Il y a un an, le 17 octobre 2017, l’État islamique (EI) perdait son principal fief en Syrie, Raqqa. Un an plus tard, alors que le gouvernement de Bachar al-Assad semble en passe de gagner la guerre sur le terrain, l’avenir du pays reste incertain.
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C’était il y a un an, jour pour jour. Ce 17 octobre 2017, après plus de quatre mois d’intenses combats avec les djihadistes de l’État islamique (EI), les forces arabo-kurdes, soutenues par la coalition américaine, reprennent la ville syrienne de Raqqa. Située sur les rives de l’Euphrate dans le nord de la Syrie, à moins d’une centaine de kilomètres de la frontière turque et à environ 400 kilomètres au nord-est de Damas, la ville de Raqqa était tombée aux mains de l’EI en janvier 2014. En juin 2014 le groupe terroriste en avait fait la capitale de son califat auto-proclamé.
Aujourd’hui, si la défaite sur le terrain – en Irak et en Syrie – de l’EI est acquise, plusieurs observateurs alertent sur l’absence de solution à des problèmes de fond. « Daech a été vaincu sur le plan territorial […] mais l’organisation reste dangereuse », expliquait récemment Bernard Bajolet, ancien directeur de la DGSE, à des journalistes. « En Irak, l’intervention américaine de 2003 a porté la majorité chiite au pouvoir, écartant la minorité sunnite. En Syrie, cela revient un peu au même, puisque depuis la prise de pouvoir de la communauté alaouite, les sunnites sont marginalisés. Ces phénomènes n’ont pas trouvé de solution. Nous avons un traitement de ces problèmes symptomatiques, militaire, sécuritaire, mais nous n’avons pas vraiment attaqué les problèmes de fond ». « Faute de résolution des causes qui les ont vu naître, les insurrections ne disparaissent pas comme ça », explique de son côté Hassan Hassan, membre du programme sur l’extrémisme de la George Washington University. « Elles s’endorment pour des années ou même des décennies, pour mieux renaître plus tard ».
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Qu’en est-il du quotidien des Syriens ? « En un an, la situation a très peu évolué », explique à Aleteia Bernard Heyberger, directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales (Ehess) et auteur d’un « Que sais-je » sur Les chrétiens d’Orient. « Finalement, ce sont de petits groupes qui ont vécu sous la poigne de l’EI. Le problème principal de la guerre en Syrie, qui n’est pas finie, demeure la destruction des infrastructures éducatives, économiques, culturelles… La situation matérielle est extrêmement tendue : l’économie ne reprend que très lentement, les produits de la vie quotidienne sont chers, les écoles s’organisent mal…”. L’historien souligne également les nombreux problèmes d’ordre politique. “Il existe de profondes incertitudes quant à l’avenir du pays, notamment à cause du conflit qui s’annonce entre les Kurdes et les Syriens », rappelle-t-il. Plusieurs membres de la minorité assyro-chaldéenne vivant à l’est de la Syrie témoignent ainsi des difficiles relations avec les Kurdes.
« Cela ne sera plus la Syrie d’avant »
Concernant les chrétiens de Syrie, Bernard Heyberger confie ne pas savoir s’il « reste encore 10% de chrétiens » comparés à leur nombre avant le début de la guerre. « Les gens ne reviennent pas ! A Alep, ceux que je connais me disent qu’ils sont entourés de musulmans alors qu’il existait avant une forte communauté chrétienne. » « Historiquement, la plupart des chrétiens de Syrie ont vraiment adhéré au nationalisme arabe et pensaient que ce nationalisme arabe et syrien leur offrait une protection contre l’islam radical. Il y avait une vraie habitude de cohabitation entre différents groupes chrétiens et entre les chrétiens et les musulmans. La Syrie était intéressante à cause de ce grand pluralisme chez les chrétiens et des chrétiens avec musulmans. C’était une expérience culturelle et politique unique », rappelle-t-il. « Aujourd’hui je suis extrêmement méfiant. Bien qu’il y ait des gens qui s’engagent pour la reconstruction du pays, ça ne sera plus la Syrie d’avant ». Et qu’en est-il d’un éventuel retour de ces minorités ? « On peut l’imaginer dans un pays paisible, prospère et démocratique. Mais ce n’est pas le cas de la Syrie… et cela semble mal partie pour des décennies ! »
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Directeur général de l’Œuvre d’Orient et vicaire général de l’ordinariat pour les Orientaux vivant en France, Mgr Pascal Gollnisch rappelle que « la question des chrétiens en Syrie se pose essentiellement à Alep et à Homs ». « La question du retour suppose beaucoup de paramètres dont certains sont assez… incertains », confie-t-il à Aleteia. « Cela va dépendre de ce que les pouvoirs publics, nationaux et internationaux mettent en place. Le gouvernement va-t-il accepter que les Européens et Américains financent une partie de la reconstruction ? », s’interroge-t-il. Globalement, il constate le retour de certains chrétiens et musulmans sunnites, notamment de ceux qui s’étaient réfugiés au Liban. « Mais on est très loin d’un retour complet », indique Mgr Gollnisch. « Raqqa a été repris à l’État islamique il y a un an mais il reste encore malgré tout des milliers de combattants de Daech entre la Syrie et l’Irak. Par ailleurs, il n’y a pas que Daech mais aussi Al-Qaïda et de nombreux groupuscules ayant la même idéologie. Enfin, il y a la question de la reconstruction matérielle qui devra passer par une volonté des autorités syriennes d’ouvrir les choses. Rien n’est acquis, rien n’est gagné. Je ne suis pas pessimiste mais les choses n’avanceront pas d’elle-même », rappelle Mgr Gollnisch.
“Vivre au nom de l’Évangile”
Quel est l’enjeu de la présence de chrétiens en Syrie ? « La paix en Méditerranée », affirme le directeur de l’Œuvre d’Orient. « Les minorités chrétiennes sont certes peu nombreuses, elles ne représentent ni une force politique, ni une force économique, ni une puissance militaire. Leur seule raison d’être ? Vivre au nom de l’Évangile. Les chrétiens œuvrent et doivent œuvrer comme des médiateurs, des acteurs de culture, d’espérance, de pleine citoyenneté pour tous. Ils doivent faire avancer vers plus de modernité. »
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