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Si la proposition de loi d’Olivier Falorni visant à légaliser l’euthanasie n’a pas été adoptée le 8 avril dernier par les députés, l’offensive pro-euthanasie de ces derniers mois inquiète sur le changement anthropologique majeur qu’une telle mesure entraînerait pour la société. Entretien avec Anne-Marie Trebulle, directrice adjointe du Foyer d’Accueil Médicalisé Sainte Geneviève (Notre-Dame de Bon Secours), après avoir été pendant 18 ans directrice des soins à la maison médicale Jeanne Garnier à Paris.
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La maison Jeanne Garnier est un établissement de soins palliatifs privé à but non lucratif, accueillant des patients en phase avancée ou terminale de leur maladie. Fidèle à l’esprit de sa fondatrice, la maison Jeanne Garnier accueille, soigne et accompagne les patients et leurs proches, en considérant le malade comme une personne unique, digne d’être aimée et respectée pour elle-même.
Aleteia : En quoi accompagner les malades en fin de vie est-il un engagement citoyen ?
Anne-Marie Trebulle : Notre société a tendance à cacher la mort. Or, c’est la seule certitude que l’on a en venant au monde ! La mort fait partie de la vie. Elle est une étape normale. Accompagner les malades, et leurs proches qui vont perdre un être cher, est un engagement citoyen dans la mesure où nous, en tant que professionnels éclairés par cette conscience aiguë que la mort est inéluctable, nous sommes là pour les aider à passer ce moment. C’est un engagement pour la société, car d’expérience — je travaille depuis plus de 30 ans dans les hôpitaux — une mort bien accompagnée, cela veut dire des proches apaisés. La famille a besoin d’être accompagnée pour cheminer et être prête à faire face à la mort. Sinon, elle peut rester désemparée, angoissée, révoltée face à quelque chose qu’elle ne comprend pas. Et pour nous aider, nous avons la chance d’avoir une équipe importante de bénévoles.
Tout le monde peut-il être bénévole ?
Non. Il faut d’abord savoir pourquoi on vient. Les bénévoles acceptent de donner du temps, gratuitement, pour des personnes qui sont « inutiles » économiquement. Ils vont à contre-courant de l’attitude ambiante et viennent dire aux patients : « La société a besoin de vous, vous êtes importants ». Quand on est bénévole, il faut accepter d’être rejeté par un malade qui ne veut pas vous voir, accepter d’entendre les souffrances des familles. Tout cela sont des épreuves et tout le monde n’est pas fait pour ça.
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La Maison Jeanne Garnier est reconnue pour la qualité de ses soins et de son accompagnement. Qu’est-ce qui fait sa spécificité, et par là, son excellence ?
Une de ses particularités est son histoire, vieille de plus de cent ans, née grâce à des bénévoles : Jeanne Garnier, jeune veuve lyonnaise et chrétienne qui consacra son temps et sa fortune à l’accueil et l’accompagnement de femmes dites « incurables » et qui fonda l’œuvre du Calvaire en 1842. Puis Aurélie Jousset, inspirée par cet exemple, qui créa « Le Calvaire » de Paris en 1874. La Maison a évolué depuis, elle s’est professionnalisée, mais elle a gardé cet état d’esprit tourné vers le malade.
Outre le respect des patients, il existe à Jeanne Garnier un vrai respect entre les soignants. On a l’habitude de dire que l’on a des postes différents, du médecin jusqu’à l’agent hospitalier, mais on a tous la même valeur humaine. Et il y a autre chose, qui garantit aussi la qualité des soins, c’est le sens que les professionnels trouvent dans leur travail. Dans un service de soins palliatifs, les soignants retrouvent le sens de leur engagement initial : je ne connais pas un infirmier ou un aide-soignant qui entre dans une école pour s’occuper d’une maladie, ou d’un organe, non, on veut s’occuper d’un malade, dans sa globalité. Et à Jeanne Garnier, le patient est considéré dans son entier.
Jeanne Garnier est une maison d’inspiration chrétienne. Reste-t-il aujourd’hui des traces de cette initiative chrétienne ?
