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“Nous avons besoin d’une profonde alliance entre l’homme et la femme”

Charlotte Jousseaume

Charlotte Jousseaume

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Marzena Devoud - publié le 29/10/18
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L’écrivaine Charlotte Jousseaume est une femme touchée par l’émerveillement et l’écoute. Celle de la nature, celle des visages rencontrés. Celle de la profondeur et de l’intériorité, qui animent son écriture.

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Diplômée de Sciences-Po, consultante auprès des entreprises du CAC 40, impliquée dans le monde de la communication, Charlotte Jousseaume est avant tout écrivain. Ses ouvrages témoignent tous de la spiritualité, de la poésie et de la recherche de sens d’une femme qui se définit volontiers comme une « écoutante, celle qui scrute les profondeurs du cœur humain, de l’univers, de notre monde ». Ses livres parlent des femmes, de mystiques chrétiens, du deuil et de la louange. Son écriture puise son inspiration dans les profondeurs de la prière, du silence, de la contemplation de la nature qui est pour elle le lieu du « silence et du ressourcement ».


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À côté de son œuvre littéraire, l’entreprise de Charlotte Jousseaume s’inscrit dans la continuité de celle-ci. Elle écrit, dessine, anime des ateliers d’art-thérapie avec cette idée maîtresse : transmettre le fait que la vie humaine et spirituelle s’incarne dans la chair et qu’à trop vouloir tout intellectualiser on en oublie le corps. Son dernier livre, “Et le miroir brûla” (Éditions du Cerf) raconte l’histoire de Marguerite Porete, une mystique allemande du Moyen-Âge brûlée vive.

Aleteia : Pourquoi écrire l’histoire de Marguerite Porete aujourd’hui ?
Charlotte Jousseaume : 
Souvent, quand je parlais avec des jeunes femmes qui participaient à mes ateliers d’écriture ou de danse et écriture sur les femmes de la Bible, je sentais chez elles une peur de leur féminité. En m’intéressant à la mystique rhénane, j’ai entendu parler de Marguerite Porete et de son livre, redécouvert et adapté en français contemporain à la fin du XXe siècle. J’ai été très marquée par le livre de cette mystique brûlée vive au début du XIVe siècle. J’avais l’impression que ses mots ressurgissaient parce qu’ils avaient quelque chose d’actuel à nous dire. Cette peur que j’entendais dans mes ateliers exprimait combien l’Occident avait refoulé le féminin… Au point de brûler vives des femmes, comme ce fut le cas pour Jeanne d’Arc ou Marguerite Porete.



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Vous dites qu’elle a vécu une sorte de lâcher-prise…
Son livre parle de notions très actuelles, celles du lâcher-prise, de lâcher le mental, de l’intelligence du cœur. Bien sûr, en son temps, Marguerite Porete ne parlait pas de lâcher-prise, de lâcher le mental ou de l’intelligence du cœur. Elle parlait du rien vouloir, du rien penser et de l’entendement d’amour. En réalité, elle mettait en avant les valeurs du féminin, la sensibilité, la fluidité, l’accueil de la vie, l’empathie : des valeurs que l’Occident recherche tant aujourd’hui. Nous les avons retrouvées en faisant un détour par les sagesses orientales, alors que ces valeurs sont au cœur du christianisme ! J’ai voulu écrire ce livre pour en témoigner.

Elle vous touche si profondément… ?
Oui. Je me suis reconnue en elle en tant que femme, non seulement dans mon chemin de vie mais aussi dans ma spiritualité. Marguerite Porete était une béguine (femme vivant en communauté religieuse laïque sous une règle monastique, mais sans former de vœux perpétuels, ndlr), comme il y en avait tant au Moyen Âge. En parlant d’elle, je voulais m’adresser à toutes les « femmes sauvages » en herbe qui sont en train de redécouvrir la puissance de leur féminin. Nous vivons une époque charnière, avec de nombreuses crises morales, sociales, identitaires. Nous assistons aussi manifestement à la fin du patriarcat, qui permet de renouveler l’alliance entre le masculin et le féminin, entre l’homme et la femme. Il y a eu un refoulement du féminin en Occident, qui, non nommé, s’est retrouvé relégué dans un angle mort. C’est à nous, femmes d’aujourd’hui, d’accepter et d’épanouir en nous ce qui a été refoulé, d’exorciser ce qui a été mis sur le bûcher. Marguerite Porete a été brûlée vive comme on brûlait les sorcières… Pourtant elle n’avait rien d’une sorcière, je dirais plutôt qu’elle était une sourcière !


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Pourquoi Marguerite Porete faisait peur ?
Elle a été brûlée sous Philippe le Bel, au temps de la lutte contre les Templiers, à une époque où les valeurs changeaient, faisant basculer le monde occidental vers le rationnel. Marguerite Porete a pris la parole au moment où l’Église et l’Europe étaient à une croisée de chemins. Ce sont des valeurs plus masculines qui l’ont emporté à l’époque, d’où le long refoulement de la chair et du cœur au profit de la raison. C’est une charnière historique. Elle était une femme libre et audacieuse. À l’instruction de son procès, elle a refusé de se renier et de renier son livre. On dit qu’elle est montée sur le bûcher avec une grande fermeté d’âme. Elle s’était abimée dans le silence à ne plus rien vouloir ni rien penser. Juste prier. Peut-être que cette prière, la prière brûlée vive de la femme, a manqué à Dieu. Peut-être qu’il est temps, pour les femmes, de prier et de panser le monde par leur prière. J’ai écrit ce livre pour susciter une floraison de marguerites !

