Tandis que le gouvernement a appelé les “gilets jaunes” à “être raisonnables” et à renoncer à leurs manifestations samedi, l’acte 5 de cette mobilisation interroge sur la tentation de certains à tirer de la rue ce qu’ils n’ont pas obtenu des urnes.
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Le discours à la Nation d’Emmanuel Macron de ce 10 décembre a été suivi par vingt-trois millions de Français. Une audience inégalée qui illustre l’impact sur le pays de la mobilisation des gilets jaunes. L’enjeu, d’évidence, n’était pas d’abord pour le chef de l’État de convaincre les intéressés eux-mêmes mais de faire basculer l’opinion publique, majoritairement favorable au mouvement, en lui donnant des gages de compréhension et de bonne volonté. Les sondages d’opinion réalisés au lendemain de l’intervention télévisée (Opinion Way et Odoxa) montrent que le pays reste partagé entre le souhait grandissant de voir cesser les violences et, “en même temps” la compréhension pour les revendications des manifestants.
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On peut donc penser que l’acte 5 qui se profile à l’horizon de cette fin de semaine sera décisif. Il marquera soit une sorte de baroud d’honneur amorçant un lent désengagement des manifestants à la veille des fêtes de fin d’année ; soit le basculement dans une radicalisation incontrôlable aux conséquences sociales, politiques voire institutionnelles totalement imprévisibles.
Révélateurs d’une crise profonde, les gilets jaunes ne sont pas pour autant la voix du peuple
Le mouvement des gilets jaunes, cela a été dit et redit, et ici même, n’est pas né d’une génération spontanée. Il représente l’aboutissement de décennies d’accroissement des fractures entre gagnants et perdants de la mondialisation. Sur fond de mépris. Si les gilets jaunes se sont fait les révélateurs d’une crise profonde, existentielle, ils ne peuvent pour autant prétendre incarner le peuple. C’est bien là l’ambiguïté majeure pour ne pas dire la contradiction de la situation présente : voir un mouvement qui conteste la légitimité de tout corps intermédiaire, qu’il soit de nature élective, politique ou syndicale, se poser lui-même en unique corps intermédiaire entre le pays et le chef de l’État. Une prétention injustifiable et inacceptable.
Si le “trop peu, trop tard” entendu au lendemain du discours du Président de la République ne constitue pas une surprise, il interroge. Il laisse entendre que ce “trop peu” eût pu être suffisant s’il avait été accordé plus tôt… Ce qui pourrait, mais ne doit pas, discréditer le propos. Car c’est là une manière de signifier que, pour beaucoup, la conscience même de la profondeur du malaise est née dans la France des rond-points, du récit que les uns et les autres ont partagé sur leurs conditions d’existence. Et que là se sont également muries des revendications assurément disparates et sans doute irréalistes, mais conformes à ce que produit toujours, dans l’Histoire, ce type de situations.
La tentation de surenchérir sur la violence pour obtenir de nouvelles concessions
Le “trop peu, trop tard” s’enracine également dans la conviction, difficilement réfutable, que sans les violences de ces dernières semaines le gouvernement n’aurait sans doute rien concédé. Et donc qu’il est imaginable d’obtenir demain, de nouvelles concessions, en poursuivant la mobilisation, au risque assumé d’un surcroit de violences. A cette différence près, par rapport aux semaines précédentes, qu’ajouter la radicalisation des uns à la stratégie de chaos de quelques milliers d’activistes, dans un contexte où les forces de police et de gendarmerie sont à bout de forces et doivent en plus faire face à la menace terroriste comme on le voit à Strasbourg, peut conduire, avant même tout recul supposé du gouvernement, à une forme de déflagration.
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Imaginer que d’un chaos pourrait surgir un ordre nouveau porteur de plus de justice
Or il est aujourd’hui tout à fait clair qu’un certain nombre de leaders et militants politiques, assument froidement cette perspective. Pour certains se joue là, finalement, avec dix-huit mois de retard, le troisième tour d’une élection présidentielle dont le résultat leur a toujours semblé illégitime. Avec la conviction sous-jacente que d’un chaos peut naître un ordre nouveau porteur de plus de justice… Logique ouvertement révolutionnaire dont on sait d’expérience qu’elle débouche rarement sur autre chose qu’un régime autoritaire auto-justifié dans sa détermination à mettre en œuvre des réformes prétendument souhaitées par le peuple. Jusqu’à ce qu’à son tour il soit victime d’un nouveau “dégagisme”. Le pays étant prié de payer l’addition. Il y a une forme de lâcheté, de la part de certains, à miser sur un possible chaos pour imposer au pays des idées dont ils ne sont pas parvenues à convaincre les citoyens de la pertinence.
Faire prévaloir le débat démocratique sur l’affrontement et la violence.
Dramatisation excessive ? Voire ! À ce jour le chef de l’État est légitime, quelles qu’aient pu être les circonstances singulières de son élection. Et légitimes aussi bien le gouvernement que le parlement. Entretenir la suspicion à leur égard, quel que puisse être un certain ressentiment populaire, est irresponsable. Que notre pays soit, depuis longtemps, en situation d’anémie démocratique, qu’il devienne urgent de repenser les contours d’une participation citoyenne renouvelée aux choix décisifs qui engagent le pays ne disqualifient pas pour autant les institutions en place pour mener à leur terme les réformes souhaitables. Et si d’autres choix relatifs à l’urgence économique, sociale, environnementale apparaissent nécessaires à une majorité de nos concitoyens, il leur est toujours possible de l’exprimer dans les urnes, et dès le Printemps prochain. Ce qui oblige les formations politiques à une exigence de clarté sur les alternatives qu’elles proposent au pays. Car c’est bien cette absence d’alternative qui a nourri le discrédit dont elles sont aujourd’hui victimes. Et il y aurait quelque paradoxe à les voir récupérer, à la faveur du désordre, un mouvement qui dénonce leur indigence.
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S’il est vrai que la démocratie s’invente aussi au travers des luttes, s’il est vrai que la violence du “désordre établi” qui plonge des millions de Français dans la précarité devrait nous être également insupportable, il nous appartient de faire prévaloir sur l’affrontement et la violence le débat démocratique et le dialogue, auxquels appellent, même si c’est sous la contrainte des événements, le Président de la République et en écho, les évêques de France. Au besoin en poussant ce débat jusqu’à la confrontation, dès lors qu’elle reste pacifique. C’est ce qu’on appelle la civilisation.