L’amitié, qui n’est ni l’amour ni la charité, se fonde sur une égalité de relation entre les personnes. Elle éveille entre elles une invitation au partage, à la gratitude et à la bienveillance.
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Les Grecs définissaient trois formes d’amour : la philia, l’amitié, qui prend place entre l’éros, l’amour amoureux et l’agape, la charité. Alors que nos sociétés contemporaines surestiment l’éros et que l’Église privilégie l’agape, il n’est pas facile à la philia de trouver sa place. Pourtant, l’amitié est fondamentale pour vivre pleinement son existence.
L’amitié comme reconnaissance
Lors d’une retraite proposée récemment à Vézelay par les Fraternités monastiques de Jérusalem sur le thème « L’amitié, chemin vers Dieu », les participants furent invités à indiquer les mots caractérisant le mieux, selon eux, l’amitié. La confiance est arrivée en tête suivi de la fidélité puis de la bienveillance, du partage et de la sincérité. De belles qualités que l’on pourrait aussi attribuer, selon les cas, à l’amour amoureux ou à la charité. Ce qui distingue l’amitié de l’amour, c’est que l’amitié n’est pas exclusive puisqu’elle qu’elle n’implique pas un don corps et âme de soi-même. Ce qui la différencie de la charité, c’est qu’elle suppose la réciprocité et même l’égalité dans la relation. Si l’on voulait qualifier l’amitié par un seul mot, il faudrait parler de reconnaissance dans les trois acceptions de ce terme. Reconnaissance de quelque chose en commun, qu’il s’agisse d’un intérêt ou d’un trait de caractère, une ressemblance qui invite au partage. Reconnaissance au sens de gratitude, car l’amitié est un don gratuit que l’on reçoit comme un cadeau. Reconnaissance comme découverte de soi-même, l’ami, par sa bienveillance, voyant dans l’autre la beauté et le bien dont il n’a pas conscience.
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L’amitié est une alchimie pour ne pas dire un mystère. On se souvient de la célèbre phrase de Montaigne pour expliquer son amitié avec La Boëtie : “Parce que c’était lui, parce que c’était moi”. Déjà, au IVe siècle, saint Basile et saint Grégoire de Naziance avait vécu une belle amitié que le second décrivait ainsi après la disparition du premier : “On aurait cru que nous avions à nous deux une seule âme responsable de deux corps.”
L’amitié de Jésus
Et Dieu dans tout ça ? Si l’amitié est pour l’homme un chemin vers Dieu c’est que Dieu lui-même a déjà fait le chemin inverse pour aller vers l’homme. Tel est en effet le sens de l’incarnation. L’amitié est peu présente dans l’Ancien Testament où dominent la famille, le clan et la fratrie, plutôt repliés sur eux-mêmes. Il en va différemment avec le Nouveau Testament où le Christ se présente d’abord en ami : “Je ne vous appelle plus serviteurs, parce que le serviteur ne sait pas ce que fait son maître ; mais je vous ai appelés amis, parce que je vous ai fait connaître tout ce que j’ai appris de mon Père” (Jn 15, 15). Jésus est l’ami de Lazare et de ses sœurs Marthe et Marie qui, en retour, ne ménagent pas leur amitié à son égard. Il est aussi l’ami des Apôtres même si ceux-ci soumettent son amitié à rude épreuve.
Si l’amitié ne se mesure réellement que dans la tourmente, les Apôtres permettent en effet d’apprécier la pertinence de cette assertion. C’est bien sûr Pierre qui n’hésite pas à renier son Maître mais qui est pardonné par lui dès que leurs regards se croisent. De fait, il n’y a pas d’amitié sans pardon, d’autant que l’amitié est facilement blessée. Et c’est toujours dans le regard que l’amitié se noue et se renoue. Mais c’est surtout la trahison de Judas qui peut faire douter de la permanence du lien d’amitié entre Judas et son disciple. Certes, Judas à un profond regret de ce qu’il a fait mais il ne le manifeste qu’auprès de ceux dont il a accepté de servir le sinistre dessein. Pourtant, dès la fin de la Cène, alors que rien n’a encore été accompli mais que tout est déjà consommé, le Christ n’hésite pas à appeler Judas “Mon ami”. La formidable école de théologie que constituent les chapiteaux de la basilique Sainte-Marie-Madeleine de Vézelay ne s’y trompe pas : l’un d’eux représente Judas pendu et, juste à côté, le Christ le prenant sur ses épaules pour l’emmener avec lui. Cette amitié du Seigneur, c’est à chacune et à chacun d’entre nous qu’elle est donnée aujourd’hui. À nous, dans la pleine liberté sans laquelle il n’y a pas d’amitié sincère, de la refuser ou de l’accepter.
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L’amitié politique
Qu’elle soit spirituelle ou purement humaine, l’amitié doit nous interroger quant à ce qui nous définit. Cette question se pose spécialement en ce moment pour notre pays. Qui peut dépasser nos divisions si ce n’est cette “amitié française ” qui seule peut nous réunir ?
Plus que l’amour parfois incompris et que la charité, par trop unilatérale, plus même que la fraternité souvent clanique, l’amitié, spécialement en ce temps de Noël, est un véritable chemin de paix et de concorde pour regarder l’avenir avec confiance.
Cette tribune est rédigée en hommage à Serge Plénier, rédacteur en chef de l’Agence de communication interrégionale de presse-ACIP.