Alors que le gouvernement envisage de retoucher la loi de 1905 de séparation des Églises et de l’État, l’historien Christophe Bellon revient sur les raisons d’une telle annonce et les questions qu’elle soulève.
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Considérée par beaucoup comme l’un des piliers de la République, la loi de 1905 de séparation des Églises et de l’État pourrait être amendée dans les prochains mois, ont annoncé récemment les ministres de la Justice et de l’Intérieur. Alors que les représentants des cultes devraient être consultés prochainement, un document présenté par l’Opinion comme un avant-projet de loi sur le sujet rappelle que ce ‘toilettage’ ne concerne pas les deux premiers – et principaux – articles de la loi que sont la liberté de conscience et le libre exercice des cultes d’une part (« La République garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public ») et la neutralité de l’État (« La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte ») d’autre part mais vise à mieux encadrer le financement de l’islam en France. Parmi les mesures évoquées : police des cultes renforcée, mise en place d’un label d’État pour les associations religieuses (dites cultuelles), incitations fiscales moyennant un contrôle de la comptabilité, des revenus locatifs permis pour les cultes…
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S’il reconnait que la loi de 1905 n’est pas figée et peut évoluer, Christophe Bellon, maître de conférence en histoire contemporaine à l’Université catholique de Lille, vice-doyen de la faculté de droit et membre correspondant du centre d’histoire de Sciences Po, rappelle les délicats équilibres nés de cette loi et les questions que son amendement pourrait soulever.
Aleteia : pourquoi envisager de retoucher la loi de 1905 de séparation des Églises et de l’État ?
Christophe Bellon : La première chose à savoir est que, depuis son adoption en 1905, la loi de séparation des Églises et de l’État a déjà connu une quinzaine de toilettages. Notre société n’étant plus celle de 1905, notamment avec l’arrivée de l’islam qui est désormais la deuxième religion en France, la volonté du gouvernement de retoucher cette loi peut se comprendre. Mais que signifie amender, toiletter, retoucher ? D’après les éléments que nous avons, le gouvernement ne compte pas toucher aux deux premiers articles qui en sont le cœur mais les articles 18 à 24 (titre IV : des associations pour l’exercice du culte) et de 25 à 36 (titre V : police des cultes). Les éléments avancés sont encore très flous et imprécis, il reste donc à connaître le degré d’intensité du « toilettage ». Mais le risque de non-respect au principe constitutionnel d’égalité, notamment en matière de laïcité de l’État, est grand : la loi de 1905 s’adresse à toutes les religions ; peut-on donc la modifier au nom d’une seule ? N’est-ce pas déroger au principe constitutionnel d’égalité ?
D’après les premiers éléments, le gouvernement prévoit d’inciter les associations cultuelles à solliciter un label d’État. Ce ‘tampon administratif’, délivré pour cinq ans, reconnaîtrait la “qualité cultuelle” de l’association en question afin de lui permettre de bénéficier des avantages fiscaux liés à la loi de 1905…
Il convient de rappeler que les associations cultuelles de la loi de 1905 sont, avant tout, des associations de la loi de 1901 dont la loi de 1905 précise certaines règles de fonctionnement et en particulier restreint leur objet à assurer les conditions matérielles d’exercice du culte. Les structures musulmanes choisissent généralement de n’être régies que par un statut obéissant à la seule loi de 1901 sur les associations (les structures de l’Église catholique sont déjà constituées en associations loi 1905, ndlr). L’avant-projet dévoilé par l’Opinion va plus loin et propose de rendre plus attractif le régime de 1905 en permettant aux associations de se financer grâce aux revenus locatifs des immeubles qu’elles possèdent et, si leur comptabilité est jugée transparente, de bénéficier de subventions publiques « pour réparations et rénovation énergétique » des édifices religieux.
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Existe-t-il des spécificités propres à l’Église catholique ?
