Agrégé de philosophie, Martin Steffens, 41 ans, marié et père de quatre enfants, vient de publier “L’amour vrai, au seuil de l’autre” (Salvator), un essai sur l’amour, et en négatif, sur la pornographie. En disséquant ces deux notions, en les opposant, parfois même en les comparant, l’auteur démêle le vrai du faux, non pas dans une démarche morale, mais plutôt de recherche de la vérité. Il définit l’amour comme la vocation de tout homme au don de soi. Entretien.
Aleteia : Vous dites dans votre livre que la pornographie contient une part de vérité. Vous prenez l’exemple de la tapette à souris qui contient une « vraie » part de fromage pour attirer le rongeur. Quelle est cette part de vérité ?
Martin Steffens : Comme la tapette à souris, la pornographie utilise quelque chose de vrai, de beau, de fort pour nous attirer. Cette part de vérité, c’est le désir que Dieu a mis dans nos cœurs, c’est l’amour fou auquel tout homme est appelé. La pornographie nous attire et nous attrape par cette caricature de l’amour que le désir croit reconnaître. La pornographie ne marche que parce qu’elle profane quelque chose de sacré. Elle singe l’amour, en mimant le désir humain de se donner sans réserve. Si elle ne faisait pas écho à un désir inscrit au plus profond du cœur de l’homme, regarder un homme et une femme s’accoupler aurait le même effet qu’un documentaire animalier ! Or ce n’est pas le cas, il y a une attirance, une sidération, des effets destructeurs, parce qu’elle est l’image fausse d’un désir vrai : le désir de vivre avec son corps un don total.
Vous soulignez la nécessité de protéger un enfant de la pornographie. En même temps, vous écrivez très justement : « Quand un enfant pressent qu’on veut le protéger du mal, il commence à pressentir que ce mal existe. » Donc son innocence s’est déjà envolée. Alors comment le protéger ? Nous n’avons guère plus que la parole pour le protéger. Ce mal existe. Enfermer ses enfants sous une cloche de verre n’est pas une solution. Ce serait une manière de dire que le mal est partout, et de gâter ainsi leur innocence. Par la parole, par les mots, il faut faire une relecture du monde et de ce qui s’y vit de dur.
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Une fois qu’on l’a vue, il est difficile d’effacer une image pornographique de son imagination. Vous écrivez : « Il n’est pas possible de maigrir de l’imagination. » Est-il cependant possible de guérir le regard qui a vu ?
Quand l’innocence est perdue, il n’est pas possible de la retrouver. En revanche, on peut aller plus loin. L’innocence est derrière nous, certes, mais se dresse devant nous une œuvre de guérison. La meilleure ruse du bien contre le mal est de renchérir sur le mal. Ce chemin de guérison nous demande de partir à la quête de ce que je suis vraiment, de ce qu’aimer veut vraiment dire. Dans ce livre, je m’adresse à de jeunes garçons pour leur dire : « Oui, tu es honteux, mais tu devrais être fier de cet immense désir que tu nourris si mal ! », pour leur faire entrevoir l’amour vrai qui se situe au seuil de l’autre.
« Au seuil de l’autre », c’est l’expression que vous utilisez dans le titre de l’ouvrage pour définir l’amour vrai. Que signifie-t-elle exactement ?
Rester au seuil de l’autre, c’est prendre acte de notre immense désir, de notre immense besoin d’aimer — car on est fait pour l’amour et par l’amour — et savoir attendre. Parce que la satisfaction de notre désir ne dépend pas de nous. Le seuil de l’autre, c’est cette patience de confesser son désir et en même temps consentir à ce que le temps de sa satisfaction n’est pas le nôtre. Comme dans la prière : nous venons avec nos demandes et nos supplications, et dans le même temps, nous nous dépossédons du pouvoir de les satisfaire. Prier, c’est patienter au seuil de l’être aimé et de la chose désirée. C’est posséder cette chose et cet être sur le mode de la dépossession : c’est les posséder d’autant mieux qu’on se refuse à les avoir pour soi, à les dévorer, à les assimiler. C’est posséder, non parce que l’on prend, mais parce que l’on reçoit. On retrouve cette attitude dans l’amour que nous portons à nos enfants : il s’agit de les aimer sans pour autant les posséder. De même pour la beauté, elle ne se prend ni ne se mange. Elle se reçoit, sans possession, à la condition même de notre dépossession. L’amour vrai, c’est l’amour au sens fort. L’amour absolument donné et absolument reçu. L’amour comme un don de soi sans retour. Cet amour qui nous fait patienter, au seuil de l’autre.