Oui, depuis 1988, à la demande de l’archevêque de Paris, la communauté religieuse des Xavières habite à la Maison médicale. Elles ont succédé aux Dames du Calvaire devenues trop âgées. La communauté, présence priante, vit proche des malades, de leurs familles et du personnel. Elle participe activement à l’animation liturgique et spirituelle et collabore à la formation. Il y a une chapelle, une équipe d’aumônerie — indépendante de l’équipe de bénévoles — et des messes sont célébrées trois fois par semaine. On ne fait pas de prosélytisme, on accueille tout le monde et on respecte toutes les religions, mais on ne se cache pas d’être catholique et de porter les valeurs de l’Église.
Le rapport de synthèse du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) sur les États généraux de la bioéthique préconisait de « faire en sorte que la loi Claeys-Leonetti soit réellement appliquée et respectée ». Selon vous, qu’est-ce que cela sous-entend ?
La loi Claeys-Leonetti va déjà très loin puisqu’elle permet de faire une « sédation profonde et continue » jusqu’au décès du patient, mais uniquement dans certains cas très précis : il faut être atteint d’une maladie grave et incurable, avoir un pronostic vital engagé à court terme, il faut que ce soit le malade qui en fasse la demande, et non pas un de ses proches, et il faut qu’il y ait des souffrances réfractaires, c’est-à-dire des souffrances qui ne passent pas malgré différents traitements. Et pour juger une souffrance réfractaire, il nous faut du temps pour essayer tous les médicaments. On ne peut donc pas faire de sédation profonde et continue en dehors de ces trois critères. Le problème est que nous avons parfois des familles qui demandent des sédations pour leur proche, ou alors des malades qui en font la demande, alors qu’ils ne sont pas en fin de vie. Et cela ne rentre pas dans le cadre de la loi.
Que se passerait-il si on en venait à légaliser l’euthanasie ?
Il ne s’agirait plus d’une sédation d’accompagnement de la fin de vie mais d’une sédation qui provoque délibérément la mort. Selon moi, c’est un combat d’arrière-garde, un combat idéologique, parce que la loi Claeys-Leonetti permet d’aller assez loin. Si on légalise l’euthanasie, cela revient à dire aux patients qu’ils n’ont plus leur place, plus leur raison d’être. C’est un point de vue complètement subjectif ! Prenons un exemple : lorsque vous êtes jeune, l’idée d’un fauteuil roulant ou d’un déambulateur vous est insupportable ! Mais lorsque vous vieillissez, finalement, vous vous dites que ce n’est pas si dramatique que ça ! Et que ce qui est important, c’est la façon dont on vous regarde.
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Et je vous laisse imaginer la pression qui pèserait sur les épaules des malades : lutter pour rester en vie quand un séjour en maison de retraite représente un coût financier conséquent, ou quand il faudra libérer des chambres d’hôpital. Tant qu’il n’y a pas de légalisation, les malades peuvent dire : « J’en ai assez ! ». Mais le jour où l’euthanasie est légalisée, ils ne pourront plus le dire, parce qu’ils auront peur qu’on passe à l’acte. Ils ne pourront même plus exprimer leurs émotions. Or exprimer ses émotions, c’est ce qui nous permet de vivre. Fabrice Hadjadj racontait que Dyonisos, malade, avait demandé à son disciple : « Arrête, il faut que ça s’arrête ». Son disciple rapporte alors un couteau, mais Dionysos répond : « Je t’ai demandé d’arrêter ma souffrance, pas ma vie ». Les malades qui demandent l’euthanasie sont des malades qui veulent que leurs souffrances s’arrêtent ! Certes aujourd’hui, nous disposons d’un panel de médicaments qui rendent les douleurs physiques supportables, mais il reste les douleurs d’ordre psychologique et existentiel, qui, elles, sont plus difficiles à soulager. La peur de l’inconnu, le sentiment de solitude, le sens de la vie sont des questions et des appréhensions qui trouvent un apaisement dans l’écoute, dans une présence bienveillante, que nous nous efforçons de prodiguer.