Troisième épisode de notre lecture des aventures de Yoko Tsuno, où l’on découvre que la jeune japonaise n’est pas tombée du ciel. Fille du Japon marqué par la guerre, Yoko est une héroïne au cœur large, quasi « multiculturelle » mais dont le point de départ demeure l’affirmation sereine de son identité japonaise première.
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Héroïne japonaise, Yoko Tsuno est un cas unique dans la bande dessinée belge, et le moins que l’on puisse dire est que Roger Leloup n’a pas manqué de franchise et d’ambition au sujet de l’identité de la jeune femme.
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À sa première apparition, en 1970, elle n’a que dix-neuf ou vingt ans, ce qui donne une naissance en 1950, dans un Japon encore très endommagé par la guerre et peuplé par les anciens combattants. Vingt ans plus tard, l’Empire du Soleil levant est devenu une grande puissance économique, parfaitement insérée dans les réseaux internationaux des puissances de l’Ouest. L’archipel, très occidentalisé, n’en a pas moins conservé ses traditions. Yoko Tsuno opère cette synthèse.
Une héroïne du Japon renaissant
Façonnée par un Européen, Yoko Tsuno vit en Belgique et se considère autant comme européenne que comme japonaise, ainsi qu’elle l’explique dans le neuvième album, La Fille du vent. Il lui est arrivé de s’interroger incidemment, dans d’autres aventures, sur son caractère nippon, se trouvant, à son grand désarroi, de plus en plus occidentale et de moins en moins asiatique. La question est réglée ici, où notre jeune femme revient au Japon pour la première fois de ses aventures et y sert les intérêts de son pays en empêchant la création d’une arme destructrice par un de ses industriels les plus puissants, Kazuki.
Ici, nous faisons la rencontre d’Aoki, ancien pilote de chasse de l’aviation impériale, kamikaze malheureux en 1945, recueilli par les grands-parents de Yoko Tsuno. La question de la guerre est abordée sans jugement moral, sans regard négatif, simplement comme un fait marquant de l’histoire de l’archipel, et le pilote Aoki, loin d’être présenté comme le survivant d’une époque funeste, se donne à voir comme un héros à la droiture impeccable, à l’éthique exigeante, digne des héros de l’antique empire.
Cette position de l’auteur, Roger Leloup, ne fait pas pour autant de Yoko une héroïne nostalgique. Ce n’est pas son objet. Mais elle est pleinement japonaise et à l’aise dans son identité. Ses amis sont européens, elle ne partage pas le racisme de l’industriel Kazuki qui préfère mourir que se rendre à un Blanc. Mais elle a sa fierté nationale et écarte ses deux compagnons belges, Vic Vidéo et Pol Pitron, dans cette histoire, car elle est une affaire avant tout japonaise.
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La question du Japon, de la tentation de la puissance et de sa mémoire guerrière reviendra dans deux autres albums : La Spirale du temps, et Le Canon de Kra. Mais là encore, l’héroïne assume sans faiblesse son identité japonaise et le souvenir impérial, tout en condamnant la démesure violente des adversaires nippons auxquels elle est confrontée dans ces deux aventures. Elle est en somme la figure idéale d’un Japon fidèle à son histoire et résolument pacifique et moderne ; une synthèse relativement fidèle.
L’évolution vers une identité multiple
Cependant, Yoko Tsuno, figée dans ses vingt ans, évolue au fil de l’existence de son créateur. Ainsi, déjà métissée culturellement dès le premier album, puisque japonaise vivante en Europe avec des Européens, nous assistons, au fur et à mesure de ses aventures asiatiques, à un métissage culturel et familial intra-asiatique. Dans le seizième opus, Le Dragon de Hong Kong, Yoko Tsuno nous apprend l’existence d’une grand-mère chinoise. Dans un Japon très exclusif, elle établit un pont de réconciliation entre les deux nations ennemies. L’album ne se conclut-il pas par l’adoption de Rosée, jeune fille de la région de Hong Kong, par notre belle japonaise ? Enfin, les albums vingt-deux et vingt-trois, La Jonque céleste et La Pagode des brumes se déroulent dans la Chine impériale, grâce à la machine à voyager dans le temps, le translateur, apparu dans La Spirale du temps. Enfin, Yoko, nous le savons, dans pas moins de six albums, voyage au bout de l’espace, vers la planète Vinéa, partageant les aventures de son amie vinéenne, Khani.
Un détail conserve son importance malgré tout : Yoko Tsuno parcourt le monde, se crée des amitiés partout, est une héroïne au cœur large, mais dans chaque rencontre avec d’autres univers, son point de départ demeure l’affirmation sereine de son identité japonaise première, illustrée par sa fidélité à ses parents, à l’île de son enfance et à Bouddha auquel elle adresse ses prières rapides à plusieurs reprises.
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En somme, femme plongée dans le monde, animée par un bel esprit de compréhension, elle n’en demeure pas moins ancrée à une identité heureuse, vécue discrètement et sereinement.
Par la bande dessinée il y a ici de quoi nous faire réfléchir, alors que notre chère Europe s’est ouverte à tous les vents et que ses peuples ne savent plus véritablement qui ils sont.