Pourquoi Catherine de Sienne appelait tous les chrétiens, hommes et femmes… à la virilité ? Les explications de Mère Marie-des-Anges Cayeux, dominicaine spécialiste de la sainte, lors du colloque de l’Institut catholique de Toulouse sur « Le temps de la femme ».
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Une des facettes du génie de sainte Catherine de Sienne est sans doute dans cette façon libre, parce que d’inspiration divine, d’assumer d’apparents paradoxes tel celui de l’exhortation à la virilité de la part d’une vierge dominicaine, éminemment femme, épouse et mère ! Or ce charisme, qui est sien, non seulement ne supprime pas en Catherine la femme, mais il place ses richesses au service de la diffusion de la vérité et de la communication de l’amour de Dieu, qui nous presse. Dans ses lettres surtout, Catherine de Sienne revient sans cesse sur la virilité à montrer dans la façon de penser comme dans la façon d’agir. Elle exhorte avec force ses correspondants à délibérer et à agir « virilement » ou avec « un cœur viril » [1].
C’est la crainte de Dieu qui rend l’âme virile
Il convient toutefois de remarquer que si l’occurrence de « viril » ou de « virilement » est très importante (il apparaît 241 fois dans les 383 Lettres), jamais le terme « virilité » n’apparaît dans les écrits de la Siennoise. Le concept qualifie donc uniquement un mode d’être et d’agir. Inspirée tout à la fois des psaumes et des écrits pauliniens, sans oublier l’ardeur combative des cités médiévales, la signification du terme viril chez Catherine renvoie surtout à une anthropologie biblique, car c’est la crainte de Dieu qui rend l’âme virile, indépendamment donc de la féminité ou de la masculinité de la personne. Hommes ou femmes parmi les destinataires de la vierge de Sienne, tous sont invités à se faire un « cœur viril » ou à délibérer « virilement ».
Ici, ni connotation sexuelle ni renvoi à une catégorie liée au genre [2]. C’est cette même perspective qui permettra à Édith Stein d’écrire quelques siècles plus tard : « Nous pouvons rencontrer chez les saints une délicatesse et une bonté féminines ainsi qu’une sollicitude véritablement maternelle envers les âmes qui leur sont confiées, et, à l’inverse, chez les saintes, une intrépidité, une fermeté et un esprit de décision virils. » [3] C’est à cela que nous sommes appelés dans une juste connexion des vertus qui accomplissent la nature de l’homme en devenant autant de qualités de l’être humain accompli en Dieu.
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À force de considérer des vertus comme plus masculines ou plus féminines — distinction d’appropriation que nous ne remettons nullement en cause, mais qu’il convient de relativiser —, on a fini par établir une séparation entraînant une acception sexuée des vertus, plus préjudiciable encore que celles héritées des cultures antiques. C’est pourquoi Catherine exhorte indifféremment les hommes ou les femmes à la virilité. Une virilité destinée à « fortifier » l’homme intérieur. Sachant que la force de l’« homme intérieur », définie par saint Paul (Ep 3, 16) et reprise par la vierge dominicaine, est une noble vertu, qui, sans exclure l’enthousiasme, se caractérisera le plus souvent par le calme et la détermination, la simplicité dans l’audace et une énergie puisée dans le secours divin, c’est-à-dire une certaine force d’âme pour surpasser toute crainte qui ne soit pas la crainte de Dieu [4]. En définitive, quand il faut penser et agir virilement, c’est, dans l’esprit de Catherine, montrer du courage et de la décision, de la fermeté et de la responsabilité. Il s’agit alors, non de faire face à un quelconque danger physique, mais d’un courage moral devant les responsabilités, une virilité d’esprit, pour ainsi dire, selon les injonctions répétées au souverain pontife [5].
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Oui, mon doux Père, c’est avec cette douce main que je vous dis et vous conjure de vaincre nos ennemis. De la part de Jésus-Christ, je vous le répète : ne croyez pas les conseils du démon, qui cherche à ébranler votre sainte et bonne résolution. Soyez un homme viril, n’ayez aucune crainte. Répondez à Dieu, qui vous appelle à venir habiter la ville du glorieux pasteur que fut saint Pierre et dont vous êtes le vicaire [6].
En somme, il s’agit de faire preuve d’une résolution qui n’est autre que le courage appliqué à un cas particulier. « Ne songez pas aux obstacles que vous pourriez rencontrer : venez en homme viril et sans crainte [7] », écrit-t-elle au même Pape dans une autre lettre.
