Les recherches récentes sur les labyrinthes d’églises ont permis de révéler leur véritable signification et de mettre en lumière d’étonnantes pratiques datant du Moyen-âge.
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Fascinants, mystérieux, attractifs, les labyrinthes suscitent depuis quelques années un intérêt croissant issu pour beaucoup des enseignements du développement personnel. L’un des plus vieux vestiges de labyrinthe chrétien (en Algérie) date de 380 mais c’est surtout à partir du XIIe siècle, en pleine période de croisades, que les labyrinthes d’église connaissent un essor considérable en Europe. En France, Saint-Omer, Arras, Saint-Quentin, Chartres, Amiens, Reims ou encore Auxerre ont intégré dans leur pavement cette alternance de pierres noires et blanches qui forment des méandres. Il faut souvent plus d’une heure pour en suivre tous les détours et l’on rapporte que pour le pèlerin empêché de se rendre en Terre Sainte, le suivi du parcours du labyrinthe, à genoux en récitant des prières, est comparé à un voyage réel. C’est le « chemin de Jérusalem », aussi supposé donner droit à des indulgences.
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Une explication séduisante et qui a fait l’objet de nombreux articles… Mais pour Gilles Fresson, historien, attaché de coordination à la cathédrale de Chartres auprès du recteur, cette théorie ne tient pas la route :
« Cette pratique du substitut de pèlerinage a pu se faire, mais bien plus tard qu’au Moyen-âge et de façon individuelle. C’est en fait une interprétation tardive qui date du XIXe siècle, une sorte de reconstruction historico-romantique comme savaient parfois en produire les férus du gothique de l’époque et qui a servi de base à tous les articles écrits par la suite. » Il existe en fait très peu de sources authentifiées et exploitables permettant d’expliquer les origines du labyrinthe d’église et parmi les nombreux articles écrits sur le sujet, peu s’appuient réellement sur des textes du Moyen-âge. Or « comprendre la raison d’être du labyrinthe, c’est interroger la foi chrétienne et questionner la pensée de cette époque », explique Gilles Fresson.
La danse de Pâques, étonnante chorégraphie de la résurrection
Et ce sont justement deux textes datant du Moyen Âge (Ordinatio de pila facienda — fin XIVe — rédigé à l’initiative du chapitre de la cathédrale d’Auxerre et Rationale Divinorum Officiorum, XIIe siècle , Jean Beleth) qui jettent un regard absolument nouveau sur les pratiques du labyrinthe. « Ces textes évoquent une célébration étonnante qui avait lieu durant la soirée du jour de Pâques, révèle Gilles Fresson. Au son d’un chant grégorien proclamant la résurrection du Christ, le doyen des prêtres parcourait solennellement d’un pas rythmé les méandres du labyrinthe tandis que les fidèles tournaient autour. Le doyen portait contre sa poitrine une grosse pelote jaune et, une fois parvenu au centre, il lançait cette balle à tous les participants, qui la lui renvoyaient aussitôt, entrainant une danse animée et festive.
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La symbolique était extrêmement forte, car derrière l’impression d’un jeu, est en réalité représentée l’une des vérités essentielles de la foi chrétienne : le Christ ressuscité. La danse de Pâques représente une véritable chorégraphie de la résurrection. La pelote n’est pas sans rappeler le fil d’Ariane que Thésée utilisa pour sortir du labyrinthe construit par Dédale, après avoir tué le Minotaure. Symboliquement, le Christ (Thésée) traverse les Enfers (le labyrinthe), affronte Satan (le minotaure), triomphe des puissances de la mort, offrant sa lumière (couleur jaune) à tous ceux qui sont prêts à la recevoir, c’est à dire un chemin sûr (la pelote) vers la vie éternelle (le centre du labyrinthe). Le labyrinthe perd donc son côté négatif grâce au fil d’Ariane pour basculer dans le positif car le chemin qu’il propose est celui de la rédemption christique. »
Cette “danse de Pâques”, longtemps controversée par une partie du clergé qui y voyait une résurgence de pratiques païennes empreintes de sensualité et dépourvues de sacralité finira par être interdite. Le rite sera finalement abandonné avant d’être carrément discrédité aux XVIIe et XVIIIe siècles. Par la suite, de nombreux labyrinthes sont détruits en France sur ordre du clergé sous le prétexte que les enfants viennent y jouer comme à la marelle, provoquant un pénible vacarme. Ce fut notamment le cas pour ceux d’Auxerre, de Sens, de Reims (dont le dessin sert aujourd’hui de logo aux Monuments Historiques) ou encore d’Amiens (où le labyrinthe fut rétabli quelques 70 ans plus tard). Aujourd’hui, celui de Chartres est le seul qui reste des grands labyrinthes du XIIIe siècle et la redécouverte de ce qu’est vraiment le labyrinthe se cristallise autour de lui.
