Singulière histoire biblique que celle de Suzanne et les vieillards. Évoquée plus par l’art que lors des liturgies, ce récit surprenant a beaucoup à nous apprendre et trouve des échos dans l’actualité quant au respect des femmes et de leur intégrité physique et morale.
Un harcèlement sexuel dénoncé par la Bible
Suzanne ou Shoshana («lys » en hébreu) est fille d’Helcias. Chaste et d’une grande beauté, elle a été élevée dans la crainte de Dieu, à Babylone, pendant l’Exil. Elle a pour époux Ioakim, personnage fort riche et estimé. Suzanne a l’habitude de se promener dans son jardin, vite repérée par deux anciens nommés juges cette année-là, et emplis de désir pour la jeune femme. Un jour qu’elle se trouvait seule s’apprêtant à se baigner, les deux vieillards cachés pour l’observer fondent sur elle et lui intime de céder à leurs avances. Usant d’un stratagème inique pour forcer sa résistance, ils la menacent de la dénoncer en inventant un adultère si elle n’accepte pas leur proposition malhonnête. Éperdue, Suzanne ne cède pas. Accusée par les deux vieillards, l’affaire est portée devant le peuple.
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L’honneur sauvé de Suzanne
L’affaire est délicate. Les deux anciens sont juges, des personnalités estimées par leur fonction, face à eux, Suzanne, jeune et belle de surcroît. Dans cette société patriarcale, l’honneur d’une femme peut-il peser ? N’est-il pas plus léger que le témoignage accablant de deux juges ? Ces derniers affirment avoir vu un jeune homme s’introduire dans le jardin et coucher avec Suzanne. Face à cette ignominie, ils ont cherché à intervenir sans pouvoir s’emparer de lui… L’issue est évidente : Suzanne est condamnée à mort. Alors qu’elle est conduite à son supplice et implore Dieu, un jeune enfant du nom de Daniel conteste le témoignage des vieillards et parvient à les confondre en les interrogeant séparément. Les deux hommes subirent alors le sort qu’ils avaient comploté et réservé à Suzanne. N’est-ce pas une belle leçon que nous donne à lire ce chapitre 13 du livre de Daniel, appartenant aux livres deutérocanoniques de la Bible, c’est-à-dire relevant de l’Ancien Testament pour les catholiques et orthodoxes, mais écartés comme apocryphes par les juifs et protestants ? La force de la parole juste, rompant le silence face aux faux témoignages, à l’heure de toutes les affaires de harcèlement sexuel subies par des milliers de femmes, l’emporte, la notoriété ou la puissance ne pouvant rien face à la sagesse inspirée de Dieu, celle-là même qui anima le jeune prophète Daniel face aux notables pour préserver la pureté de Suzanne.
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Un grand thème de l’art
Ce thème atypique dans le récit biblique ne pouvait qu’inspirer les artistes par le contraste qu’il offre d’une chaste et belle jeune femme prenant son bain face à deux vieillards libidineux masqués et l’observant avec concupiscence. Nombreuses seraient les analyses à faire sur ces représentations, celle du regard et du regardé, du voyeurisme des deux hommes et par là-même du spectateur de l’œuvre… Le tableau du Tintoret ne pose-t-il pas ces mêmes questions lorsque la belle et jeune Suzanne se mire dans son miroir et que le bassin reflète une partie de son image que cherche à percevoir les deux hommes de part et d’autre du mur végétal ? Lorenzo Lotto propose une version bien différente, une Suzanne dénudée représentée en un décor plus austère, la main levée en signe de refus. L’interprétation qu’en donnera quant à elle la peintre Artemesia Gentileschi est celle d’une femme qui comprend mieux que quiconque cette scène, elle qui sera violée par un peintre de l’atelier de son père.
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