Selon les Nations-Unies, pour éviter une nouvelle crise économique, le monde a besoin d’une coopération internationale plus audacieuse.
Pour qu’Aleteia poursuive sa mission, faites un don déductible à 66% de votre impôt sur le revenu. Ainsi l’avenir d’Aleteia deviendra aussi la vôtre.
*don déductible de l’impôt sur le revenu
Dix ans après la crise financière de 2008, l’économie mondiale reste fragile, menacée par les guerres commerciales qui sont le symptôme d’un malaise économique plus profond, constate la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED). L’institution présentait le 26 septembre dernier son nouveau rapport annuel Trade and Development Report 2018: Power, Platforms and the Free Trade Delusion (Rapport sur le commerce et le développement 2018 : Pouvoir, plateformes et désillusion du libre-échange).
Selon cet organe de l’ONU basé à Genève, si l’économie mondiale a repris des couleurs depuis début 2017, la croissance reste “spasmodique”. De nombreux pays tournerait en-dessous de leur potentiel, et il est peu probable que la situation change cette année.
Une économie “sous tension”
“L’économie mondiale est de nouveau sous pression”, relève le Secrétaire général de la CNUCED, le Kenyan Mukhisa Kituyi. Derrière cette instabilité, se cache un “échec plus large”, affirme-t-il, à savoir une “incapacité à faire face depuis 2008 aux inégalités et déséquilibres de notre monde hyper mondialisé”.
Lire aussi :
“C’est le “time to market” de la doctrine sociale de l’Église”
Pour les auteurs du rapport, nous assistons en ce XXIème siècle à un véritable paradoxe. Le “paradoxe de la mondialisation”. Malgré un flot incessant de paroles louant “la flexibilité, l’efficacité et la compétitivité” de cette mondialisation, “les économies avancées et en développement se révèlent de plus en plus fragiles, faibles et fracturées”, soulignent-ils. Les débuts de reprise enregistrés l’an dernier ont suscité un optimisme qui “n’a pas duré longtemps”. Les récentes estimations de croissance sont plus faibles que prévu et montrent même une certaine décélération, souligne le rapport qui cite l’exemple du Japon, troisième puissance économique mondiale, qui enregistrait une croissance négative au premier trimestre 2018.
Les économies émergentes résistent mieux. En Chine et en Inde, la croissance au premier trimestre de cette année a été plus élevée que prévu. Dans deux autres pays du B.R.I.C.S, à savoir le Brésil et l’Afrique du Sud, il n’y a eu ni amélioration ni ralentissement.
L’ombre de la dette
A l’instar du Groupe Allianz qui a lui aussi publié une analyse de l’économie mondiale, la CNUCED estime que la hausse de la dette est un des facteurs de risques auquel l’économie mondiale est exposée. Le stock de la dette à l’échelle mondiale atteint aujourd’hui 250.000 milliards de dollars, soit 50% de plus qu’au moment de la crise de 2008. Ce montant représente trois fois la taille de l’économie mondiale.
Lire aussi :
Pourquoi le christianisme n’est pas un humanisme
La dette privée a “explosé”, poursuit le rapport de la CNUCED, en particulier sur les marchés émergents et dans les pays en développement, passant de 7% du stock de dette mondiale en 2007 à 26% en 2017. Au même moment, le rapport entre le crédit aux sociétés non financières et le PIB dans les économies de marché émergentes passait de 56% en 2008 à 105% en 2009.
Sur la dette, le principal auteur du rapport, Richard Kozul-Wright, directeur de la division globalisation et stratégies de développement au sein de l’organisme, n’a aucun doute : “l’endettement croissant observé dans le monde entier est étroitement lié à l’inégalité croissante”.
