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Comment faire face à des pulsions suicidaires

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Joël Pralong - publié le 20/11/18
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Supérieur du séminaire du diocèse de Sion, en Suisse, le Père Joël Pralong revient pour Aleteia sur le drame que représente le suicide des jeunes.

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Aleteia : « Elle, il a choisi de nous quitter » dit-on souvent lors de l’annonce d’un suicide. Choisit-on vraiment de mettre fin à ses jours ?
Joël Pralong : Le suicide est-il vraiment un choix libre, en toute connaissance de cause ? Cette question en entraîne une autre : sommes-nous réellement libres dans la vie de choisir ce qui est un bien pour nous ? Nous avons en général le sentiment d’être libres de nos choix. Mais il nous arrive aussi, en regardant en arrière, de regretter le choix que nous avons fait : « Ah ! Si j’avais su, je ne l’aurais pas fait... » Ce regret montre que le sentiment de choisir librement est peut-être illusoire, et qu’alors, ce qui paraissait être un bien nous a fait du mal en réalité. Parfois aussi nous agissons sous la pression d’un leader, d’une opinion, de tel courant de pensée, de tel groupe politique, de telle mode vestimentaire, etc. Et parfois sous la contrainte de forces intérieures : peurs, angoisses, paniques, colères, état de manque… Par exemple, prendre une décision sur un coup de blues, un coup de tête, un coup de foudre, un coup de cœur ou un instant de désespoir n’est pas un acte de liberté ni de responsabilité. Comme on ne choisit pas de tomber amoureux. L’acte dicté par la crainte, la panique, la jalousie, la colère, diminue de beaucoup la responsabilité de la personne et parfois l’abolit purement et simplement. D’où la définition du suicide par Victor Hugo : « Le suicide n’est pas une lâcheté comme le disent les prêcheurs qui exagèrent. Ce n’est pas non plus un acte de courage. C’est une lutte entre deux craintes. Il y a suicide quand la crainte de la vie l’emporte sur la crainte de la mort. »

De quoi le suicide est-il l’acte ?
Disons-le clairement : le suicide n’est pas un acte de lâcheté ni de courage, ni de liberté, ce qui pourrait le rendre attrayant. Le courage serait plutôt de vivre malgré les difficultés. La plupart des personnes suicidaires ne qualifient pas le suicide comme un geste de courage ou de lâcheté. D’après elles, le suicide représente la forme la moins mauvaise pour mettre fin à une souffrance devenue insupportable. Moins qu’un acte libre, c’est un geste de désespoir sous la pression d’une douleur devenue insupportable.

Comment le désir de mort devient-il plus fort que l’instinct de vivre ?
En réalité, la personne qui met fin à ses jours cherche confusément à retrouver la paix intérieure. Notre nature est tournée vers la vie. Prenez une torche enflammée, tournez-là dans tous les sens, la flamme tendra et s’élèvera toujours vers le haut, car telle est sa nature. Ainsi en est-il de la nature humaine : en quête de bonheur, faite pour le bonheur, toujours tendue vers le Bien… vers Dieu. Alors, comment expliquer ce geste de mort qui est le contraire du bien, du bonheur ?  En réalité, perturbé et conditionné par la douleur, le suicidaire se trompe de bien. L’intelligence juge comme « bien » quelque chose qui, en réalité, est un « mal », d’où la citation de Blaise Pascal : « Tout le monde désire d’être heureux, même ceux qui vont se pendre. » Autrement dit, en cherchant à mettre fin à ses jours, le suicidaire désire ce qu’il pense être un bien, et ce « bien » le tue ! Il se trompe de chemin. Et si Dieu est le Bien ultime auquel notre cœur aspire, alors nous pouvons espérer que le suicidé a trouvé Dieu… « En effet, aucun de nous ne vit pour lui-même et aucun ne meurt pour lui-même : si nous vivons, c’est pour le Seigneur que nous vivons, et si nous mourons, c’est pour le Seigneur que nous mourons. Ainsi, soit que nous vivions, soit que nous mourions, nous appartenons au Seigneur » (Rm 14, 7-8).