Que cherche la femme d’aujourd’hui ?
Elle ne cherche pas la puissance de l’homme comme les féministes d’hier. Elle est en train de retrouver la vraie puissance de la féminité. Le temps est venu pour que chaque femme vive son féminin dans sa vie intérieure, dans ses relations familiales, sa vie de couple, son travail. Ce féminin rejaillit aujourd’hui parce qu’il est essentiel à la vie et au monde. Il est essentiel pour traverser les crises que nous connaissons. Il nous permet de remettre l’écoute du cœur humain et de la nature au centre de nos vies, de redécouvrir tant les profondeurs intérieures que l’immensité de l’univers, de nous incarner et de nous unifier, de faire surtout de la Terre une vraie demeure.

Comment renouveler cette alliance du masculin et du féminin ?
C’est quelque chose d’éminemment personnel. Chaque homme, chaque femme, chaque couple vivent leur histoire propre, et ils écrivent chacun la grande Histoire à leur échelle. Une chose est sûre : nous vivons tous dans notre chair, dans notre cœur et dans notre esprit. C’est pareil dans un couple : l’alliance est à la fois charnelle, cordiale et spirituelle. L’Église insiste beaucoup aujourd’hui sur la notion d’engagement. Certes l’engagement est important, mais ce n’est pas la finalité. S’engager, oui, mais pourquoi ? Si dans un couple, il n’y a pas de nuptialité, d’ivresse charnelle, cordiale et spirituelle, le couple n’est pas. L’engagement est le premier pas, mais le chemin est un chemin de nuptialité : il s’agit de s’épouser l’un et l’autre dans la chair, le cœur et l’esprit. La fécondité d’un couple n’est pas que charnelle, elle est aussi spirituelle. Un homme et une femme se fécondent l’un et l’autre, spirituellement. Ils ouvrent ensemble les portes du Ciel, comme ils ouvrent ensemble, dans leur chair, les portes de la vie. Parfois, les couples sont en souffrance car ils se ferment l’un à l’autre les portes du Ciel. Il faut donc nouer une alliance charnelle, cordiale et spirituelle, comme la fleur noue son fruit. Vivre une vraie danse nuptiale, s’épouser pour porter des fruits.


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Vous parlez de la chair comme de l’alliance entre une âme et un corps…
C’est, à mes yeux, le cœur de la religion chrétienne. C’est dans la dimension charnelle que le Christ vient nous unifier, et le christianisme parle d’ailleurs de la résurrection de la chair. Si nous sommes des êtres de chair, nous avons aussi un cœur, qui peut entrer en émoi et où la vie résonne dans un profond silence (Marie retenait tous ces événements et les méditait dans son cœur, Luc 2, 19). Du cœur peuvent monter à nos lèvres des paroles de vie, d’amour et de sagesse. Nous avons tous en tête des paroles de mères, de grand-mères : les femmes ont souvent les mots pour comprendre, consoler, enseigner, relever. Elles expriment ce qu’elles vivent dans leur chair et qui résonne dans leur coeur. L’essentiel pour moi et la raison pour laquelle je me suis enracinée dans le christianisme, c’est bien la chair, la vie sacramentelle et la communion des saints. Je n’ai pas fait vœu monastique, je suis écrivain. L’écriture est mon chemin spirituel, elle me permet d’explorer dans le silence la vie intérieure. Je suis une femme d’intériorité et de silence, de chair et de main… Je pense très peu, c’est ma main qui pense et qui écrit. Ma vie n’est pas une vie de prière devant le tabernacle, même si je prie longuement chaque jour. J’ai fait vœu d’écriture. Ma prière à moi se passe dans l’écriture, dans la création et la délivrance d’une parole nourrie de silence.

Vous avez travaillé dans la communication en conseillant notamment les entreprises du CAC 40. N’est-ce pas un univers trop masculin ?
De nombreuses entreprises sont régies, encore aujourd’hui, par des valeurs très masculines, par l’efficacité, la rationalité, la rentabilité, au détriment de la fluidité, de la sensibilité, de l’intuition et de la confiance. En même temps, les entreprises sont des organismes vivants qui apprennent pour s’adapter à leur environnement et aux attentes. Cette aspiration au lâcher-prise, au lâcher le mental et à l’intelligence du cœur a déjà fait son entrée dans les entreprises et dans les modes de management. J’ai eu la chance, pour ma part, de travailler plus de dix ans en agence de communication, où ma sensibilité et ma créativité féminines étaient reconnues et valorisées.

Faut-il la même alliance dans l’Église ?
Notre Église, elle aussi, est pensée par des hommes. Certes l’Église, c’est l’institution, celle qui vit une crise réelle en ce moment, pour avoir trop laisser peut-être la « femme sauvage » sur son seuil. Mais l’Église, c’est d’abord et avant tout le cœur du Christ. Cette dimension mystique est de loin la plus forte, car le Christ fait toujours dans son cœur toutes choses nouvelles. Oui, le temps est peut-être venu de ré-insuffler du féminin dans l’Église, de restaurer le dialogue spirituel entre l’homme et la femme, de faire une large place à la fécondité spirituelle entre l’homme et la femme.

9782204126434

“Et le miroir brûla. Portrait conté de Marguerite Porete”, Charlotte Jousseaume, Editions du Cerf, 2018.


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