Les grandes entreprises
Le rapport, qui ne partage pas la vision positive du groupe Allianz sur les effets de la mondialisation, attire également l’attention sur la concentration du pouvoir économique entre les mains d’un nombre toujours plus restreint d’entreprises de plus en plus grandes. La répartition des exportations, par exemple, selon la CNUCED , est “fortement faussé, favorisant les grandes entreprises”. Après la crise financière mondiale, les cinq plus grandes entreprises exportatrices représentaient en moyenne 30% des exportations totales d’un pays, et les dix plus grandes entreprises exportatrices 42%.
Ce phénomène est particulièrement prononcé dans le secteur numérique ou électronique. Sur les 25 plus grandes entreprises – en termes de capitalisation – du secteur Tech, plus de la moitié (14) sont basées aux États-Unis, sept en Asie, dont trois en Chine, trois dans l’Union européenne et une seule en Afrique. Les trois grandes entreprises technologiques américaines ont une capitalisation boursière moyenne de plus de 400 milliards de dollars, comparativement à une moyenne de 200 milliards de dollars pour les grandes entreprises chinoises, 123 milliards de dollars pour les entreprises asiatiques, 69 milliards de dollars pour les entreprises européennes et 66 milliards de dollars pour la seule entreprise africaine.
Lire aussi :
Le rapport sans concession sur l’état actuel du projet européen
La vitesse à laquelle les bénéfices de la position dominante domination du marché se sont accumulés est “significative”, estiment les auteurs du rapport. A titre d’exemple, ils citent les deux entreprises leaders dans des secteurs comme l’e-commerce ou les achats en ligne : le géant américain Amazon et le chinois Alibaba. Alors que le rapport bénéfices/ventes d’Amazon est passé de 10% en 2005 à 23% en 2015, celui d’Alibaba est passé de 10% en 2011 à 32% en 2015.
Des accords discutables
Pour la CNUCED, la croissance des bénéfices accumulés par les grandes sociétés “superstar”, comme Apple, devenue il y a deux mois la première société cotée à Wall Street et la première à dépasser les 1.000 milliards de dollars de capitalisation – a été un facteur majeur d’inégalité mondiale. Cela a creusé le fossé qui sépare un nombre restreint de grands gagnants, et une masse de petites entreprises et de travailleurs mis sous pression.
Selon le rapport, ce sont précisément les grandes entreprises qui gouvernent l’hyper-mondialisation, créant des positions de marché de plus en plus dominantes et oeuvrant dans le cadre d’accords de “libre-échange”. Des accords bien souvent faits au prix d’un lobbying intense et appliqués sous un contrôle public minimal. Il faut reconnaître, ajoute le rapport, que “bon nombre des règles adoptées pour promouvoir le “libre-échange” n’ont pas réussi à pousser le système dans une direction plus inclusive, participative et favorable au développement”.
Faire fonctionner le multilatéralisme
S’il ne fait aucun doute que l’hyper-mondialisation a permis aux pays en développement de conquérir une part croissante du commerce mondial, toutefois “transformer ces tendances en un processus de développement transformateur s’est révélé difficile dans de nombreuses régions du Sud”, relève le rapport. La CNUCED appelle donc à des solutions qui ne tombent pas dans les extrêmes : avec d’un côté un nationalisme nostalgique, de l’autre un soutien renouvelé au libre-échange.
Lire aussi :
“Oeconomicae et pecuniariae quaestiones” : un texte incisif mais équilibré
Ce qu’il faut, c’est du multilatéralisme, sur lequel pèse cependant de “vieilles et nouvelles tensions”, a déclaré le Secrétaire général de la CNUCED, M. Kituyi. Dans un monde interdépendant, estime-t-il, “les réponses égoïstes ne sont pas une solution”. Le défi aujourd’hui est de “trouver la manière de faire fonctionner le multilatéralisme”.
Malheureusement, conclut le rapport, “le drame justement aujourd’hui c’est que lorsqu’une coopération internationale plus audacieuse est nécessaire (…),plus de trois décennies de battements de tambour incessant du libre-échange ont pris le dessus sur le sentiment de confiance, d’équité et de justice dont dépend cette coopération”.