Pourquoi l’adolescent est-il particulièrement vulnérable ? Y a-t-il des natures plus fragiles que d’autres ?
« Derrière le désir de mort se cache le plus souvent chez l’adolescent un formidable désir de vivre autrement », écrit le père Jean-Marie Petitclerc. « On se trompe fortement lorsqu’on pense que l’adolescent suicidaire est fasciné par la mort. En fait, il éprouve un grand désir de vivre, mais autrement, car la réalité de sa vie au quotidien lui paraît trop décevante au regard de ses aspirations. [...] Ce qui est terrible, c’est qu’un tel désir de vivre conduise tant de jeunes vers la mort . » En réalité, le jeune n’a pas envie de mourir, il veut seulement changer une situation devenue intenable, trouver un îlot de paix. D’où l’importance d’observer ses états d’âme, ses changements d’humeur et d’attitude, les phrases menaçantes qu’il lâche, son comportement à l’école, ses résultats scolaires… Ce sont autant d’indices à ne pas négliger. Certes, un ado est plus fragile car il a souvent de la peine à prendre de la distance entre ses rêves, ses aspirations, et la dure réalité du quotidien. Un ado peut mettre fin à ses jours sur un simple gros coup de blues : une mauvaise note à l’école, un chagrin d’amour, le sentiment d’être exclu du groupe, etc. J'ai rencontré dernièrement Valérie après sa tentative de suicide. Je lui demande de se souvenir de ce qui s’était passé dans sa tête à ce moment crucial de son adolescence, et comment elle entrevoyait la mort, elle m’a répondu : « À l’époque, j’avais 17 ans et me sentais mal dans ma peau. J’avais l’impression que personne ne m’aimait, je n’aimais pas mon corps, mes proches me rabaissaient tout le temps, je me détestais. Alors, pour me faire accepter, je jouais un rôle, celui de la gentille fille qui dit oui à tout le monde, et tout le monde me trouvait joviale, bien dans ma peau, tandis que moi au-dedans, c’était une autre histoire. Alors, un dimanche je décidais d’en finir avec cette vie devenue insupportable. Mon geste suicidaire, je l’ai préparé lucidement, de manière réfléchie et responsable : je savais ce que j’allais faire. J’avais la foi, je croyais en Dieu, mais la question de l’au-delà n’est pas venue embrouiller mes pensées. J’étais déterminée. Je ne voyais pas d’autre issue. Dans mon esprit, la mort n’avait pas la couleur qu’on lui prête en général. Pour moi, mourir signifiait abréger mes souffrances, aller mieux, trouver la paix et la délivrance de mes ennuis, et non la fin de tout. J’étais franchement très fâchée de m’être ratée. Par la suite, je me suis faite aider et, peu à peu, j’ai appris à m’aimer, à me confier à des amis. Je me suis prise en mains, en me disant que la vie valait certainement la peine d’être vécue. »

Que dire aux camarades d’un jeune qui vient de se suicider ?
Les jeunes réagissent violemment au choc. Ils sont effondrés, sans voix. Un lourd silence pèse autour de l’événement : « Si j’avais su, si j’avais été là… Seigneur, pourquoi n’as-tu rien fait pour empêcher ? » Le premier geste de l’adulte, du prêtre, c’est d’être présent au milieu d’eux, et de vivre ce temps de silence, aussi pesant soit-il… En écoutant la révolte quand elle se met à gronder, leur incompréhension, leur questionnement sur l’absence et le silence de Dieu… Vivre l’émotionnel sans forcer le rationnel. Être là, humblement, pauvrement. Si les jeunes perçoivent l’adulte bienveillant et aimant au milieu de leurs sanglots, de leur mutisme ou de leurs coups de gueule, alors ils le sentiront de leur côté, comme une force, un soutien, un père, et plus tard ils reviendront vers lui, se confier. Un dialogue se nouera autour de l’histoire de celui qui est parti, du pourquoi de son geste, du sens de la vie, de leur éventuelle responsabilité, de leur manque d’écoute ou d’observation… peut-être ? Des mots mis sur les maux, pour chercher ensemble de nouveaux chemins de vie, de solidarité et d’espérance les uns envers les autres, de manière à ne pas rester prisonniers de l’événement, de la culpabilité, du non-sens de la vie.

