Que signifie « être courageux » dans nos sociétés et nos entreprises ?Dans son film Douze hommes en colère (1957) Sidney Lumet met en scène 12 jurés qui doivent évaluer la culpabilité d’un jeune homme noir accusé d’avoir poignardé son père. Une décision favorable prise à l’unanimité le condamnerait à la peine de mort. Au premier tour de table, 11 voix sur 12 le déclarent coupable. Seul contre tous, le juré n° 8 émet des doutes sur la culpabilité de l’accusé. Par son calme, sa maturité et la qualité de son argumentation, il va progressivement convaincre tous les autres de revoir leur position pour finalement innocenter le présumé coupable.
Seul contre tous
Cette très belle histoire est fascinante à plus d’un titre. Dès les premières scènes du film, elle met le doigt sur les biais du groupe, cette forme de paresse qui peut s’installer quand on compte sur les autres pour établir son propre jugement. Pour des raisons de peur, d’urgence, de conformisme, le groupe va préférer un consensus facile plutôt qu’une vérité difficile à admettre. Ces considérations peuvent être cruciales pour une organisation : il arrive que l’on se sente seul à défendre un point de vue légitime, et qu’on le taise plutôt que de le faire valoir, pour ne pas heurter, pour ne pas paraître provocateur, par fatigue ou fausse modestie, ou encore par démission devant la pression du groupe.
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Dans son livre Histoires de courage (Plon), Jean-François Deniau décrit les réactions françaises face aux accords de Munich de 1938 laissant libre cours à Hitler d’envahir la Tchécoslovaquie, malgré les accords précédents qui nous liaient à ce pays. En France, trois voix (seulement) à l’Assemblée s’élèvent contre cette décision largement consensuelle dans tout le pays : celle de Gabriel Péri (communiste) qui juge que nous avons « tué cet élément essentiel de force pour une démocratie, la confiance des peuples », Henri de Kerillis (droite) qui dénonce une « trahison de nos engagements et une victoire décisive de Hitler » et celle du socialiste Jean Bouhey qui écrit : « Combat le mensonge, organise la résistance et prépare la libération. » Résultat ? Aucun. Il arrive en effet qu’un acte courageux, légitime et lucide n’aboutisse pas. Jean-François Deniau note qu’« après la Libération, Kerillis ne reviendra pas en France, et, comme exilé, mourra aux États-Unis dans l’indifférence. »
Exactement l’inverse de l’attitude courageuse du héros de 12 hommes en colère ou encore du geste décisif de Mamoudou Gassama escaladant la façade d’un immeuble pour sauver un enfant de quatre ans accroché à un balcon.
Les composantes du courage
Tous ces exemples éclairent sur trois composantes du courage : la lucidité, l’action, et une forme de désintéressement. La lucidité pour décrypter ce qu’il convient de faire dans une situation où l’émotion est forte. L’action, car en situation de crise, il ne faut pas tergiverser. Le désintéressement, parce que l’acte courageux dépasse l’intérêt de celui qui le pose et ressemble fort à un acte de générosité. Gratuit, comme celui du colonel Beltrame.
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Le courage, « version offensive de la confiance en soi » (Cynthia Fleury) est une vertu incontournable de nos organisations. Pour innover, pour faire triompher un point de vue légitime, pour s’opposer en conscience à une mesure injuste, pour porter un projet difficile, personne ne peut faire l’économie d’un combat soutenu. S’y dérober c’est nier en soi une part intime. Y consentir est un chemin de progression et de liberté.