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L’Armistice, et après ? Les vainqueurs fragilisés

REIMS RUINS

France, Champagne-Ardenne, Marne (51), Reims : Reims en ruines, une avenue de la ville bordee de ruines, 1918 - commerce: pharmacie E. Champeaux ©Lux-in-Fine/Leemage

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Gabriel Privat - publié le 09/11/18
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Les ravages de la guerre ne firent pas du vainqueur principal, la France, une nation forte et sereine. Les terribles meurtrissures ne pouvaient entraîner que l’implacabilité, puis l’effroi passé, un fort pacifisme qui ferait manquer de clairvoyance, plus tard, devant Hitler.

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Un certain acharnement français et italien à vouloir faire payer l’Allemagne, l’Autriche et la Hongrie à l’occasion des traités de paix contraste si fortement avec la volonté britannique d’apaisement et l’irénisme des quatorze points du président américain Wilson que nous peinons aujourd’hui parfois à le comprendre. Il nous surprend d’autant plus qu’il est en décalage total avec le pacifisme tout aussi marqué des années précédant la Seconde Guerre mondiale dans la même France.


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Pour mieux le comprendre et le justifier, il convient d’étudier l’état de fragilisation dans lequel se trouvaient les États vainqueurs en novembre 1918, et notamment la France. Alors nous mesurerons pourquoi le gouvernement français, appuyé par son opinion publique, voulait tant faire “payer” les vaincus. Nous mesurerons mieux, aussi, les conditions de naissance du pacifisme d’après-guerre.

Un bilan humain catastrophique

Le nombre de morts français de la Première Guerre mondiale, évalué à 1,393 million est assez éloquent par lui-même. Il convient cependant de le préciser. À ce nombre de morts il faut ajouter 3 millions de blessés, dont 740.000 mutilés. Précisons encore les choses : ces soldats et auxiliaires militaires morts ou blessés sont évidemment dans leur très grande majorité de sexe masculin. Qui plus est, ces hommes font très largement partie de la population masculine mobilisable, c’est-à-dire entre 18 et 40 ans, donc une fraction de cette population masculine, elle-même légèrement inférieure à la moitié d’une population totale de tout juste moins d’une quarantaine de millions d’habitants en 1914.



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Non seulement chaque famille française ou presque a payé le prix du sang, mais on peut ajouter que la force vive du pays était pour ainsi dire décimée, pour une génération. La France était meurtrie dans sa chair. Certes, l’Allemagne et l’Autriche pouvaient en dire autant. Mais la France était à la table des vainqueurs, et elle tirerait vengeance des sacrifices imposés par les combats.

Un bilan matériel désastreux

Au sacrifice des vies humaines devait s’ajouter le bilan des destructions matérielles. Ainsi, d’après les statistiques officielles établies en 1922 par le ministère des Régions libérées, le nombre d’immeubles détruits en novembre 1918, dans le nord et l’est de la France s’élevait à 312.740 auxquels il faut ajouter 511.456 immeubles endommagés. 53.976 km de routes étaient à remettre en état, ainsi que 7.985 km de voies de chemin de fer, 4.875 ponts et 1.112 km de voies navigables. Il fallait aussi nourrir les hommes. 2,1 millions d’hectares de terre de labour et 406.000 hectares de pâturages étaient inutilisables. Enfin, 577.000 hectares de forêts étaient détruits.

Les combats expliquaient en partie ce désastre. Certains territoires communaux étaient anéantis à 100%, comme autour du champ de bataille de Verdun. Mais les combats ne permettaient pas de tout comprendre.

L’écrivain et officier allemand Ernst Jünger nous donne la clef de ce problème dans sa description des destructions allemandes consécutives au simple repli, pourtant limité, de 1917 : “Jusqu’à la ligne Siegfried, tous les villages furent réduits à un monceau de décombres, tous les arbres furent abattus, toutes les routes minées, tous les puits empoisonnés, tous les cours d’eau barrés, toutes les caves éventrées à coups d’explosifs ou rendues dangereuses par des bombes cachées… Bref on se livrait à une véritable orgie de destruction… Sur la nécessité de la mesure, je n’ai naturellement, comme officier prussien, pas un instant de doute. Car la guerre, c’est chercher à anéantir l’ennemi en déployant ses forces sans aucun ménagement.”


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Pour les Français immédiatement contemporains de tels événements, auxquels il faudrait ajouter une très forte dévaluation d’un franc qui n’avait pas changé de valeur depuis 1802 et qui figurait parmi les premières monnaies de référence dans les échanges mondiaux, on comprend mieux un certain esprit vengeur.

Figurons-nous une situation voisine en Belgique et en Italie, et à peine moins terrible au Royaume-Uni, épargné par les destructions sur son sol mais pas par les pertes navales et bien sûr humaines. Nous comprenons mieux alors la suite des événements. Un tel amas de ruines ne pouvait entraîner que l’implacabilité, puis l’effroi passé un fort pacifisme, qui ferait manquer de clairvoyance, plus tard, devant Hitler.

Une société en ébullition

Comme si ces malheurs ne suffisaient pas, la belle union sacrée nouée en 1914 pour faire face à l’ennemi avait totalement disparue. L’année 1919 fut marquée, au contraire, par la recrudescence de très vifs conflits politiques et sociaux. Pendant quatre ans, l’économie de guerre avait fonctionné avec des millions de bras manquants. Le réajustement nécessaire pour le retour à une économie de paix ne pouvait se faire en un jour. Aussi, des millions de soldats progressivement démobilisés ne retrouvèrent-ils pas d’emblée l’emploi laissé lors de leur mobilisation. Tant à la ville qu’à la campagne, aux champs qu’à l’usine, beaucoup faisaient l’amère expérience du chômage.

À cela il fallait ajouter la dévaluation du franc, concomitante à l’apparition des premiers impôts sur le revenu et la nette augmentation des droits de succession, dont l’ensemble déstabilisait tout à fait une économie alors encore largement appuyée sur le monde rural, la rente et la transmission foncière, du moins pour l’élite provinciale. Les revenus, eux, progressaient moins rapidement, créant d’insupportables pertes de pouvoir d’achat pour des hommes revenus du front et retrouvant à l’arrière un pays soumis aux restrictions alimentaires et de fourniture de charbon ou de bois de chauffage.


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En conséquence, des grèves et des manifestations violentes éclatèrent dans le pays dès la fin de 1918. Durant le premier semestre 1919, la police et l’armée durent tirer sur les manifestants. Ceux-ci répondirent au pistolet et au gourdin. Le Palais-Bourbon plusieurs fois menacé, le régime trembla. La révolution ne vint pas, mais le pays entier retint son souffle. À quelques centaines de kilomètres, nous avions l’exemple de la guerre civile, en Allemagne bien sûr, mais plus encore en Russie. Les Russes blancs arrivés à Paris pouvaient en témoigner.

En guerre à reculons

Au milieu de tant de désastres, la France fit pourtant preuve d’une extraordinaire résilience. Dès 1921 la croissance économique était de retour, tirée par les reconstructions, mais aussi par les secteurs nouveaux de l’électricité et de la pétrochimie. L’empire colonial atteignait son extension maximum, le commerce extérieur reprenait son essor, notamment grâce à l’habile politique monétaire de Poincaré.

Mais derrière le triomphe apparent, la douleur restait vive. En 1939, c’est cette France à la fois rebâtie et toujours meurtrie, profondément divisée, hantée par la peur de la révolution bolchevique, qui entrerait en guerre à reculons, prête à faire héroïquement son devoir, tout en espérant que le conflit n’aurait pas lieu.

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