La sphère publique pourrait faire mieux pour moins cher : c’est ce qui explique le « ras-le-bol » des Gilets jaunes. Le recours à une meilleure application du principe de subsidiarité permettrait une plus grande efficacité de nos services publics.
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Pourquoi des centaines de milliers de Français participent-ils aux blocages ou ralentissements de la circulation en riposte à une annonce de hausse des taxes sur les carburants, alors qu’il s’agit d’une simple goutte d’eau (ou de pétrole ?) dans l’océan de taxes et impôts auxquels sont soumis en France les citoyens et les entreprises ?
Beaucoup d’explications ont été avancées. La plus simple me paraît être à la fois convaincante et insuffisante. Convaincante : quand un vase est rempli à ras bord, une simple goutte de plus suffit à le faire déborder. Mais cette réponse n’est pas suffisante ; elle débouche sur une autre question, plus importante : pourquoi le vase est-il plein ? Est-ce qu’il est trop petit, ce qui voudrait dire que les Français ne sont pas assez conscients de la nécessité des impôts (pour avoir de bons services publics, pour lutter contre la pollution et l’augmentation de la teneur de l’air en gaz carbonique, etc.) ? Ou bien est-ce que nos dirigeants veulent y verser trop d’eau, c’est-à-dire nous prélever trop, pour des raisons qui ne sont pas de bonnes raisons ?
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Sans vouloir nier une certaine insuffisance de l’esprit civique et de la compréhension des problèmes qui exigent l’intervention des pouvoirs publics, la balance me paraît pencher du second côté, pour deux raisons principales : primo, la fiscalité est trop lourde par rapport à ce qu’elle réussit à financer ; et secundo les présidents, ministres et hauts fonctionnaires veulent trop en faire, comme le prévoyait déjà au XIXe siècle Alexis de Tocqueville, qui sentait arriver des gouvernements croyant que c’est à eux de faire le bonheur de la population — un bonheur, naturellement, défini par leurs soins.
Les vertus de la subsidiarité
La doctrine sociale de l’Église insiste sur les vertus de la subsidiarité, que l’encyclique Quadragesimo anno définissait de la manière suivante : « De même qu’on ne peut enlever aux particuliers, pour les transférer à la communauté, les attributions dont ils sont capables de s’acquitter de leur propre initiative et par leurs propres moyens, ainsi ce serait commettre une injustice, en même temps que troubler de manière très dommageable l’ordre social, que de retirer aux groupements d’ordre inférieur, pour les confier à une collectivité plus vaste et d’un rang plus élevé, les fonctions qu’ils sont en mesure de remplir eux-mêmes. »
L’Église n’est certes pas un organisme de recherche sur la gestion efficace des services publics, mais elle n’est nullement indifférente à cette question. Le mot « efficacité » figure dans l’index analytique du Compendium de la doctrine sociale, et 15 articles du compendium y sont référencés. Par exemple, l’un d’eux s’intitule « Organisation du travail et efficacité », un autre « Marché et résultats efficaces », un troisième « Économie et services publics efficaces ». Dans ce dernier, qui porte le numéro 352, on peut lire notamment cette citation de l’encyclique Centesimus annus : « L’activité économique suppose que soient assurées les garanties des libertés individuelles et de la propriété, sans compter une monnaie stable et des services publics efficaces. »
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L’article 332 associe « l’efficacité économique » et « la promotion d’un développement solidaire de l’humanité ». Sans que cela soit dit expressément, la référence qui y est faite aux « structures de péché qui engendrent et maintiennent la pauvreté, le sous-développement et la dégradation » semble bien indiquer que la mise en place, le maintien et la croissance de systèmes inefficaces peut contribuer à l’instauration et à la prolifération de ces structures de péché auxquelles Jean Paul II attribuait une grande importance. Et si l’inefficacité d’une entreprise est grave, notamment parce qu’elle peut déboucher sur sa mise en liquidation et sur le chômage des personnes qu’elle employait, l’inefficacité d’une administration ne l’est pas moins. Par exemple, si l’enseignement public comporte un bon nombre d’établissements où les élèves ne sont pas correctement formés, c’est à la fois l’avenir de ces jeunes et celui de notre société qui est mis en péril.
À la médiocrité du service rendu peut hélas s’ajouter la dépense excessive effectuée, aux frais du contribuable-cotisant (pensons non seulement aux impôts, mais aussi aux cotisations sociales), pour des résultats qualitativement acceptables, mais obtenus à des prix exorbitants. L’Institut Santé, association regroupant des chercheurs, des soignants libéraux, des personnes employées par nos hôpitaux ou par les organismes administratifs qui s’occupent de la santé, à commencer par l’assurance maladie, vient justement de dresser, pour cet important secteur, une étude débouchant sur des propositions concrètes : mises en application, celles-ci devraient déboucher au bout de trois ans sur dix milliards d’économies par an en même temps que sur une amélioration du service rendu. C’est un exemple parmi d’autres. Mes propres travaux en matière de retraites par répartition, dont le Haut-Commissariat à la réforme des retraites a repris bien des idées, montrent que l’on pourrait, en simplifiant le système, améliorer le service rendu et en même temps économiser 2 à 3 milliards d’euros de frais de gestion chaque année.
La sphère publique pourrait donc faire mieux pour moins cher : c’est ce qui explique le « ras-le-bol » des porteurs de gilets jaunes.
Comment faire mieux et plus pour moins cher ?
Ponctionner chaque année quelques centaines de millions d’euros supplémentaires, voire deux ou trois milliards, sur les utilisateurs de véhicules à moteur thermique, va dispenser l’administration actuelle de s’attaquer à un certain nombre de chantiers, ou lui permettre de laisser traîner en longueur les véritables réformes. Celle des retraites aurait pu être votée d’ici quelques mois si le travail préparatoire s’effectuait à un rythme soutenu, et chaque mois passé à discutailler représente environ 200 millions d’euros gaspillés.
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Comment parvenir à une plus grande efficacité de nos services publics ? Chacun d’entre nous a certainement vécu des expériences qui donnent des indications en la matière. Personnellement, je citerai simplement un petit incident récent : des gamins mal élevés ont pris notre poubelle destinée aux objets recyclables et l’ont fait brûler, avec son contenu. J’ai voulu en racheter une : impossible ! Seule l’administration qui régente notre agglomération peut la fournir, d’ailleurs gratuitement. Mais pour l’obtenir, il faut aller porter plainte au commissariat ou à la gendarmerie. Le gendarme de service, très aimable, a passé une demi-heure à rédiger ce précieux papier : j’ai compris pourquoi nos forces de l’ordre n’ont pas toujours le temps de courir après les voleurs ou de répondre à l’appel au secours d’une femme battue.
Des centaines de simplifications relevant du simple bon sens pourraient être effectuées, faisant gagner du temps à la fois aux citoyens, et aux agents de la fonction publique. « Que votre langage soit : “Oui ? Oui”, “Non ? Non” » lit-on en Mt 5, 37 : la simplicité est une vertu évangélique, mais elle est aussi un chemin pour parvenir à plus d’efficacité, au bien commun… et à moins d’impôts générateurs de gêne et de rancœur.