Dans un très beau roman, Alexandre Najjar raconte la rencontre pleine d’humanité entre l’abbé Franz Stock, un aumônier allemand auprès des prisonniers français, et l’acteur français Harry Baur.
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Il s’agit du roman d’une belle amitié où la fiction se mêle au réel pour montrer ce que la bonté peut donner de plus beau au cœur même de la guerre. Pour en savoir plus, Aleteia est allé à la rencontre d’Alexandre Najjar.
Aleteia : Dans beaucoup de vos écrits, vous abordez la question du Liban, de son histoire, de son identité. Pourquoi avoir choisi cette fois de parler de l’Occupation ?
Alexandre Najjar : Il est vrai que dans beaucoup de mes livres, je parle du Liban. D’abord parce que c’est mon pays, un pays intéressant qui réunit dix-huit communautés religieuses, et dont Jean Paul II a dit que c’était plus qu’un pays, mais un message pour toute l’humanité. C’est une mosaïque fascinante, avec ses richesses et ses faiblesses. Des conflits religieux surviennent souvent. La cohabitation, le vivre-ensemble, ne sont pas toujours faciles. En même temps, on y tient. On pense que la cohabitation entre musulmans et chrétiens fait la spécificité du Liban et que si le dialogue interreligieux ne réussit pas là, on ne voit pas où il pourrait réussir. Dans mon ouvrage, le récit se passe certes sous l’Occupation, mais en même temps il y a de nombreuses questions qui concernent non seulement la France, mais le monde entier. C’est en fait un thème universel : un aumônier allemand, nommé par les nazis, décide d’aider et de secourir spirituellement des prisonniers français. J’ai été admiratif de la forme de résistance empruntée par l’abbé Stock. C’est un hymne à la fraternité qui prouve que des liens peuvent se nouer entre des personnes que les circonstances devraient opposer. Cela me semble fondamental aujourd’hui, à un moment où les fanatismes et la violence germent ici et là : même en plein cœur de la barbarie, pendant la Deuxième Guerre mondiale, une certaine fraternité restait possible.
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Dans votre roman, une citation de l’Évangile revient deux fois : il faut être “prudents comme des serpents et purs comme des colombes”. Comment est-ce possible ? Est-ce la leçon de sagesse de l’abbé Stock ?
C’est effectivement une leçon de sagesse que l’on trouve dans les évangiles. J’ai écrit la biographie d’un prêtre capucin libanais, le bienheureux père Jacques (Abouna Yaacoub), qui affirmait qu’être un saint, ce n’est pas être un âne. On ne peut pas être bête et naïf, surtout dans des circonstances exceptionnelles comme la guerre : il faut savoir être diplomate et suffisamment intelligent pour parer les coups et contourner les obstacles tout en gardant son intégrité. C’est le meilleur moyen de servir le Christ. Je crois vraiment que l’on peut être pur tout en étant prudent. C’est Jésus lui-même qui l’enseigne.
Un autre point qui peut frapper dans ce roman, c’est la place de l’art. Vu le culte de l’art qui habite l’abbé Stock, on a le sentiment que la beauté joue un grand rôle dans la spiritualité. Avez vous voulu par là réhabiliter l’art ? Avec l’expérience nazie, on insiste souvent sur le fait que c’est un peuple très cultivé, qui a le goût des arts, qui a pu commettre les pires atrocités. Dans votre livre, on voit plutôt que l’art humanise.
Effectivement, j’ai voulu donner à l’art la place qui lui revient : un acte d’expression de la beauté, notamment de la beauté telle que créée par Dieu. L’art en soi est un acte spirituel et les nazis l’ont dévoyé : ils ont brûlé des milliers de livres, interdit la publication de grands écrivains juifs, confisqué les œuvres d’art dans les musées, interdit le jazz considéré comme un art dégénéré, etc. Vous avez très bien saisi la nuance : j’ai voulu montrer que l’art véritable est noble et qu’il ne peut pas devenir une cause de répression, être détourné comme un instrument de propagande. Certes, les États totalitaires tentent souvent de récupérer l’art, mais cela ne fonctionne pas et ils finissent par y être allergiques. Regardez aujourd’hui Daesh. L’art ne peut pas cohabiter avec la barbarie.
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Le lien entre histoire et création littéraire est un autre point marquant de votre roman. Comment vous est venue l’idée d’imaginer ce dialogue et comment avez vous fait pour vous mettre dans la peau d’un prêtre ? Cette amitié entre Harry et Franz est-elle le fruit de votre imagination ?
Au Liban, ce que j’ai toujours détesté, ce sont les lignes de démarcation qui divisent les villes, entre Est et Ouest, entre musulmans et chrétiens. De même dans les romans, entre fiction et réalité, je n’aime pas les lignes de démarcation. Je crois que la fiction et la réalité peuvent se refléter l’une et l’autre et se compléter. La force de l’imagination peut parvenir à combler les trous ou les vides de l’histoire. On sait que Franz Stock a rencontré Harry Baur en prison. On ne sait pas ce qu’ils se sont dit ; c’est là où l’imagination du romancier prend le relais. J’aime bien mêler également les personnages réels et les personnages fictifs dans mes romans ; les uns s’enrichissent au contact des autres. En même temps, je suis très exigeant sur mes recherches. Tout ce que je raconte a un fond de vérité et aurait pu se passer : la prison du Cherche-Midi, ce que les prisonniers mangeaient, le parcours de Harry Baur et ses réflexions; un important travail historique a été réalisé. Mais je me permets, quand l’histoire ne dit plus rien, de trouver la suite grâce à l’imagination du romancier. Je me suis beaucoup documenté sur la personnalité des deux personnages principaux. J’ai lu de nombreux écrits de l’abbé Franz Stock pour comprendre sa manière de réfléchir. Se mettre dans la peau d’un prêtre et écrire à la première personne était un véritable défi, avec la dimension spirituelle et sa lecture théologique des événements. En même temps, un prêtre ne parle pas que du spirituel, il est un observateur de son temps. Je ne voulais pas un journal purement théologique car cela ne correspond pas à ce qu’il était : l’abbé Franz Stock était très curieux, passionné d’art et de voyages. Ses réflexions débordent le cadre religieux et nous renseignent sur son époque et son action courageuse au service des prisonniers français.