La virilité, un ressort de la vertu de force
En outre, le courage viril, d’abord pensé en termes de discernement, et devenant par conséquent effort et tendance vers le bien, est non seulement associé à la vertu de force, mais encore se confond avec elle. Capable de progrès, cette vertu acquise manifeste une force d’âme consistant à résister résolument à des ennemis intérieurs, telles des passions non contrôlées, des épreuves mal supportées ou des souffrances sans fécondité. La virilité est alors tout l’opposé de la lâcheté et de la mollesse. En ce sens, la virilité est bien un ressort de la vertu de force. La force d’âme proprement spirituelle, à laquelle Catherine exhorte, a des conséquences sur la fermeté du caractère : elle permet la constance dans les résolutions et une détermination sans cesse renouvelée pour avancer à la suite du Christ. Car le modèle suprême de la vertu et de la virilité est le Christ, le doux et tendre Verbe, « qui a couru virilement à la mort ignominieuse de la très sainte Croix pour accomplir la volonté du Père et notre Salut [8] ». D’où les fréquentes recommandations au père de son âme : « Je vous prie de demander à l’Époux éternel qu’il me fasse accomplir virilement sa volonté [9] ». C’est la détermination farouche après un discernement mené avec application selon la volonté divine.
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Éminemment femme, épouse et mère, Catherine exhorte à la virilité
Que l’on se rassure, si Catherine exige de tous cette virilité d’âme, notre vierge dominicaine, éminemment femme, épouse et mère, se révèle dans sa direction ou sa maternité spirituelle toute douceur, toute indulgence, sachant compatir avec délicatesse, tendrement consoler et si sagement conforter, que ses disciples — souvent plus âgés et plus influents qu’elle — avaient pour habitude de l’appeler la dolcissima mamma malgré son extrême jeunesse. Un de ses biographes (Papasogli) a relié avec beaucoup de pertinence l’exhortation à la virilité de Catherine, à sa maternité spirituelle. Cette maternité, explique-t-il, enrichit de vibrations et de nuances infinies la parole de cette souveraine servante des âmes, qui est « homme » et appelle à la virilité hommes et femmes, en faisant d’une telle leçon le pivot de son ascèse personnelle et de son action en faveur des autres [10]. La parole de Catherine, en effet, est une parole au timbre maternel, mais forte et virile, caractérisée par une « fermeté intrépide et une douceur persuasive » selon l’excellente définition du saint pape Jean Paul II [11].
Il y a en nous une logique intérieure qui cherche toujours à mettre d’accord la pensée et le désir, la pensée et l’action et contribue ainsi à l’unité de notre être dans la paix, en s’opposant à toute forme de dichotomie. Catherine n’a de cesse d’exhorter à la virilité pour affermir ses correspondants et disciples afin d’assurer leur croissance intérieure et leur persévérance sur la voie de la vérité. Elle renvoie ainsi chacun à ses responsabilités personnelles et sociales par une cohérence de vie sans faille, mettant en ordre la relation à Dieu et celle regardant le prochain selon la mission reçue.
Marie-des-Anges Cayeux, op, Désirer d’un grand désir, Cerf, Patrimoines, 2018, 328 p.
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1. Dialogue XLIV, c’est nous qui soulignons.
2. Cf. G. Berceville, « L’amour sans gloses, Actualité de Catherine de Sienne », in Ne dormons plus, il est temps de se lever. Catherine de Sienne, p. 201-214, ici p. 210.
3. E. Stein, « La vocation de l’homme et de la femme selon l’ordre de la nature et de la grâce », in La femme, Cerf/Ed. du Carmel/Ad Solem, Paris, 2009, p. 166.
4. Cf. M. d. A. Cayeux, Désirer d’un grand désir. Une dynamique de perfection au cœur de la doctrine de Catherine de Sienne, préf. du Card. P. Parolin, coll. « Patrimoines », Paris, Ed. du Cerf, 2018, p. 60.
5. Ou à un autre grand prélat (Lettera 16).
6. Lettera 206. [La numérotation des Lettres ici utilisée est celle de Tommaseo].
7. Lettera 229.
8. Lettera 270 (notre trad.)
9. Lettera 373 (notre trad.)
10. Cf. G. Papàsogli, Sangue e fuoco sul ponte di Dio, Roma, ed. Cateriniane, 1971, p. 200-201.
11. Jean Paul II, « Une femme de paix : sainte Catherine de Sienne », Angelus du 12 février 1995, dans La Documentation catholique 2112 (1995), p. 258, [texte original en italien dans l’Osservatore Romano del 13-14 febbraio 1995].