Les Gilets jaunes ne sont pas seulement cette France périphérique que le pouvoir parisien ignore, ils sont les vétérans de Mai 68. Une génération déracinée qui a perdu le sens de la vie et de sa place dans la société.
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Sous la plage, les pavés ! En mai 68, tout était parti de ce que Maurice Clavel avait appelé un “retour de l’Esprit”, une manière de Pentecôte jeuniste qui, en quelques jours, était passé de la dénonciation du matérialisme (“sous les pavés, la plage”, selon la formule revendiquée par Jean-Édern Hallier) à un mouvement générationnel. Le pavé, c’était la société bourgeoise des villes. La plage, c’était les grandes vacances qui approchaient, la campagne, la Nationale 7 et les filles. Mais 68 fut une bataille des jeunes contre les vieux. Les étudiants qui avaient de l’avenir plein les poches voulaient non pas le désordre, mais bien un nouvel ordre, dont ils seraient les maîtres.
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Le meurtre du père
L’affaire a tourné court en apparence. Les vieux en avaient vu d’autres. Ils ont remis tout le monde dans le rang après les législatives. La jeunesse française s’était offert, le temps d’un bref chahut, le luxe d’ébranler le général de Gaulle, un président âgé et glorieux qui récapitulait tout ce qu’au fond elle détestait. Les slogans de mai, son moteur même, étaient un appel au meurtre du père. C’est pourquoi les tentatives de récupération par des quinquagénaires comme Mitterrand ou de sexagénaires comme Mendès-France, ont alors sombré dans le ridicule.
Une fois le père tué, après 1969, les fils sont allés chez le coiffeur. Ils ont pris le pouvoir sans plus se poser de question. Ils ont fait carrière. Aujourd’hui, ils sont à la retraite, à l’exemple de leur leader Daniel Cohn-Bendit, définitivement rangé des voitures, cantonné au rôle très bourgeois de commentateur désabusé de la vie politique.
Une révolution inverse
Nous avons à présent une révolution inverse de celle de mai, et d’ailleurs sans équivalent dans notre histoire, car avec les Gilets jaunes, ce sont cette fois des vieux qui veulent tuer le fils. Des retraités censément pleins de sagesse, relayés par des actifs de la France d’en bas, s’en prennent à un jeune Président de culture urbaine, fils spirituel de Mai, imprégné de la bien-pensance libérale et libertaire née à la fin des années soixante.
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Ne nous y trompons pas : les Gilets jaunes ne sont pas seulement cette France périphérique que le pouvoir parisien méprise ou plutôt qu’il ignore, cette France des campagnes qui “fume des clopes et roule en diesel” : ils sont les vétérans de Mai 68. Le baby-boom avait engendré mai 68 ; le papy-boom fait renaître le goût des combats de rue, mais un combat de rue défensif, dans lequel une certaine candeur des luttes étudiantes a disparu. Ce n’est plus “sous les pavés la plage” mais bien “sous la plage, les pavés”. Les retraités d’aujourd’hui, pour beaucoup d’entre eux, ne savent plus à quoi ils servent. Ils ont perdu cette légitimité à tisser les liens entre les générations qui donnaient du sens à la vieillesse. Dans un monde mobile et uberisé, un monde finalement imprégné du mirage soixante-huitard, ils sont condamnés au désespoir. Avec les gilets jaunes, il n’y a vraiment pas de quoi rire.
Le sens de notre vie
Brûler des poubelles pour le prix du gazole est certes plus prosaïque que de lancer un cocktail molotov pour libérer la vie. Mais d’une certaine façon c’est bien la même génération qui est à l’œuvre, la génération déracinée née dans les années soixante, grandie dans les années-fric, et qui aura passé sa vie à voir les églises se vider et la France se défaire.
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Les étudiants de mai ont autrefois joyeusement tué le père. On les retrouve cinquante ans plus tard en train de saucissonner tristement sur les ronds-points. Une fois qu’ils auront tué le fils, que leur restera-t-il ? Il nous faut d’urgence redire à nos aînés combien nous avons besoin d’eux. Ils sont le sens de notre vie.