Le « Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières », surnommé « Pacte de Marrakech », a été signé par les États membres de l’ONU ce lundi 10 décembre au Maroc, à Marrakech. Mais depuis quelques semaines, il suscite beaucoup d’inquiétudes. Explications.
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Que contient ce Pacte ?
Ce pacte vise à « améliorer la coopération en matière de migration internationale ». Pour y parvenir, il établit un « cadre de coopération juridiquement non contraignant » en recensant d’abord des principes directeurs que sont la défense des droits de l’homme, des enfants, la coopération internationale, le développement durable mais aussi la reconnaissance de la souveraineté nationale. Le Saint-Siège, qui s’est impliqué dès le début des négociations, a indiqué accueillir “dans l’espérance” l’adoption de ce texte qui s’inscrit pleinement dans les objectifs du pape François : « Accueillir, protéger, promouvoir et intégrer ». “Cela a constitué un important exercice de multilatéralisme, une approche que beaucoup considèrent comme le seul moyen d’affronter les plus grands problèmes qui affligent l’humanité”, s’est ainsi félicité le Saint-Siège dans un communiqué.
Le document formule ensuite 23 propositions afin d’aider les pays à faire face aux migrations. Par exemple, il propose de « collecter et utiliser des données précises et ventilées qui serviront à l’élaboration de politiques fondées sur la connaissance des faits », de rendre accessibles et plus souples les filières de migrations régulières (élaborer, en coopération avec les acteurs concernés, des accords bilatéraux, régionaux et multilatéraux fondés sur les droits de l’homme, faciliter la mobilité régionale et interrégionale de la main d’œuvre…), de favoriser l’échange d’expertise mais aussi de « ne recourir au placement en rétention administrative des migrants qu’en dernier ressort et chercher des solutions de rechange ». « Ce pacte réaffirme les droits fondamentaux de chaque personne », confie Solène Bedaux, chargée de plaidoyer au Secours catholique, qui suit les négociations depuis 2016. « Il ne créé pas de nouveau droit mais propose des innovations intéressantes que sont l’accessibilité de voies de migrations sûres et légales ou encore la mise en place de visas humanitaires tenant compte du changement climatique et des dégradations environnementales ce document a le mérite de proposer des solutions pour ré humaniser les politiques migratoires ».
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Pour le Saint-Siège, ce pacte “est en quelque sorte un menu ou un kit d’instruments que les États (et les autres acteurs) peuvent choisir pour agir en leur sein, bilatéralement ou même au niveau régional, selon les circonstances et les besoins particuliers. Ainsi les politiques effectives et les meilleures pratiques des États, des regroupements régionaux, des organisations religieuses ou autres sont réunis dans un unique document pour offrir une plate-forme et une référence à l’ensemble de la communauté internationale. Une plus grande coopération et une répartition des responsabilités constituent un thème récurrent de ces deux Pactes”.
Pourquoi suscite-t-il des inquiétudes ?
Depuis plusieurs semaines les réseaux sociaux témoignent d’une montée des inquiétudes. En France plusieurs partis politiques se sont élevés pour dénoncer la signature de la France. Certains soulignent une « atteinte à la souveraineté nationale », d’autres affirment qu’il instaure « un véritable droit à la migration ». « Ces inquiétudes sont infondées », rétorque Solène Bedaux. « Il faut lire le texte, le principe de souveraineté est réaffirmé dès les premières lignes du document. Il n’est nullement question que la France transfère sa souveraineté aux Nations unies. Par ailleurs il s’agit d’un document non-contraignant, il n’y a donc pas de sanction », détaille la jeune femme. « Ceci étant dit, la souveraineté d’un pays est subordonnée au droit international qui garantit les droits fondamentaux ; le principe de souveraineté n’est donc pas illimité », rappelle-t-elle. Concernant la gestion des frontières, ce pacte migratoire invite à une plus grande coopération entre les pays mais, encore une fois, chaque pays garde la main sur cette gestion.
Quelle est la genèse du texte ?
« C’est Ban Ki-moon, l’ancien secrétaire général de l’ONU qui a lancé cette initiative en 2016 (la déclaration de New York pour les réfugiés et les migrants du 19 décembre, ndlr) », rappelle Solène Bedaux. Votée à l’unanimité par l’Assemblée générales des Nations unies, cette déclaration prévoyait l’adoption de deux pactes mondiaux : un pour les réfugiés (en cours) et un autre pour les migrations en général. C’est de ce dernier dont il est question actuellement. Ce Pacte sur les migrations a fait l’objet de nombreuses négociations de février à juillet 2018.
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Qui l’a signé ?
Quelque 150 pays ont adopté lundi à Marrakech le Pacte mondial sur les migrations des Nations unies. Le document doit encore faire l’objet d’un ultime vote de ratification, le 19 décembre à l’Assemblée générale des Nations unies à New York. La plupart des pays du monde l’ont donc adopté, à l’exception notable des États-Unis qui s’étaient retirés il un an des discussions lors de l’élaboration du document. “La Déclaration de New York comprend plusieurs dispositions qui sont incompatibles avec les politiques américaines d’immigration et de réfugiés et les principes édictés par l’Administration Trump en matière d’immigration“, avait justifié en décembre 2017 la mission des États-Unis auprès de l’ONU. “Nos décisions sur les politiques d’immigration doivent toujours être prises par les Américains et les seuls Américains“. Pour mémoire, sous la présidence républicaine de Donald Trump, les États-Unis se sont déjà retirés de plusieurs engagements pris sous l’administration de Barack Obama. En Europe, la Hongrie a rapidement adoptée la position américaine. Et à l’approche du sommet de Marrakech, plusieurs pays ont annoncé qu’ils renonçaient à le signer ou souhaitaient différer leur décision. C’est le cas de l’Australie, la République tchèque, Israël, la Pologne, l’Autriche, la Bulgarie, la Slovaquie. En Belgique et en Suisse, la signature de ce document a provoqué une crise politique.
Quelle est la portée du document ?
« C’est la première fois que les États se sont mis autour de la table pour discuter au sujet des migrations », se réjouit Solène Bedaux. « Jusqu’à présent il y avait la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés mais avec la crise migratoire de 2015, les États ont compris la nécessité de réfléchir ensemble sur la politique migratoire ». Pour le père Paumard, directeur du service jésuite des réfugiés en France, « c’est une bonne nouvelle car elle témoigne d’un travail collectif mené entre différents États ». En effet, rappelle-t-il, « quand on évoque la migration on critique beaucoup l’absence de coordination entre les pays de provenance, de transit et d’accueil. Ce travail est déclaratif, certes, mais il sert à donner un cap, à proposer des horizons ».
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