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« Nous, médecins, avons toujours l’Espérance à rendre présente »

BERNARD ARS

Le docteur Bernard Ars, président de la Fédération Internationale des Associations de Médecins Catholiques.

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Jesús Colina - published on 14/11/18
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Listes d’attente, spéculation financière, dépression, pression pour promouvoir l’euthanasie, gestation pour autrui… Les défis que doivent affronter les médecins aujourd’hui sont nombreux et, pour certains, inédits. Rencontre avec le docteur Bernard Ars, nouveau président de la Fédération Internationale des Associations de Médecins Catholiques.À la tête de la Fédération Internationale des Associations de Médecins Catholiques (FIAMC) depuis quelques mois, le docteur Bernard Ars, agrégé de l’enseignement supérieur universitaire (Ph.D) et spécialiste en oto-rhino-laryngologie et chirurgie cervico-faciale, s’est fixé trois priorités : « stimuler la compassion particulière que nous, médecins catholiques, devons développer face à la précarité vitale et sociale, diffuser l’anthropologie et la morale chrétienne ainsi que le juste dialogue Foi-Raison-Sciences en restant fidèle à l’Église et à son Magistère, et augmenter nos vies intérieures ». Et quelles vies intérieures ! La FIAMC comprend 80 associations qui représentent quelques 120.000 membres à travers le monde. Elle a une double mission : fortifier d’une part les médecins qui s’y engagent dans leur foi en Jésus-Christ afin de les aider à appliquer dans leur pratique quotidienne le message évangélique. Et d’autre part celle d’informer le Saint-Siège des réalités et des évolutions de la médecine concernant la clinique et la recherche.

Aleteia : Les médecins catholiques se trouvent de plus en plus souvent dans des situations où ils doivent revendiquer le droit à l’objection de conscience, parce que les systèmes de santé les obligent à des pratiques contraires à la dignité de l’homme — manipulations génétiques, euthanasie, avortement. Que recommandez-vous à ces médecins ?
Docteur Bernard Ars : Je leur conseille d’une part, de toujours bien veiller à ce que figure la clause de conscience dans tous leurs contrats avec une institution ou un collaborateur, ainsi que dans la législation de leur pays,  et d’autre part, de bien former leur propre conscience morale, tout au long de leur vie, en étudiant l’anthropologie chrétienne et en se ménageant des moments de ressourcement de vie intérieure.



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Que traduit pour vous la clause de conscience ?
Le devoir de l’objection de conscience manifeste la grandeur de la dignité humaine. Un homme ne peut jamais se résoudre à commettre le mal moral. Il ne peut adhérer consciemment et délibérément à une action qui détruit sa propre dignité. La liberté de l’être humain est un reflet de l’image et de la ressemblance que Dieu a imprimé de lui-même dans le cœur de cette personne. Celle-ci ne peut utiliser sa liberté pour ternir le reflet de la présence de Dieu en elle. C’est pourquoi elle doit résister aux lois humaines injustes. Cela a été le cas à certains moments de l’histoire avec la discrimination raciale et l’apartheid, c’est le cas aujourd’hui avec l’avortement, l’euthanasie et d’autres actes inconciliables avec la dignité de la personne. Si le médecin catholique s’oppose à certaines pratiques, ce n’est pas d’abord parce qu’il est catholique mais parce qu’il est un Homme, un être qui écoute la voix de sa conscience, éclairée et confirmée par l’enseignement de l’Église. Nous connaissons tous l’anecdote du cardinal Newman à qui l’on demandait s’il levait son verre d’abord à la conscience ou d’abord au Pape. Quand il disait qu’il levait son verre d’abord à la conscience, et ensuite au Pape, il ne voulait pas opposer le chrétien à l’Église, mais honorer la voix unique de la vérité dont l’écho premier résonne dans la conscience, confirmé si nécessaire par le jugement ultime de l’Église.

Le Pape et le Saint Siège ont recours à votre association pour s’informer sur les problèmes de bioéthique. Comment s’articule votre relation avec le Vatican ?
Nos échanges d’informations ne concernent pas seulement les problèmes de bioéthique. La médecine est impliquée dans beaucoup de domaines de l’Être humain : recherche scientifique, culture, famille… Les problèmes de bioéthique sont essentiellement du ressort de l’Académie Pontificale pour la Vie qui dépend du dicastère des Laïcs, de la Famille et de la Vie. Quant à la FIAMC, elle dépend du dicastère pour le service du développement humain intégral.


