Le père Jean-Yves Ducourneau, aumônier militaire et auteur de “Dieu dans les Tranchées”, rend hommage à ses illustres prédécesseurs à l’occasion du centenaire de l’armistice.Jean-Yves Ducourneau a été prêtre en mission au sein de l’armée en Côte d’Ivoire, Tchad, Centrafrique, Liban, Kosovo, Macédoine et en Afghanistan. Il se passionne pour se illustres prédécesseurs des tranchées, et a hérité d’eux une “chapelle mobile”. Il s’agit d’une mallette d’époque contenant le nécessaire pour dire la messe, un calice démontable, une croix, une petite pierre d’autel en marbre, le réceptacle pour les hosties… “L’aumônier portait tout ça sur ses épaules en plus du paquetage… Mais il faut dire que les gens étaient plus rustiques à l’époque”, commente le quinquagénaire. Ce nécessaire, qui le suit partout, continue à être employé sur les théâtres d’opération. Des soldats s’agenouillent devant cet autel de campagne avant de partir en mission, tout comme les poilus de 14. “Les risques que nous courrons ne sont pas les mêmes, bien entendu, mais il y a bien un lien entre eux et nous”, assure l’aumônier militaire.
Le creuset de l’Union sacrée
Il se réfère souvent à cette guerre dans ses enseignements à l’école des Sous-Officiers de saint Maixent. Pas seulement en raison de l’importance de ce conflit pour l’armée française, mais aussi parce qu’il a suscité une réconciliation française : “La France a retrouvé ses prêtres dans les tranchées”, explique-t-il. Le contact, avec les ouvriers en particulier, avait été largement rompu à la suite de la Révolution industrielle qui débuta en 1850. L’Église subissait les attaques des laïcards, des “bouffeurs de curés”.
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“Dans une revue d’époque, la Lanterne, le prêtre avec sa soutane était caricaturé en vampire”, décrit le père Ducourneau. Il y avait un anticléricalisme virulent. Les congrégations religieuses avaient été expulsées, mais les prêtres sont revenus pour s’engager dans l’armée dès l’entrée en guerre. Ils ne voulaient pas être relégués au corps médical, et obtinrent de côtoyer les soldats au front, pour porter Dieu en première ligne. Dès les premiers mois de la guerre, elle a réveillé des sentiments religieux chez les Français. D’abord par des manifestations de piété teintées de superstition, suscitées par la peur de la mort. Par exemple, une épouse glissait un scapulaire dans le package de son mari dans l’espoir qu’il soit protégé.
Mais la présence des prêtres, au côté des poilus, a changé le rapport à la religion de nombreux Français. Les aumôniers n’ont pas épargné leur sang. 2.949 prêtres diocésains, 1.571 religieux et 1.300 séminaristes sont tombés au champ d’honneur, et 375 religieuses sont mortes au service des soldats. En pourcentage, cela représente autant que les pertes des agriculteurs français, soit la “classe sociale” qui a fait le plus grand sacrifice pendant cette guerre.
“Je leur ouvre le Ciel”
Les lettres de ces aumôniers, récoltées par le père Ducourneau, donnent des témoignages émouvants de ces retrouvailles. Ainsi, le père Louis Lenoir dès le début de son apostolat militaire en 1914, écrivait : “Je n’oublierai jamais les effusions de ces pauvres soldats me sautant au cou après une réconciliation de dix, quinze, vingt ans (dans une seule matinée de dimanche, ils étaient une centaine de cette catégorie), ou le rayon de joie qui illumine les pauvres mourants quand, sur les champs de bataille ou sur les brancards, je leur ouvre le Ciel au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ.”
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Le sentiment nouveau d’avoir une France unie malgré les désaccords internes donna des alliances étonnantes, comme celle du père Brottier et de Clémenceau. L’aumônier militaire, célèbre pour son action au service de l’association des Orphelins apprentis d’Auteuil, vint proposer au Tigre le projet d’une Union nationale des combattants. L’idée était de conserver, en temps de paix, la fraternité d’armes sous le slogan : “Unis comme au front”. Clemenceau, malgré son anticléricalisme virulent, fut enthousiasmé par l’idée et alla jusqu’à la soutenir financièrement.
Nouvelle tentative d’expulsion des Congrégations
Mais, au sortir de la guerre, certains reprirent le fanion de l’anticléricalisme, en particulier le président du Conseil Édouard Herriot. Il annonça le 2 juin 1924 l’expulsion des congréganistes, la suppression de l’ambassade auprès du Saint-Siège et l’application de la Loi de Séparation des Églises et de l’État à l’Alsace et à la Moselle. La réponse de l’un des anciens aumôniers militaires, Paul Doncoeur, est restée dans les mémoires : “Ce n’est pas de courir au diable qui nous effraie. Nous ne tenons à rien, ni à un toit, ni à un champ. Jésus-Christ nous attend partout et nous suffira toujours au bout du monde. Mais nous ne voulons plus qu’un étranger, nous rencontrant un jour loin du pays, nous pose certaines questions auxquelles nous répondrions, comme jadis, en baissant la tête : “La France nous a chassés.” Pour l’honneur de la France — entendez-vous ce mot comme je l’entends ? — pour l’honneur de la France, jamais nous ne dirons plus cela à un étranger. Donc, nous resterons tous. Nous le jurons sur la tête de nos morts, et à vous aussi, camarades !”.