Le mouvement #NousToutes appelle à marcher ce 24 novembre contre les violences sexuelles et sexistes. Outre les nombreuses associations féministes aux revendications spécifiques et qui ne font pas l’unanimité qui se cachent derrière, comment interpréter cette mobilisation ?
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« Le 24 novembre, marchons toutes et tous pour en finir avec les violences sexistes et sexuelles », c’est l’appel lancé par le mouvement #NousToutes, un collectif qui rassemble une dizaine d’associations féministes telles que le Groupe F, le Planning Familial, Osez le féminisme ou encore Fédération National Solidarité Femmes. De nombreuses personnalités issues de la politique, des mondes associatif, culturel, médiatique ou syndical, ont apporté ces derniers jours leur soutien à ces marches via des tribunes. Mais depuis quelques jours, un autre mouvement, #NousAussi, fait parler de lui.
250 femmes violées chaque jour en France
De quelle réalité parle-t-on ? En France, en 2017, 219.000 femmes ont déclaré avoir été victimes de violences physiques et/ou sexuelles dans un cadre conjugal, selon des données publiées par la Mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences (Miprof). L’année précédente, 123 femmes avaient été tuées par leur conjoint ou ex-compagnon, soit environ une tous les trois jours. En outre, plus de 250 femmes sont violées chaque jour en France, et une sur trois a déjà été harcelée ou agressée sexuellement au travail. D’après l’Organisation des Nations unies, une femme sur trois subira des violences au cours de sa vie. Professeure de littérature à l’université Sorbonne-Nouvelle et auteur de plusieurs ouvrages dont Le Consentement amoureux, Galanterie française et Le goût de la vie commune, Claude Habib revient pour Aleteia sur ce mouvement et, plus globalement, sur la relation à cet autre.
Aleteia : Quel regard portez-vous sur le mouvement #NousToutes ?
Claude Habib : La condamnation des violences sexuelles et sexistes est un sujet tellement consensuel en France que j’ai du mal à voir qui pourrait être contre. Le monter en épingle et faire croire que nous nous trouvons dans une situation d’antagonisme comme le fait Caroline de Haas ne peut traduire qu’une volonté de sa part de se remettre en avant. En France, la situation pourrait être améliorée mais elle n’est pas mauvaise, loin de là. Mais si on acceptait de dire qu’il y a des pays dans lesquels la situation des femmes est moins bonne qu’en Occident, on perdrait le caractère mondial de cette lutte. Cette manière d’extrémiser les violences faites aux femmes jusqu’à en faire un « féminicide », est une manière de ne rien y voir du tout. Les violences conjugales doivent être replacées dans l’ensemble des violences privées. La vie privée est l’endroit où l’on est censé, dans l’imaginaire collectif, trouver le bonheur. Pour certains, elle s’avère être un lieu de détresse, suffocant. Et ce malheur prend des formes extrêmement diverses.
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Les féministes n’arrêtent pas d’imaginer un monde dans lequel les femmes se comporteraient avec les hommes comme les hommes se comportent avec les femmes. Cette idée d’une justice par symétrisation des désirs – que les femmes désirent et déclarent leurs désirs comme font les hommes – existe depuis au moins trois siècles, Fontenelle ou Marivaux l’agitaient déjà. En fait, il n’y a pas de symétrie entre le regard de l’homme désirant et celui de la femme désirante. Le désir masculin a un caractère immédiat, c’est une réaction à des formes visibles, il est fixé sur ce qu’on appelait autrefois des appâts, ce que l’industrie pornographique peut exploiter. Pour la plupart des femmes, l’érotisation est plus graduelle, et surtout elle n’est pas liée de la même façon à la pulsion scopique, le désir est suscité par une impression générale de beauté et de puissance, il n’est pas localisé. La symétrisation est une fausse bonne idée, c’est ce que Nancy Huston appelle « la nouvelle inculture sexuelle ». Cela étant dit, une chose est en train de changer : la compréhension qu’ont les hommes de ce que vivent les femmes au quotidien. Cette ‘libération de la parole’ a eu au moins un effet positif : elle a permis aux hommes de comprendre le quotidien des femmes. Certains étaient authentiquement stupéfaits devant ce qu’ils découvraient des difficultés quotidiennes des femmes, en particulier des jeunes femmes . Qu’ils en prennent conscience, c’est un acquis très important.
Plusieurs associations féministes ont affirmé que « la honte et la peur doivent changer de camp »… Qu’est-ce que cela vous évoque ?
On ne gagne rien à tenir ce genre de discours. Au contraire, il faut chercher à augmenter l’intercompréhension des sexes, et ne pas imaginer que c’est un jeu à somme nulle, où le soulagement de l’un fait le malheur de l’autre.
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Comment envisager les relations entre hommes et femmes aujourd’hui ?
Personnellement, j’ai toujours cherché mon bonheur dans ce rapport à la différence des sexes. L’autre de l’autre sexe, c’est une Amérique, je veux dire une aventure ! Il y a dans la manière d’être masculine une altérité qui est un ressort du plaisir et du bonheur, pas seulement de la crainte. Réduire le masculin a la violence, c’est perdre l’idée de ce qu’il peut apporter d’inattendu, la part de risque et le charme du risque. Et puis, à côté de la violence, toujours possible, toujours redoutable, il y a aussi la capacité de dépassement, le mouvement chevaleresque dont certains se révèlent capables. Les hommes ne sont pas voués à être des « dominants », ils peuvent se dominer. C’est pourquoi l’altérité masculine ne doit pas être seulement un objet de hantise, on peut y reconnaître une ressource vitale. Sans doute que vu de l’autre bord, le féminin n’est pas moins énigmatique, et pas moins chérissable. Se lier à un être de l’autre sexe, apprivoiser cette différence irréductible, c’est un espoir assez général. Par conséquent la déception peut être au rendez-vous : la déception est d’autant plus forte que l’espoir était élevé.
Peut-on éduquer à l’altérité ?
Oui, par la galanterie ! C’est la seule perspective d’une éducation qui ne soit pas exclusivement répressive et finalement castratrice. Car la galanterie est une éducation du désir. Dans le motif galant, la femme est éducatrice du désir. Elle est la maîtresse du jeu. Le galant homme, c’est le contraire de Weinstein ou de DSK. L’homme qui cherche à être le plus galant – nous dirions le plus charmant-, suscite l’intérêt des femmes et se soumet à leur verdict. La ligne de fuite de la galanterie, c’est le plaisir, mais un plaisir au gré de femmes qu’elles autorisent ou qu’elles diffèrent : sur lequel elles règnent. C’est donc un idéal conciliateur. Évidemment cette civilité se joue à deux : si les femmes rembarrent constamment les hommes et manifestent toujours une agressivité défensive à leur encontre, elles ne feront que brutaliser les hommes, elles ne les civiliseront pas. Ce qui me paraît précieux, dans l’échange galant, c’est qu’il invite l’un et l’autre à se mettre à la place de l’autre, à chercher à se deviner. Sur le mode plaisant – car c’est toujours un jeu, la galanterie n’a rien de sérieux -, hommes et femmes s’apprivoisent, apprennent à se transporter dans la condition de l’autre, à épouser son point de vue.
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