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Quelles sont les questions éthiques que se posent aujourd’hui aux médecins catholiques ?
Les problématiques éthiques, rencontrées par les médecins catholiques, varient en intensité, selon la pratique et les régions du monde. Par exemple, les médecins praticiens généralistes sont confrontés à des difficultés éthiques et déontologiques de la relation de personne à personne. Les médecins hospitaliers spécialistes sont quant à eux confrontés à des difficultés éthiques face à la domination des technosciences, à l’industrie, particulièrement pharmaceutique, ainsi qu’au consumérisme de soins. Enfin, les médecins chercheurs sont confrontés à des difficultés éthiques face aux choix d’objectifs, aux stratégies de travail, ainsi qu’aux contraintes des financiers. Souvent, ces dernières années, la bioéthique a été interprétée et instrumentalisée idéologiquement d’une manière peu cohérente avec ses objectifs initiaux qui étaient la défense de la vie et de la personne humaine, ainsi qu’avec la vision chrétienne de l’Homme. Pour redonner son sens profond à la bioéthique, il importe de former les consciences morales en se fondant sur une anthropologie chrétienne actualisée, tendue vers le Bien commun.

La médecine contemporaine, qui se base sur l’hôpital et le big data, risque de perdre la relation médecin – patient. Comment est-il possible de retrouver le rôle du médecin dans notre société ?
En dehors du réel problème éthique du big data, la collection robotisée des données de patients permet un diagnostic rapide et une thérapie choisie. S’il s’agit d’un progrès certain dans la prise en charge des maladies, la technicité de la médecine scientifique tend à réduire la rencontre entre le médecin et le patient à un inventaire de performances objectives des fonctions biologiques essentielles. Mais le patient attend autre chose du médecin. S’il n’est certes pas indifférent aux douleurs et souffrances de son corps, à la menace qu’une maladie fait planer sur son avenir et celui de son entourage, il attend aussi du médecin qu’il lui apprenne à vivre avec la maladie.


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Mais comment aider les malades, à développer leur résilience ?
Chez un patient, la résilience est un processus dynamique et interactif, entre lui-même, sa famille et son environnement, qui lui permet de développer une trajectoire nouvelle et épanouissante, en changeant la représentation du réel qui lui fait mal. Pour cela, nous, médecins, devons passer par l’empathie qui s’appuie naturellement sur une bonne écoute. Écouter, c’est donner à la parole de l’autre toute sa consistance. C’est par l’écoute que nous apprendrons du patient, ce qui lui fait mal, la représentation qu’il en donne, ainsi que les richesses qu’il a pour lui faire face. Pour que l’écoute soit fructueuse et bénéfique pour le patient, il convient de respecter son rythme. Il ne faut pas chercher à forcer les confidences et il faut aussi discerner le moment favorable où l’écoute doit s’arrêter. La résilience est un processus qui s’inscrit dans la durée. Ce n’est qu’en permettant au temps de faire son œuvre que de la maladie, une “nouvelle” forme de vie peut naitre. Il faut donner du temps au temps. Pour que l’épreuve puisse être supportable, il conviendra de la vivre jour après jour.

À chaque jour suffit sa peine donc ?
Chaque journée reçoit son lot d’épreuves, mais aussi son lot de courage pour l’affronter. Il faut aider le patient à accueillir ce que l’aujourd’hui a à lui donner comme ressource et à abandonner, dans la confiance, le jour qui se termine. Même dans les pires conditions, l’homme a une capacité de s’en détacher dans l’humour. Soyons réceptifs et interactifs ! “Les hommes restent forts aussi longtemps qu’ils vivent pour une idée forte”, disait Freud. C’est autour de cette idée forte, de ce sens qui fait la cohérence de sa vie que l’homme peut se construire, se reconstruire. “Le sens doit être trouvé, parce qu’il est un objet de quête, mais il ne doit en aucun cas être donné. C’est en effet au patient qu’il incombe de le trouver par lui-même”, a également déclaré le professeur de neurologie et de psychiatrie, Viktor Frankl. De plus, le médecin catholique, au-delà de sa compétence scientifique et de son empathie humaine, est aussi une âme qui voit le Christ souffrant dans son malade, et qui prie pour l’homme ou la femme qui souffre.



