La clémence compense, chez ceux qui exercent le pouvoir, la rigueur de la justice. La dureté et la puissance sont souvent atténuées par cette vertu. Ce n’est pas toujours le cas chez les hommes de pouvoir. En revanche, le peuple chrétien n’a jamais imaginé Dieu régner, en tant que Roi de l’univers, autrement que comme un roi clément. Point de dureté chez Lui.
Jésus, notre bouclier
En Dieu, justice et miséricorde s’entremêlent. Dieu, en Jésus, offre son pardon aux hommes qui L’ont offensé. Et quel pardon ! Un pardon accordé au prix de la mort de son Fils ! Dieu se réconcilie le monde en son Christ. En voyant Jésus mourir injustement par la main des hommes, et mourir en n’ayant que l’amour et le pardon dans le coeur, Dieu ne peut que faire grâce à l’humanité tout entière.
Car Jésus nous représente tous au Calvaire. Tout homme a désormais le Fils miséricordieux comme avocat, comme bouclier de miséricorde. Le psaume 83 le prophétisait déjà : "Dieu, vois notre bouclier,
regarde le visage de ton messie." Comme si le psalmiste demandait que nous soyons jugés en fonction de Jésus. Le fils de Marie et de la promesse messianique, "notre bouclier", s’interpose entre la parole de condamnation de la justice et le pécheur : la Croix est notre pardon. Christ est notre expiation, l’instrument de "propitiation" devant la justice de Dieu.
Un Père "gâteau", gâteux et facile à berner ?
Cependant, que l’on ne pense pas que la clémence de Jésus s’oppose à la justice intransigeante du Père. En effet, le Père Lui-même est à l’initiative de la miséricorde : c’est Lui en effet qui nous donne son Fils. Père et Fils ont même dessein envers nous.
Mais à peine avons-nous apporté cette précision à cette tension entre miséricorde et justice, qu’un autre écueil se présente : celui de nous représenter Dieu comme ayant abdiqué sa prérogative de Juge, pour ne plus être que clémence inconditionnelle. Une telle représentation de Dieu est contredite par toute l’Écriture. La révélation de la miséricorde divine en Jésus ne doit pas nous faire pencher dans l’excès inverse d’une conception de Dieu comme une divinité laxiste à souhait. Le Père n’est pas subitement devenu gâteux et incapable de voir le mal en nous, tant le spectacle de l’amour manifesté par Jésus L’aurait aveuglé au sujet des injustices que nous commettons !
La justice a toujours cours
La justice n’a perdu aucun de ses droits. Nous ne pouvons pas tuer, médire, voler, ruiner les réputations, impunément. Si les hommes restent libres de mal faire, de son côté, Dieu, aussi miséricordieux qu’Il soit, ne nourrit aucune complaisance envers le mal. Celui-ci reste aussi incompatible avec sa sainteté et sa bonté qu’il l’était avant que son Fils ne s’incarne et ne meure sur la Croix.
Dieu a d’autant moins renoncé à exercer la justice qu’il en a remis l’exercice à son Fils. C’est Jésus lui-même qui nous jugera à la fin des temps, qui séparera les brebis des boucs, les saints des pécheurs. Le Miséricordieux est aussi le Juge ! Terrible paradoxe ! Certes, nous serons jugés sur l’amour. Mais jugés véritablement. Car l’amour a ses exigences. Il est un feu, non de l’eau de rose !
Dieu ne se résigne pas à notre médiocrité
Dieu ne se résigne pas en effet à ce que sa créature vive dans la médiocrité. Dieu nous prend au sérieux. Aussi nos fautes sont-elles jugées par Lui pour ce qu’elles sont : des absences d’amour. Ne confondons pas trop vite miséricorde et indulgence. Il est faux de croire que Dieu "passerait l’éponge" parce qu’Il nous considèrerait trop mineurs pour nous imputer les vices de nos actions. À Ses yeux, nous sommes au contraire des adultes, autrement dit des êtres libres et responsables. Voilà pourquoi demande-t-Il réparation et expiation pour nos crimes ou nos manquements.
La Croix, plénitude de la Révélation
Nous ne sommes pas des saints. Aussi peut-il arriver que nos péchés obscurcissent à ce point l’image de Dieu en nos esprits, que nous ne nous Le représentions plus que comme le Juge implacable et vengeur. C’est alors le moment de tourner nos regards vers la douceur du visage du Christ sur la Croix. Sur le visage du Messie de Dieu, nous discernerons le refuge assuré des pécheurs. Amour de Dieu et vérité sur nous-mêmes ne s’embrassent nulle part davantage qu’au Calvaire !
Dans le même temps, nous entrerons dans la plénitude de la Révélation qui manifeste la tendresse du Père — qui n’est pas moindre que celle de son Fils. La Révélation s’accomplit en effet dans celle d’un Dieu Un en trois Personnes égales en divinité et... en miséricorde !