Quand le jargon professionnel nous enferme dans des dynamiques artificielles, le philosophe peut aider à revenir au réel en redécouvrant le sens des mots, témoins d’une sagesse commune qui rapproche les hommes.Comment peut-on se reconnaître dans ce langage managérial abscons, aussi peu clair que Français : Feed back, deadline, reporting, brainstorming, mais aussi reengineering, offshoring, bottom up, top down… ? Certains consultants prennent plaisir à utiliser ces anglicismes devant des clients qui se croient en retour obligés de les prononcer faute de mieux. Si La Mecque du management, c’est Harvard, il y aurait donc lieu d’en faire notre modèle à tous, de booster notre carrière, de développer notre leadership sans oublier de pratiquer un benchmarking ciblé !
Se méfier des jargons
Le retour à un langage commun peut se révéler libérateur. Pourquoi le langage professionnel serait-il nécessairement volontariste et guerrier, ou anglo-saxon ? Beaucoup de professionnels et de « RH » se méfient d’une utilisation excessive de ce vocabulaire, et sont mal à l’aise avec ces mots que l’on endosse souvent comme un uniforme trop étroit. Ce malaise plus ou moins explicite s’amplifie si, du vocabulaire, on passe aux attitudes artificielles qu’il induit et qui traduit mal le type de relations professionnelles que les responsables souhaitent développer avec leurs équipes.
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Face à un jargon managérial qui peut paraître artificiel et inadapté à des professionnels en quête d’une culture plus authentique, le philosophe peut intervenir : interroger tous les langages et se méfier des jargons, utiliser des mots simples, se référer aux définitions qui font partie du langage commun, n’est-ce pas simplifier, clarifier, relier, éclairer, en un mot commencer à faire œuvre de philosophie ?
L’enseignement de la famille des mots
Exemple : qu’est-ce qu’un manager ? Derrière ce mot anglo-saxon se cache une étymologie riche. Elle nous apprend que le mot management possède une racine commune avec le “manoir”, le “manant” (qui désigne à l’origine l’exploitant d’un “manse”, autrement dit d’une exploitation familiale, avec sa maison, ses dépendances, ses droits d’usage et ses champs), la maison, le ménage, la masure, la permanence… Tous ces mots contiennent l’idée forte d’un lieu habité, d’un soin apporté pour que ce lieu soit bien tenu, d’une exploitation commune entre proches, d’une stabilité. Les générations passées ont élaboré progressivement ces significations et les ont appliquées à des situations similaires dont on peut tirer un fil conducteur.
La comparaison des mots d’une même famille est toujours un voyage inspirant, une invitation à penser. De là, une réflexion commune avec les équipes est utile : il devient possible d’amplifier un management trop souvent volontariste, technicien et crispé sur le résultat financier en lui redonnant ses dimensions de soin coopératif, d’appartenance à une communauté humaine, et de projet global où chacun y trouve son compte.
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La vertu du dialogue en vérité
Ne nous leurrons pas, le philosophe n’est pas toujours nécessaire et les organisations peuvent vivre sans lui ! Mais rendons justice au fait qu’il peut se révéler utile pour clarifier le langage, instaurer un dialogue bienveillant, inspirer l’action grâce à un référentiel éprouvé, favoriser un esprit d’équipe par un accord sincère sur les valeurs, notamment éthiques, qui constituent le socle d’un travail ensemble. Il faut se défaire de l’idée que le philosophe ressemble à un professeur Tournesol qui chercherait dans une pièce obscure, un chat noir qui… n’y est pas !
En réalité, Socrate représente une probité intellectuelle dénuée d’arrogance, attachée à la progression de chacun par le dialogue. La célèbre “maïeutique” est l’art d’accompagner les autres pour les faire accoucher d’un trésor qu’ils ont en eux-mêmes. Révélé, ce trésor est autant une récompense pour Socrate que pour ses interlocuteurs !