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Beaucoup de médecins catholiques exercent leur métier dans des situations de pauvreté extrême. Il y a-t-il un message que vous souhaitez adresser à ces médecins ?
Très chers confrères, vous manquez sans doute des moyens diagnostiques élémentaires et des thérapies récentes, pour guérir vos malades et sauver des vies humaines. N’hésitez pas à alerter, par tous les moyens à votre disposition, les organismes internationaux, ainsi que vos relations, afin d’atténuer la gravité de votre situation. Néanmoins, sachez que vous êtes parmi nos confrères, “les plus médecins des médecins”, votre empathie est plus développée que celle des autres, vous comprenez mieux que quiconque la détresse de nos malades. Sachez aussi que beaucoup parmi nous, prient pour vous. Et quand nous, médecins, n’avons plus rien d’efficace à proposer face à la maladie et à la souffrance, nous avons encore et toujours notre accompagnement, notre écoute et notre temps à offrir. Nous avons toujours l’Espérance à rendre présente. Nous avons enfin aussi à offrir l’aide puissante de la prière.

Pouvez-vous nous parler un peu de vous ? Pourquoi vous avez décidé de vous consacrer à la médecine ? Et comme médecin chrétien ?
J’ai choisi la médecine à l’âge de 17 ans parce que c’était un métier de relation humaine — donner et recevoir — ; et que je sentais que je pouvais être heureux en le pratiquant. J’ai choisi l’oto-rhino-laryngologie parce que cette spécialité me procurait, dans une proportion égale, les joies des consultations cliniques, de la chirurgie et des explorations fonctionnelles. Quant à la vocation de médecin chrétien, je ne l’ai pas vraiment choisie. Elle est venue lentement et doucement. J’ai toujours été croyant et pratiquant. Mais, face aux problématiques et aux souffrances de la vie, c’est la pratique chrétienne, ainsi que ma vie de prière face à Jésus, qui me sont apparues comme la vraie et seule voie de Vie.


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Avez-vous un conseil à donner à de jeunes chrétiens qui souhaitent devenir médecins ?
Engagez-vous là où votre cœur vous appelle ! Et quand l’engagement est pris, formez-vous sans cesse, sur le plan scientifique, technique et de façon continue. C’est une question de professionnalisme ! Mais faites-le aussi sur le plan culturel, artistique, philosophique et même théologique, pour disposer de la plus grande ouverture humaniste possible, à l’écoute de nos patients. En effet, le patient qui vient nous consulter, vient parler de lui-même, et il attend que son médecin l’écoute, puis lui réponde. Il est angoissé. Il peut se sentir exclu. La réponse au patient se fait de manière ouverte sur la maladie. Ceci amène le patient à une réflexion sur lui-même, autant que sur la maladie dont il venait se plaindre. La maladie rebelle et plus encore la mort, peuvent apparaitre comme une limite à l’efficacité médicale. La tendance naturelle serait de fuir cette maladie ou cette mort. Mais, l’important, c’est être disponible pour que le malade ne se sente pas seul face à son vécu. Le médecin n’est pas maître de la vie, ni de la mort du patient qui se confie à lui. Il ne dispose pas de son patient, il est, en fait, au service de la vie de l’homme souffrant. Le médecin catholique vit du Christ. Il a une unité de vie, une cohérence dans tous les aspects de sa vie qui implique non seulement une compétence professionnelle et responsable, scientifique et technique, en collaboration avec les autres disciplines de soins mais, surtout, une vie intérieure forte et quotidiennement entretenue, ainsi qu’une connaissance approfondie de la vision chrétienne de l’être humain. Bref, une anthropologie chrétienne actualisée, exprimée aussi bien dans la recherche que la clinique, en un mot, dans la culture. La médecine n’est pas une science, elle est un art. C’est le plus beau métier du monde !

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