Dans une société où l’on cache trop souvent les faiblesses, les blessures et les infirmités, les malades et les morts, comment trouver un juste équilibre entre l’affreux exhibitionnisme et l’inquiétant déni ? Contempler la mort, c’est contempler sa condition d’homme.
Laissez-moi vous raconter une histoire : nous sommes en hiver, le soleil de Vendée inonde le petit cimetière de Chavagnes-en-Paillers. Le cercueil est déposé dans la terre, de la monnaie du Pape, petites feuilles rondes et blanches, fragiles, est posée sur le bois verni. Les vivants chantent “Je vous salue Marie” et quand la voix se brise, d’autres chantent, avec plus de force et plus d’espérance. Ça y est, il faut partir, il faut quitter le cimetière. On se détourne, c’est l’heure. Les adultes s’éloignent, émus, et discutent. Et dans ce nouveau désert qui entoure la tombe ouverte, un enfant se penche, et pleure. La tête dans les mains, il pleure, le corps tout recroquevillé, il pleure. Pourtant il a servi la messe avec une docilité recueillie et un sourire concentré ; pourtant, il a bien regardé le cercueil au milieu de l’église. Il a neuf ans, c’est le dernier de la famille, et dans ce désert, tout seul, le front penché vers la terre, il pleure.
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C’est un scandale, cette mise en terre ; c’est révoltant parce que, dans cet enterrement, la séparation physique s’exprime pleine et entière. Cette séparation que la mort convoque, c’est douloureux, malgré l’espérance. Jésus lui-même, celui qui est l’Espérance, pleure. Le chagrin n’est donc pas un manque d’espérance. Regardez, Jésus pleure Lazare :
“Marie arriva à l’endroit où se trouvait Jésus. Dès qu’elle le vit, elle se jeta à ses pieds et lui dit : « Seigneur, si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort. » Quand il vit qu’elle pleurait, et que les Juifs venus avec elle pleuraient aussi, Jésus, en son esprit, fut saisi d’émotion, il fut bouleversé, et il demanda : « Où l’avez-vous déposé ? » Ils lui répondirent : « Seigneur, viens, et vois. » Alors Jésus se mit à pleurer. Les Juifs disaient : « Voyez comme il l’aimait ! » Mais certains d’entre eux dirent : « Lui qui a ouvert les yeux de l’aveugle, ne pouvait-il pas empêcher Lazare de mourir ? » Jésus, repris par l’émotion, arriva au tombeau. C’était une grotte fermée par une pierre. Jésus dit : « Enlevez la pierre. »” (Jn 11, 32-39)
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L’émotion de Jésus est cette douleur de la séparation, de la compassion, cette douleur nait de cette double invitation des Juifs : “Viens et vois”. Une invitation bien étrange, n’est-ce pas ? Une invitation à contempler la mort. La contemplation de la séparation est essentielle à la prise en compte de notre condition d’homme. Il y a une dimension évidemment christologique dans la mort de Lazare puisqu’à la mort de Lazare, tous pensent que le Christ les a abandonnés, et, pendant plusieurs jours, ce sont les pleurs, l’incompréhension ; jusqu’à ce que Jésus demande d’enlever la pierre : c’est la résurrection. Ce temps de deuil, ce sentiment d’abandon, la révolte de Marie et de Marthe qui se sentent trahies, tout cela est nécessaire pour penser la résurrection. Célébrer la beauté de la fleur en cachant la grossièreté et la maladresse des racines, c’est un mensonge. Nous devons mourir mais sommes faits pour la résurrection. Enlevez la pierre !
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Alors chers parents, emmenez vos enfants au cimetière. Emmenez-les contempler la mort. Venez et voyez. Mais ne les laissez pas seuls face à ce mystère, démunis face à ce scandale, et, comme il n’y a pas d’explication, priez avec eux et prenez-les dans vos bras en attendant la lumière de la résurrection : il ne faut pas attendre très longtemps avant que celui qui est séparé de nous se mette à “passer [s]on ciel à faire du bien sur terre”.