Oui, notamment ce qui relève de l’article 4 de la loi de 1905 concernant la dévolution des biens d’Église et la constitution d’associations cultuelles. N’oublions pas que l’opposition de l’Église catholique à la loi de 1905, au moment de son adoption, a conduit l’État à légiférer à trois nouvelles reprises, donnant lieu à l’adoption des lois des 2 janvier 1907, 28 mars 1907 et 13 avril 1908. Lors de son adoption, la loi a été condamnée par Pie X qui a refusé catégoriquement la mise en place des associations cultuelles, incompatibles avec l’organisation hiérarchique canonique catholique et les fonctions ministérielles respectives de l’évêque et du curé qui en découlent : ce fut la crise des Inventaires. Ce n’est qu’au lendemain de la Première guerre mondiale, en 1921, que le dialogue a repris progressivement entre le Saint-Siège et Paris. De ces négociations entre Rome et Paris ont abouti les accords « Poincaré-Cerretti », également appelés ‘accords sur les diocésaines’ en 1923-1924. Concrètement, ces derniers prévoient de régler le contentieux sur les associations cultuelles condamnées en 1905 par Rome, en proposant un système plus adapté, appelé les « diocésaines », nouvelle version des « cultuelles » et par lesquelles l’Église obtenait que l’application du droit commun au fonctionnement des associations cultuelles n’aboutirait pas à remettre en cause le principe hiérarchique et l’autorité épiscopale. L’association diocésaine, contrôlée dans chaque diocèse par l’évêque, sert, depuis, de cadre à l’organisation du culte catholique en France. Respectueuse de la loi de 1905, l’Église catholique n’en dépend pas moins, pour le fonctionnement de ses associations cultuelles, d’un traité international au sens de l’article 55 de la Constitution. L’existence d’une possibilité, même symbolique, de remise en cause du caractère cultuel d’une association diocésaine équivaut à une évaluation périodique de la manière dont l’évêque exerce son autorité.
Quelle limite voyez-vous à ces nouvelles incitations fiscales ?
Ce ne sont pas tant les incitations fiscales que le ‘tampon administratif’ qui m’interpelle. Même si l’argument financier n’est pas à rejeter, il ne faudrait pas retomber dans une conception concordataire des rapports entre les Églises et l’État, avec un État qui s’immisce, comme au temps du « petit père Combes », continuellement dans les affaires de l’Église. Est-ce qu’on peut réellement contrôler administrativement une association cultuelle ? Ce ‘tampon administratif’ pourrait empêcher cette liberté qu’a l’évêque de reconnaître les associations qui sont vraiment cultuelles et les autres. Que se passera-t-il si certaines associations sont reconnues cultuelles par le préfet mais pas par l’évêque, et inversement ? Cela pourrait éventuellement mener à des divisions et à l’émergence d’associations schismatiques au sein d’une même religion voir à un éveil des querelles entre les religions.
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Comment adapter cette loi de 1905 à la société française de 2018 ?
N’ayant pas encore d’éléments précis, on ne peut raisonner que partiellement pour le moment. Il ne faut pas que le gouvernement méconnaisse la complexité des compromis obtenus. Alors, comment réformer la loi au plus près afin de renforcer le respect de l’ordre public sans rompre pour autant le principe d’égalité entre les religions ? On ne peut pas dire que la loi de 1905 est figée et ne doit pas évoluer. Mais comment respecter ces équilibres si patiemment trouvés ? Comme l’a écrit Aristide Briand dans le rapport parlementaire qui a conduit à la discussion de la loi 1905, toutes les fois où le respect de l’ordre public ne pourra être légitimement invoqué, dans le silence des textes ou dans le doute sur leur exacte interprétation, c’est la solution libérale qui sera la plus conforme à la pensée du législateur. Quand on veut toucher aux relations entre les religions et l’État, il faut y toucher de la manière la plus souple et la plus libérale possible, pas de manière brutale ou dogmatique.
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