« Mon Dieu je vous aime, ayez pitié de moi puisque je meurs pour vous » sont les derniers mots que prononcera Ernest Olivié, prêtre et brancardier au 96e régiment d’infanterie (R.I.), en ce 1er mai 1918 dans le secteur de Locre, au Montrouge (Belgique). Abattu par un soldat allemand alors qu’il portait secours à un camarade blessé, Ernest Olivié laisse derrière lui un témoignage d’une grande richesse : durant ses trois ans de combat, il a rédigé pas moins de douze carnets de route écrits au jour le jour ainsi que des dizaines de lettres échangées avec sa famille et ses amis.
Son histoire, que sa famille a choisi de raconter à l’occasion du centenaire de la Première Guerre mondiale, est d’abord celle d’un homme animé par une foi profonde qui a vécu cette guerre « avec une grande abnégation, un courage inébranlable et une modestie permanente ». Il a 25 ans lorsque la guerre éclate. Depuis novembre 1914, Ernest Olivié est de nouveau soldat. Il loge à la caserne de Rodez. Selon ses désirs, son ordination sacerdotale est avancée – elle aura lieu le 19 mars 1915 – avant qu’il ne parte à la guerre. « Ce furent les plus beaux jours de ma vie, qui virent se réaliser pour moi et pour tous ceux qui s’intéressaient à moi, les plus saints désirs ; Dieu a bien voulu me faire son prêtre ! », écrira-t-il un an plus tard, se remémorant ce moment.
Six mois plus tard, en août 2015, il rejoint le 322e R.I. et monte au front pour la première fois en Champagne, dans les tranchées à Perthes, Les Hurlus, Tahure, Souain, et au camp d’Eberfeld. « Journée employée à s’installer dans notre nouveau domaine ; il faut creuser des abris. Bien entendu, impossible de dire la Ste-Messe, faute de nécessaire. Cependant, ma pensée s’élève sans difficulté vers Dieu », écrit-il en ce 1er octobre 1915. « Le canon-révolver dirige sur nous son feu. Les balles sifflent à tout instant aux oreilles. Vraiment, je sens alors combien je suis peu maître de ma vie. Je me recommande à Dieu, implore son pardon et calme, je travaille. » C’est à cette période-là qu’il apprend sa nomination officielle aux fonctions de brancardier régimentaire.
Un quotidien partagé entre le soin des corps et celui des âmes
Son quotidien est partagé entre le soin des corps et celui des âmes. « Sous la mitraille, je cours d’une tranchée à l’autre ; le Bon Dieu et la Ste Vierge veillent sur moi. Un soldat non blessé, mais touché par le danger et la grâce, veut se confesser : comme il n’est pas isolé des camarades, il n’est pas possible d’entendre l'accusation de ses fautes », raconte-t-il. « Dans les conditions habituelles prévues par le St-Pontife, je lui donne la sainte absolution. Il y a bien danger de mort, puisque à tout instant quelqu’un est mortellement atteint par les projectiles ennemis. »
De janvier à juillet 2016, son régiment rejoint la Marne puis le front, sur le canal de jonction de l’Aise à l’Oise. Et puis vient Verdun. Surnommée la « mère des batailles », Verdun est restée jusqu’à nos jours un symbole. Du 21 février 1916, jour du déclenchement de la bataille, jusqu’au 21 décembre, c'est-à-dire pendant 300 jours et 300 nuits, toute la Nation garda le regard tourné vers les côtes de Meuse où, face à un péril mortel et sur un secteur restreint de vingt kilomètres carrés, se jouait son destin. Ernest Olivié en a été l’un des nombreux acteurs. « Canonnade violente de la côte pendant tout l’après-midi. Pas de bombardement proprement dit sur nos propres positions. Mais plusieurs blessés sont signalés aux Compagnies qui sont en ligne ; impossible d’aller les chercher pendant le jour, aucun boyau, pas même de tranchée de 1 ère ligne à proprement parler. Dès que la nuit est arrivée, nous partons tous les brancardiers pour aller chercher blessés et morts que nous avons ordre d'ensevelir le plus vite possible. Ils sont plus de cent, épars çà et là dans des trous d'obus. Quelle horreur ! », écrit-t-il.
C’est ici qu’Ernest Olivié reçoit sa première citation (il en aura quatre au total, ndlr). « Brancardier modèle, dévoué et courageux. Dans la nuit du 3 au 4 août 1916 a été relever un officier blessé depuis quinze heures et resté entre les lignes, l'a ramené sur ses épaules, sous un barrage puissant d'artillerie et a ainsi permis son évacuation. Le 4 août a de nouveau malgré le tir violent de l'artillerie, dégagé un groupe de mitrailleurs blessés et encerclés », précise le texte le proposant pour cette citation.
En septembre 1916, le 322e R.I. est dissous et Ernest Olivié se retrouve affecté au 96e. S’enchaine alors pour lui la forêt d’Argonne (Marne), le Mort Homme, en Haute-Saône, puis l’Alsace, jusqu’à fin janvier 2018. « Vive l’Alsace, malgré tout, et puissions-nous la garder pour toujours ! », peut-on lire sur l’une des cartes postales qu’il a envoyées.
Le 31 mars 1918, le 96e R.I. embarque à Champagney, près de Belfort. Il part pour contrer la grande offensive allemande au point de jonction des armées française et anglaise, vers Compiègne. Le 96e R.I. vient de quitter le calme relatif de l’Alsace pour une plongée en enfer, à l’autre extrémité du Front Occidental. Le 1er avril 1918, il débarque à Estrées-Saint-Denis puis remonte vers le Nord, suivant les armées ennemies qui se replient sur les Monts des Flandres méridionales. C’est finalement le 30 avril 1918 qu’Ernest Olivier accomplira sa dernière mission, dans le secteur de Locre, au Montrouge en Belgique. En allant chercher sous un tir nourri de mitrailleuses un de ses brancardiers grièvement blessé, il est fauché par le feu ennemi. Pressentant peut-être une fin proche il écrit, dans une de ses dernières lettres : « On a le grand tort de gémir sans raison. Nous savons, c’est l’Évangile qui le dit, que pas un cheveu ne tombera de notre tête sans la permission de Dieu. S’il lui plaisait de nous enlever même la vie, nous savons que c’est encore pour notre bien ou pour celui des autres ».