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Quand dimanche devient « manchedi »

DELIVEROO
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Hélène Bodenez - published on 06/10/18
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Le dimanche à toutes les sauces, c’est le thème d’une récente campagne publicitaire de Deliveroo dans le métro parisien. Pour le philosophe Jean-Claude Michéa, la fin du dimanche illustre la destruction de la vie commune. Ces affiches ont défilé toute la semaine, d’une station de métro à l’autre, pour vanter les plats cuisinés livrés à domicile de la marque Deliveroo. Elles sont bleu turquoise, peu sophistiquées. Une barquette de poulet-frites agrémentés de quelques légumes s’offre à la vue des voyageurs. Le slogan : « C’est tous les jours dimanche ».

La fête du dimanche : son repos, son repas

Essayons d’entrer dans l’intention du publicitaire : le poulet-frites au menu du jour de fête. Pourquoi pas. À moins que le luxe de ce jour ne soit tout simplement de n’avoir rien à cuisiner et de se faire livrer. Soit. À bon repos, bon repas. Mais le message veut dire plus : faire passer l’idée que ce luxe exceptionnel puisse devenir celui de tous les jours. La fête, c’est tous les jours, un peu comme au Pays des Jouets où chaque jour est un jeudi (mercredi) pour Pinocchio. L’on sait avec quels malheurs !


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Que cette affiche fleurisse aujourd’hui sur nos murs dit que la culture du dimanche reste malgré tout majoritaire : on voit mal une entreprise dépenser des centaines de milliers d’euros sur une idée confidentielle que plus personne ne comprendrait et c’est plutôt une bonne nouvelle. L’effacement du dimanche n’est peut-être pas encore total. En même temps, avancer que tous les jours puissent être comme un dimanche est dans l’air du temps, une façon d’en programmer la mort et s’insinue toujours plus dans les esprits : le propre du dimanche, c’est d’être unique et en rupture par rapport aux autres jours. Une émission sur RTL d’ailleurs s’intitule justement « C’est pas tous les jours dimanche ».

Or, ce que nous voyons plutôt advenir avec l’ouverture généralisée des commerces le dimanche c’est l’inverse du slogan de Deliveroo : le dimanche devient un jour comme les autres.

Le dimanche ne vaut plus rien

Jean-Claude Michéa interviewé sur France culture s’en est d’ailleurs ému. Invité de « La Grande table » pour évoquer son nouvel ouvrage, Le Loup dans la bergerie (Climats), le philosophe a commenté l’effacement du dimanche comme jour sans travail pour illustrer l’irruption des dérives du libéralisme déréglé dans le socialisme. Pour lui, c’est la vie sociale qui est en péril : « Le slogan du libéralisme, dit-il, et notamment de gauche c’est : Mon corps c’est mon choix, ça m’appartient ; mon temps c’est mon choix, ça ne vous regarde pas ; mon argent, c’est mon choix, ça ne vous regarde pas. C’est vrai dans certaines limites parce que sinon on est dans un système totalitaire. Mais à partir de quel moment l’usage que je veux faire de mon corps, de mon temps, de mon argent va détruire la vie commune ? »

Dans cette logique, Jean-Claude Michéa relève que le dimanche ne vaut plus rien : « Le libéral dit : Moi je ne vous empêche pas de ne pas travailler le dimanche ; si vous voulez vous reposer le dimanche c’est votre problème, moi j’ai envie de travailler. En quoi ça vous regarde, je ne gêne personne, je ne nuis à personne. Mais au fur et à mesure que dimanche devient “manchedi” et un jour comme les autres, tous les rythmes collectifs se désynchronisent… La vie familiale, sportive et associative devient de plus en plus complexe à mettre en œuvre. Et on s’aperçoit au bout de quelque temps que toutes ces décisions présentées comme privées finissent par modifier la vie commune. »

Le repos dévoré

Dimanche défiguré en « manchedi »… Avec son -di placé à la fin du nom, dans une inversion saisissante, voilà le mot formé comme les six autres noms des jours de la semaine, éclairant ainsi le propos de manière singulière, la déconstruction civilisationnelle à l’œuvre. Prononcé rapidement, on entendrait presque par une sorte d’analogie abusive que le dimanche est mangé, dévoré comme est consommé avec lui le repos bienfaisant pour tous.

Chronos, on ne le voit que trop, n’en a pas fini de dévorer ses enfants. Sac au dos, les livreurs de Deliveroo peuvent pédaler !


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