L’écoute est-elle primordiale dans ces situations ?
« La rencontre avec les proches demande une grande disponibilité de temps et surtout d’esprit, de cœur. La vie de ces personnes vient de basculer dans le malheur, l’horreur. Elles ont plus besoin d’écoute que de grandes paroles. Pour leur permettre de « drainer » leur trop-plein d’émotions, il est bon de nommer simplement ce que nous percevons chez elles : Vous êtes bouleversés… Vous ne comprenez pas… Vous n’avez rien vu venir… Vous vous sentez coupable…»,  écrivent Michel Massy et Marie-Françoise Salamin, dans la revue Lumen vitae consacrée à la pastorale des funérailles. "Cela permet à l’autre de se sentir rejoint, compris et de préciser son ressenti. C’est une étape importante dans ce processus de deuil chez des personnes qui vont entendre, ces prochains jours, beaucoup de paroles dont certaines pas toujours empreintes de finesse… Se faire proche comme Jésus avec les disciples d’Emmaüs ; comme Jésus avec Marthe et Marie lors de la mort de son ami Lazare. Puis vient le temps de les accompagner plus loin, de révéler discrètement le vrai visage de Dieu qui est Amour, Miséricorde, pour eux et pour la personne décédée. Le ton rassurant, la bienveillance, le silence sont des attitudes aidantes pour ces personnes en grand désarroi. »

Que dire à un jeune qui me confie sa décision de se suicider ?
Tout d’abord, prendre le temps de l’écouter, d’écouter son mal être, en lui témoignant notre intérêt et notre amour. Attention : ne jamais banaliser ou évacuer une confidence d’un revers de paroles stéréotypées : « Mais non, ne dis pas n’importe quoi, regarde, la vie est belle… c’est du chantage, etc. » ou, à l’inverse, tenter de surprotéger : « Ce soir tu restes chez moi, je ne te laisse plus repartir… j’appelle un médecin… je le dis à tes parents… » Un jeune qui prend le risque de se confier, mais c’est énorme ! Preuve qu’il a rompu son cocon mortifère. « Se confier, dit Odette Morin, psychothérapeute, ce n’est pas seulement raconter ses problèmes, mais s’en remettre, en toute confiance, au regard de l’autre. C’est mettre nos soucis à l’extérieur de nous, afin de les regarder de façon plus objective, ce qui nous permettra de prendre une nouvelle orientation, si nécessaire. »

Comment trouver la distance juste à adopter ?
Un jeune suicidaire qui se confie n’a plus d’estime de soi, il est un mendiant d’amour. D’où l’importance de l’écoute, de l’empathie… Puis du dialogue pour l’aider à chercher ses propres solutions : mettre des mots sur le sens du suicide, voir s’il y a moyen de trouver d’autres chemins pour aller mieux, être mieux. Le mettre également devant la froide réalité du suicide : la violence du geste et celle infligée aux proches, la responsabilité qu’il prend, etc. Lui faire comprendre enfin que c’est sa décision : « Je la respecte, mais sache toutefois que j’en souffrirais horriblement. Cela dit, je reste à ta disposition, oui, je serai toujours là pour toi, lorsque tu auras besoin de discuter, de refaire le point. » Comme prêtre, je conclus l’entretien par un prière improvisée, en le remettant entre les mains de Dieu. Je me souviens de ce moine qui, au terme de la discussion avec un jeune qui avait fermement arrêté son projet de suicide, lui glissa dans sa main un chapelet en disant : « Moi, je ne peux plus rien pour toi, mais la Vierge Marie, oui ! » Ce geste de foi, dépouillé de maternage et de surprotection, l’avait tellement bouleversé, qu’il renonça à mettre fin à ses jours.

