui lui est dû en toute équité.
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Saint Grégoire le Grand écrira que « sur ces quatre vertus se dresse tout l’édifice d’une œuvre bonne ». Il ajoutera, sans pour autant remettre en cause ce quadruple socle : « Celui qui amasse les autres vertus sans l’humilité, c’est comme s’il portait de la paille au vent. » De Cicéron aux Pères de l’Église, tous ramènent les vertus cardinales aux quatre déjà citées car elles sont présentes, par un aspect ou par un autre, dans l’exercice de toutes les autres vertus. Saint Thomas, celui qui a sans doute le plus fouillé ce domaine des vertus, divisera les vertus cardinales, à la suite de Platon, de Plotin, de Macrobe en vertus de société, en vertus purifiantes, en vertus d’âme déjà purifiée, et en vertus exemplaires. N’entrons pas trop dans le détail (il est préférable de se reporter à la Somme théologique pour cela). Indiquons simplement que les vertus cardinales exemplaires sont celles qui préexistent en Dieu de façon parfaite et qui servent de modèle à nos vertus cardinales humaines sociétales. Pour faire le lien entre les deux groupes, comme l’homme a besoin d’avancer vers la perfection, apparaissent les vertus cardinales intermédiaires de deux types, les purifiantes et celle de l’âme déjà purifiée. Ceux qui sont « en marche » vers la ressemblance divine mettent en pratique les vertus cardinales purifiantes. Quant à ceux qui ont atteint un stade de sainteté, ils pratiquent les vertus cardinales de l’âme déjà purifiée.
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Les vertus théologales
Ces vertus cardinales nous prédisposent bien à communier à l’amour divin, mais elles ne suffiraient pas sans l’aide des vertus théologales qui, elles, sont infusées dans l’âme des fidèles afin de s’agréger à Lui peu à peu. Nous les connaissons tous : la foi, l’espérance et la charité. L’origine est ce texte du Livre de l’Ecclésiastique : « Vous qui craignez le Seigneur, ayez foi en lui, et votre récompense ne se perdra pas. Vous qui craignez le Seigneur, espérez le bonheur, la joie et la miséricorde » (II, 8-9). Croire, espérer et aimer sont les caractéristiques de celui qui se dirige vers Dieu et qui le craint. Et cela dépasse notre nature, contrairement aux vertus intellectuelles et aux vertus morales cardinales, puisque ces trois vertus théologales sont un don de Dieu en réponse à l’attitude de l’homme droit qui le cherche et qui l’adore. Elles ordonnent à Dieu l’âme humaine. C’est ce qui est surnaturellement ajouté à notre nature et ce qui nous ordonne ainsi à notre fin surnaturelle, sinon les autres vertus ne suffiraient pas.
La foi, l’espérance et la charité
Saint Paul est celui qui nous donne la liste de ces vertus dons de Dieu pour parfaire notre nature : « Maintenant ces trois choses demeurent : la foi, l’espérance, la charité ; mais la plus grande des trois c’est la charité » (Épître aux Corinthiens, XIII,13). Cet ordre, cette classification sont ceux de la génération car, en effet, nous avons besoin de croire avant d’espérer et d’espérer avant d’aimer. Mais dans l’ordre de la perfection, la charité l’emporte bien sûr puisque foi et espérance sont formées par la première. Voilà pourquoi elle sera éternelle car elle est la racine des racines et le sommet ultime. Tout ce qui est bon, ordonné vers dieu, provient d’elle et va vers elle. Vouloir réduire les vertus à une cause naturelle serait ne pas prendre en compte la réalité. Saint Thomas souligne : « Ce qui existe dans l’homme par nature est commun à tous, et n’est pas enlevé par le péché, puisque même chez les démons les biens naturels demeurent, d’après Denys. Mais la vertu n’existe pas chez tous les hommes, et elle est détruite par le péché. Elle n’est donc pas dans l’homme par nature » (Somme théologique, Ia-IIae, q.63, art 1, sed contra).
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Un don de Dieu
Les vertus théologales viennent totalement de Dieu. Les autres vertus ont, en partie, une cause naturelle, comme état d’aptitude et de commencement, mais, rapidement, elles auront besoin de l’aide surnaturelle pour atteindre un état de perfection qui, nécessairement, leur échappe si elles ne sont livrées qu’à leurs propres lumières. Les vertus cardinales sont vraiment un don gratuit de Dieu. Ce sont des vertus que l’homme ne peut pas acquérir avec sa seule raison et les actions qui en découlent. Le Docteur angélique précise : « La vertu qui ordonne l’homme au bien mesuré par la loi divine et non plus par la raison humaine, cette vertu ne peut être causée par des actes humains, dont le principe est la raison ; mais elle est causée en nous uniquement par l’opération divine. Et c’est pour définir cette sorte de vertu que saint Augustin a mis dans sa définition de la vertu : “Dieu l’opère en nous sans nous” » (Somme Théologique, Ia-IIae, q.63, art.2, conclusion).
Cette fois, les habitus des vertus théologales ne sont plus des principes naturels qui subsistent en nous, mais proviennent de ce que Dieu imprime en nous. Ces vertus sont infusées en nous par l’Esprit Saint, elles ne sont pas acquises par notre expérience ou notre effort raisonnable. Les vertus que nous acquérons par la répétition de nos actes bons ne sont pas du même ordre. Vertus intellectuelles et vertus morales cardinales sont inscrites dans notre nature, alors que les vertus théologales sont l’irruption du surnaturel dans notre être par une infusion gratuite de Dieu. Nous poursuivrons plus avant notre découverte des vertus qui nous permettent de choisir le bien et de le mettre en pratique.