Au croisement de la photographie et des arts du feu, le vitrail photographique a connu son heure de gloire au XIXe siècle alors que la France était en plein renouveau catholique. Flavie Serrière Vincent-Petit, conservateur-restaurateur de vitraux et spécialiste du sujet, lève le voile sur ce patrimoine et ce savoir-faire méconnu. Vous en avez certainement déjà vu un. La France en compte des milliers dans ses églises mais ils sont complètement ignorés. Les “vitraux photographiques”, réalisés en série et obtenus à partir des techniques de photographies, peuplent de nombreuses églises construites entre la fin du XIXe et le début du XXe siècle. Découverte d’un art oublié depuis un siècle.
Le vitrail à l’ère de l’industrialisation
Au XIXe siècle, la France connaît un regain pour la pratique religieuse : des églises se construisent en grand nombre et la production de vitraux se multiplie. L’art du vitrail, qui avait connu une longue période d’endormissement pendant le XVIIIe siècle, est alors remis au goût du jour. “C’est Brongniard, directeur de la Manufacture de Sèvres, qui va réellement réintroduire l’art du vitrail en France au début du XIXe siècle en pratiquant la peinture sur verre”, explique Flavie Serrière Vincent-Petit. Mais à l’époque, pas question pour les artisans de se cantonner à des méthodes millénaires. Si certains sont attachés à retrouver les techniques anciennes, héritées du Moyen Âge, d’autres sont désireux de profiter des évolutions techniques de leur temps — comme l’apparition de la photographie — pour créer des vitraux en série et plus “modernes” avec des effets inédits. Les vitraillistes usent alors d’imagination et inventent divers procédés.
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Les peintres verriers cherchent également à se distinguer entre eux et les Expositions universelles sont l’occasion parfaite de montrer ce que l’on sait faire. “Les maîtres verriers cherchaient à briller afin de rafler toutes les commandes, notamment dans les colonies. C’est pour cela que l’on retrouve des vitraux français dans de nombreuses congrégations à l’étranger ou des écoles, comme par exemple à Alexandrie”. C’est dans cette atmosphère d’industrialisation et d’innovation, que naît alors le vitrail photographique.
Mais en quoi consiste cette technique ?
Dans un climat de recherche constante, diverses techniques, plus ou moins heureuses, font leur apparition. “Dans les années 1830, la photographie, qui vient juste d’apparaître, ne tient pas dans la durée et stimule donc les recherches”, explique Flavie Serrière Vincent-Petit. On tente tout d’abord de fixer les images photographiques sur de la porcelaine ou sur des émaux grâce à la cuisson. Par la suite, on va tenter de fixer les images sur le verre. Et pourquoi pas un vitrail ? Pour permettre ainsi de reproduire, en série, des portraits de grands saints comme le curé d’Ars ou saint Vincent de Paul. À l’heure où les commandes affluent cette solution apparaît comme une aubaine.
Les recherches sont longues et “le vitrail photographique apparaît réellement autour des années 1880”, précise Flavie Serrière Vincent-Petit. Au croisement de la photographie et des arts du feu, il consiste à développer sur du verre cuit à plus de 600°C une photographie pour la rendre inaltérable. Durant cette époque de foisonnements et de bouillonnement d’idées, différentes procédés se multiplient : impression sur verre par transfert, sérigraphie, pochoirs, grisaille photographique d’après un dessin ou une photographie…. Beaucoup de brevets sont déposés, chaque inventeur proposant sa propre variante.
Parmi les ateliers français où l’on utilise ces procédés, celui de Laurent-Charles Maréchal (1801-1887), maître-verrier à Metz, est le plus connu et le plus important de l’époque. “Maréchal, sur 30 ans d’activités, a crée 57 000 mètres carré de vitraux. À cette époque, on a jamais connue une telle demande”, précise Flavie Serrière Vincent-Petit.
“Chaque église de campagne veut son curé d’Ars ou sa Jeanne d’Arc”
Visuellement, le vitrail photographique va permettre d’insérer dans les compositions des portraits de donateurs, de personnages célèbres ou de défunts. “Chaque église de campagne veut son curé d’Ars ou sa Jeanne d’Arc. Les thèmes sont très récurrents et souvent liés au nationalisme”, précise Flavie Serrière Vincent-Petit. Les figures deviennent alors le reflet exact des personnes et non plus une simple copie plus ou moins ressemblante. Ce procédé de reproduction va également permettre de produire des vitraux d’après des positifs transparents ; de réaliser ce qu’on appelle des dessins photographiques. Des cartons de vitraux, des dessins et des gravures vont servir de positif transparent pour “impressionner” le verre. Mais ce type de vitraux sont difficilement identifiable à l’œil nu. Les matériaux sont les mêmes que pour des vitraux “classiques” et des retouches manuelles sont parfois apportées à l’image photographique. Difficile donc de les distinguer. Il faut généralement réaliser des prélèvements chimiques pour se rendre compte que le maître verrier a utilisé la technique photographique.
Un patrimoine peu valorisé
Aujourd’hui, si ces techniques sont très mal connues, c’est parce qu’elles ne sont plus pratiquées depuis les années 1920. Depuis cette date, les vitraux photographiques ont été totalement oubliés, voire ignorés, au profit des techniques médiévales davantage mises à l’honneur. Mais le patrimoine de cette époque reste immense et nécessite des restaurations urgentes. Malheureusement, faute d’inventaire général ou de classement au titre des Monuments historiques, ces vitraux sont délaissés, voire déposés par les communes au profit de vitraux neufs. À titre d’exemple, les vitraux de la chapelle des évêques de la cathédrale de Metz, considérés comme le chef-d’œuvre de Maréchal, ont été déposés en 1957 et remplacés par des vitraux de Jacques Villon.
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Parmi les ensembles exceptionnels encore conservés, Flavie Serrière Vincent-Petit porte une affection particulière pour les vitraux de Hayange (Lorraine). “Une famille de gros industriels lorrains s’est représentée sur les vitraux. On voit l’épouse avec les enfants dans des costumes médiévaux tandis que leurs visages sont des vraies photos reproduites sur le vitrail.” L’église Saint-Séverin à Paris conserve également un important ensemble de vitraux photographiques : “Il reste encore une partie des vitraux du XIXe siècle mais certains ont déposés autour des années 1980 pour faire place à des créations plus contemporaines comme celles de Jean Bazin.”
Si les vitraux XIXe siècle n’ont pas autant la côte que ceux du Moyen Âge — certainement en raison de leur aspect trop “industriel” — ils demeurent cependant un formidable témoignage d’une époque où l’industrie s’est mise petit à petit en place, atteignant toutes les domaines de la société jusqu’à la production artistique. S’ils n’ont pas perduré au fil du temps en raison des modes changeantes, ils auront cependant participé au renouveau extraordinaire du vitrail en France.
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