Qui est responsable : lui, ses parents, la société ? Sommes-nous fautifs de n’avoir pas su ou pu l’aider ?
Au risque d’être taxé d’utopiste, je pense que, plus en amont, nous devons nous efforcer de bâtir une civilisation de l’amour (Paul VI) par opposition à une civilisation de la mort qui évacue l’homme au profit de l’Économie et de systèmes d’exploitation de l’homme par l’homme, où seul compte le rendement, le business d’isolement, l’égoïsme et l’individualisme, une société qui assassine l’espérance chez les jeunes !  Le suicide d’un jeune ou d’un moins jeune, nous ne devons pas seulement le considérer comme un fait individuel (il était malade, dépressif, mal dans sa peau) mais comme un phénomène social, signe d’une société dépressive qui ne parvient plus à garder ses membres en vie, qui ne sait plus être créatrice de sens et de bonheur. Le départ tragique de l’un des nôtres nous éclabousse : qu’avons-nous fait de lui, d’elle, « qu’as-tu fait de la vie de ton frère ? » Le suicidé nous lance un message, une bouteille à la mer : « Ce monde est trop dur, ce monde que vous êtes, ce monde d’indifférence avec cette soi-disant tolérance que vous prônez tout le temps, mais qui, en réalité se désintéresse de ces souffrances enfouies et gardées secrètes, à force de « tolérer » que chacun fasse ce qu’il veut. » Finalement, n’est-ce pas « son problème ? »… N’avons-nous pas fabriqué un système individualiste, basé sur la compétition et les rapports de force, qui fabrique à son tour des frustrés et des malheureux. Ensemble nous devons inverser la vapeur de cette machine infernale aux rouages trop bien huilés, écartant brutalement le faible qui ne produit pas assez, qui n’est pas suffisamment compétitif, pour remettre au premier plan la relation ou tout bonnement… l’humain !

Comment sortir de la douleur qui accable les proches d’une personne suicidée ?
Dans l’espérance, nous avons le droit d’affirmer « Qu’il est mieux maintenant », puisque « Rien ne peut nous séparer de l’amour de Dieu… » (Rm 8, 35) En célébrant les funérailles des suicidés, l’Église désire les confier à la miséricorde de Dieu, sûre que Dieu leur ménage des voies particulières pour entrer dans sa lumière. Elle nous invite à prier pour ceux qui sont partis de sorte que notre prière les soutienne et les accompagne sur leur chemin vers Dieu afin que, de « leur côté », ils aient l’audace et le courage de dire « oui » à la Miséricorde, puisqu’on « ne peut tomber plus bas que dans les bras de Dieu ! » (sainte Thérèse de Lisieux). Mais encore faut-il le vouloir… Car le choix de la vie relève encore de notre liberté. Du point de vue chrétien, la mort est le moment où l’âme se sépare du corps pour aller « demeurer auprès du Seigneur  ». Mais comment se passe cette séparation ? Peut-on parler d’une durée ? Que se passe-t-il dans l’être profond de celui qui quitte cette terre ? Les œuvres accomplies avant la mort vont-elles décider de son salut éternel de manière irrémédiable ? A-t-il encore une possibilité de choisir, de se racheter ? Le catéchisme nous dit que « La mort met fin à la vie de l’homme comme temps ouvert à l’accueil ou au rejet de la grâce divine manifestée dans le Christ. » Donc, la mort est ce moment de totale lucidité durant lequel l’être peut dire oui ou non au Christ qui lui ouvre ses bras. Le refus du salut n’est jamais du côté de Dieu : Lui veut toujours nous pardonner. Cependant, aurons-nous assez d’humilité pour nous jeter dans ses bras au moment du grand passage ? Le suicide n’est jamais un départ paisible. Il est toujours une violence infligée à la vie : autant à celle du suicidé qu’à ses proches. Cette violence suscite une juste colère chez ceux qui restent, et la colère permet d’objectiver l’événement, de le qualifier d’injuste et de violent… Puis, vient le moment du pardon : pardonner à la personne qui est partie, peut-être lui demander pardon pour notre part de responsabilité dans son geste, se pardonner à soi-même, demander pardon à Dieu… Le pardon permet de faire son deuil, de voir clair, de soutenir le suicidé en chemin vers le Seigneur. Pour conclure, je m’obstine à déclarer que l’acte du suicide n’est pas le bon ni le juste chemin pour être en paix, il est objectivement un mal parce qu’il fait trop souffrir ceux qui restent. Néanmoins, notre espérance en la Miséricorde de Dieu se veut têtue ! Nous devons beaucoup prier pour les suicidés, c’est ainsi qu’on les soutient sur ce chemin qui les mène à Dieu.

Quels sont les regrets les plus souvent entendus sur un lit de mort :

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