Les Français ont du mal à s’engager dans leur travail. Il est toujours tentant d’attribuer le manque de motivation aux circonstances extérieures. Et si le secret de l’engagement n’était pas d’abord dans la découverte intérieure du « Connais-toi toi-même » ?L’engagement des salariés dans le monde faiblit partout, constate une enquête publiée par Gallup en novembre 2017. La France compte 9% de salariés véritablement « engagés » dans leur entreprise (2% de moins qu’en 2014), alors que la moyenne européenne serait de 10%. Comment comprendre les raisons de ce désengagement qui mine les organisations ?
Il ne faut pas se contenter des explications « évidentes » comme les conditions extérieures insuffisantes, ou même les principes de management à libérer. L’écrivain Michel Déon m’a donné une clé pour comprendre ces résultats étonnants : « Une vérité viscérale a besoin de se faire jour en nous, écrivait-il. Seuls certains êtres sont capables de nous l’arracher, ou certains signes de la provoquer, et il importe de ne pas l’étouffer, si l’on ne veut pas être rongé. » Cette phrase de l’académicien exprime une quête existentielle. On la relie rarement au monde du travail, et pourtant !
« Cela en vaut-il la peine ? »
Notre hypothèse consiste à affirmer que si on s’engage moins, c’est qu’on doute que ça en vaille la peine. Ensuite, que l’engagement n’est pas une simple adhésion à une bonne raison objective, mais procède de cette « vérité viscérale » évoquée par Michel Déon : s’engager, c’est répondre à un désir impérieux de s’accomplir. On s’engage quand quelque chose parle au fond de soi et nous intime de livrer le meilleur de nous-mêmes. La littérature et la philosophie ouvrent cette perspective qui transfigure le quotidien. Essayons de commenter cette provocation à l’essentiel que nous suggère Michel Déon.
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Chacun est une histoire unique
Chacun est dépositaire d’une vérité qui le rend unique. Contre l’idée romantique du grand homme, vision élitiste qui consacre les héros et dénigre les gens ordinaires, Michel Déon pose l’évidence que chacun est une histoire unique qu’il lui appartient de vivre. Elle n’est pas entièrement de son fait, ancrée en lui comme un vœu sans objet prédéfini, cherchant à s’incarner à l’extérieur.
Pour aboutir, cette histoire a besoin de rencontrer un objet, un défi. Pas nécessairement quelque chose d’extraordinaire, mais une perspective suffisamment ouverte pour que l’on puisse éprouver sa liberté, son initiative, sur un terrain qu’on s’est choisi.
Se trouver est un combat
Cette vérité comporte un combat préalable. Ce qui est essentiel est toujours difficile. C’est la loi de la vie, bien vivre demande un travail sur soi, et le meilleur ne s’acquiert qu’au prix d’un arrachement à ses conforts, à la facilité, aux bonnes raisons de s’en tenir à une « prudente » réserve.
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Le secret du courage
On retrouve probablement là les 90% de Français qui ne donneraient pas leur pleine mesure. Michel Déon évoque les rencontres et les événements exceptionnels : certaines personnes sont en effet des boosters d’énergie ; à leur contact on brûle ses amarres, on délaisse ses habitudes, l’espoir de devenir soi-même se fait plus fort, le désir de progresser aussi : on prend conscience que le risque de devenir soi-même vaut la peine d’être pris.
S’enchanter soi-même
Mauvaise nouvelle pour ceux qui restent sur les bords du rivage : ils seront rongés par le remords nous prévient Michel Déon. Il semble en effet impossible de bien vivre alors qu’on nie quelque chose d’important en soi. A contrario, ceux qui s’engagent trouvent la sérénité : l’avènement à soi est un fruit naturel qui correspond le mieux à ce que nous sommes vraiment.
Quel guide — coach, accompagnateur, ami, psychologue — suscitera cette énergie libératoire ? Où trouver cet enchanteur ? Voici la réponse de Socrate dans le Phédon (je l’ai un peu simplifiée) : « La Grèce est vaste, et il s’y trouve des hommes excellents ; nombreuses aussi sont les races des Barbares. Il faut fouiller tous ces pays pour chercher cet enchanteur […]. Mais il faut aussi le chercher vous-mêmes les uns chez les autres ; car il se peut que vous ne trouviez pas de gens meilleurs que vous-mêmes pour pratiquer ces enchantements. »
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