La béatification de l’ancien évêque d’Oran, assassiné en 1996, honore un message de paix avec le monde musulman, fondé sur une vision exigeante du dialogue, comme celui de Dieu avec tous les hommes.
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Le pape François a annoncé au début de cette année sa décision de béatifier Mgr Pierre Claverie, évêque d’Oran, et dix-huit autres religieux et religieuses, dont les moines trappistes de Tibhirine, morts de façon violente entre 1994 et 1996. Saluant cette décision, les évêques d’Algérie ont souligné que ces victimes sont mortes par fidélité à leurs amis algériens, victimes eux aussi de la violence de la décennie noire des années 1990. C’est donc sous le signe de l’amitié avec le peuple algérien, et non pas en stigmatisant les musulmans, que l’Église d’Algérie veut vivre cette béatification.
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Un Algérien par alliance
L’amitié a été le fil conducteur de la vie de Pierre Claverie. Né en Algérie à l’époque coloniale, il a largement vécu toute sa jeunesse à côté du monde algérien musulman, sans le rencontrer ni vraiment le connaître. « Nous n’étions pas racistes, seulement indifférents » avouera-t-il plus tard, estimant avoir vécu toute sa jeunesse dans « une bulle coloniale ». La violence de la guerre d’Algérie lui ouvre les yeux, au moment de ses études en France. C’est pour lui un véritable choc qui l’amène à devenir religieux dans l’Ordre dominicain, pour « donner sa vie pour quelque chose qui en vaille la peine », dit-il. Revenant en Algérie en 1967, il apprend l’arabe mais surtout noue de nombreuses amitiés avec les hommes et les femmes qui ont pris les rênes de l’Algérie indépendante. Son don pour l’amitié le prédispose à ces relations chaleureuses qui vont l’accompagner toute sa vie et faire de lui, peu à peu, un « Algérien par alliance ».
Il joue d’abord un rôle important comme théologien pour aider l’Église d’Algérie à repenser sa place et sa mission dans une Algérie indépendante. La majorité des chrétiens d’origine européenne — les pieds-noirs — ont quitté le pays. Il est hors de question de se lancer dans du prosélytisme et de susciter des conversions que le pays n’accepterait pas. En revanche, l’Église peut se mettre au service du développement du pays et témoigner de l’Évangile, gratuitement, sans arrière-pensée. Avec le cardinal Duval et Mgr Henri Teissier, Pierre Claverie élabore une réflexion sur une présence d’Église où l’amitié est un des marqueurs de sa présence.
Une vision du dialogue exigeante
Au fil des années, se dessine un visage nouveau de l’Église, une Église qui vit sa mission non seulement dans le service mais aussi sous le signe de l’amitié pour un peuple musulman. Le nombre d’Européens chrétiens diminue mais l’Église d’Algérie intensifie ses relations avec ses partenaires algériens, dans une relation de confiance mutuelle. L’Église doit faire une véritable conversion. « Le maître mot de ma foi est aujourd’hui le dialogue, écrit Pierre Claverie. Non par tactique ou par opportunisme, mais parce que le dialogue est constitutif de la relation de Dieu aux hommes et des hommes entre eux. »
Théologien, puis évêque, il est un de ceux qui aident l’Église catholique à penser le sens d’une présence en monde musulman. Sa vision du dialogue est exigeante, car, à ses yeux, le vrai dialogue suppose de reconnaître l’autre dans son altérité et d’être disposé à s’enrichir de sa différence. Dans un de ses derniers textes, il dira « avoir besoin de la vérité des autres », non par relativisme, mais par une conviction intime de l’authenticité du chemin spirituel vécu par ses amis musulmans, dont un chrétien doit savoir profiter.
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Présent sur les « lignes de fractures »
C’est évidemment dans l’épreuve des années 1990 que cette amitié va trouver son plein sens. Alors que l’Algérie est peu à peu submergée par le terrorisme islamique et une répression implacable, l’Église d’Algérie fait le choix de rester, malgré les risques, par fidélité aux amis Algériens qui sont les premiers menacés et à l’Église qui se veut solidaire jusqu’au bout. Dix-neuf religieux catholiques vont le payer de leur vie entre mai 1994 et 1er août 1996, date de l’assassinat de Pierre Claverie en compagnie d’un jeune ami musulman, Mohamed Bouchikhi. Peu de temps avant, Pierre Claverie avait dit au cours d’une homélie le sens que revêtait pour lui ce choix libre de rester malgré le risque qu’il connaissait :
« Depuis le début du drame algérien, on m’a souvent demandé : “Que faites-vous là-bas ? Pourquoi restez-vous ? Secouez donc la poussière de vos sandales ! Rentrez chez vous !” Chez vous… Où sommes-nous chez nous ?… Nous sommes là-bas à cause de ce Messie crucifié. À cause de rien d’autre et de personne d’autre ! Nous n’avons aucun intérêt à sauver, aucune influence à maintenir. Nous ne sommes pas poussés par je ne sais quelle perversion masochiste. Nous n’avons aucun pouvoir, mais nous sommes là comme au chevet d’un ami, d’un frère malade, en silence, en lui serrant la main, en lui épongeant le front. A cause de Jésus parce que c’est lui qui souffre là, dans cette violence qui n’épargne personne, crucifié à nouveau dans la chair de milliers d’innocents. Comme Marie, sa mère et saint Jean, nous sommes là au pied de la Croix où Jésus meurt abandonné des siens et raillé par la foule. N’est-il pas essentiel pour le chrétien d’être présent dans les lieux de déréliction et d’abandon ? ».
Il parle souvent de l’urgence pour un chrétien d’être présent sur « les lignes de fracture qui crucifient l’humanité dans sa chair et dans son unité ».
C’est ce puissant message d’amitié que l’Église d’Algérie veut mettre en évidence à travers cette béatification, qu’elle souhaite voir célébrer en Algérie pour souligner ce message d’amitié, qui peut plus que les mots rapprocher les cœurs. Notre époque a grand besoin de ce message.