S’ouvrir au Christ
« Le labyrinthe est aujourd’hui furieusement dans l’air du temps, se réjouit Gilles Fresson. Le parcourir conduit à une authentique méditation vécue à la fois dans le corps et l’esprit ». Depuis 2013, tous les vendredis, depuis le début du Carême jusqu’à la Toussaint (sauf le Vendredi saint), les 262 mètres de développé du labyrinthe de Chartres sont débarrassés des bancs qui le recouvrent habituellement et ouverts au parcours méditatif. “Nous accueillons des personnes très différentes, des habitués des églises bien sûr, mais aussi des personnes non croyantes qui découvrent là quelque chose d’à la fois passionnant et compliqué. Et puis il y a les personnes issues des mouvements ésotériques, ce qui est parfois un peu délicat à gérer au moment du solstice d’été où l’on a affaire à quelques “illuminés”.”
Pour une personne guidée par la foi, l’enjeu du labyrinthe est de s’ouvrir progressivement au Christ. Vu d’en haut, les quatre bras de la croix apparaissent clairement. Le centre, point fixe et immuable, est la station divine par excellence, le Paradis, la « Jérusalem céleste ». En ce lieu, l’homme qui s’est rapproché de Dieu trouve la quiétude après avoir franchi les difficultés tumultueuses de l’existence.
« Ce rituel est l’occasion pour les croyants d’appréhender la prière d’une façon différente, en accordant toute son importance à l’aspect corporel. C’est un très beau parcours spirituel. Beaucoup des personnes qui le suivent nous disent éprouver ensuite un sentiment de libération. ».
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Un parcours de vie
Pour tous, croyants comme non croyants, le parcours labyrinthique soulève de nombreuses questions. À la différence du labyrinthe de Dédale, le labyrinthe d’église ne retient pas prisonnier. Il ne propose qu’un seul chemin, sans impasses ni choix multiples. En s’y engageant, on est sûr de parvenir au centre, après avoir parcouru patiemment ses détours sinueux, en respectant le rythme des autres.
« Certaines personnes s’arrêtent presque à chaque pas pour méditer, tandis que d’autres, souvent des jeunes, sont plus pressées et voudraient atteindre le but tout de suite, constate Gilles Fresson. Ainsi, dans le labyrinthe de Chartres, les premiers pas nous conduisent rapidement près du centre après seulement un court détour et nous sommes encouragés par cette impression de proximité, mais très vite après, le chemin s’écarte et nous éloigne, nous restons “coincés” en périphérie, avec la frustration de voir le centre mais sans réussir à l’approcher. En ce sens, le parcours du labyrinthe est à l’image de l’existence humaine : longue, exigeante, avec des épreuves… Cette comparaison avec le parcours de la vie étonne les jeunes mais pas les personnes âgées qui savent bien que la vie n’est pas un long fleuve tranquille ! Il faut accepter ses phases, ses virages, ses complications, l’impression que l’on s’éloigne de son but pour ensuite mieux s’en approcher car le changement de direction n’est pas forcément négatif. Tout cela s’inscrit dans une vie. »
Aujourd’hui, le modèle chartrain est copié un peu partout dans le monde et ses applications sont multiples. En Allemagne et en Australie, on l’utilise dans les hôpitaux pour aider les personnes en fin de vie à méditer sur l’existence humaine, sa grandeur et sa beauté. Aux États-Unis, les détenus des centres pénitentiaires le parcourent pour apprendre à se poser, à accepter le fait que l’on doit suivre tout le circuit, sans passer au travers. Toujours aux États-Unis, il sert pour les préparations à l’accouchement et de grandes « soirées labyrinthes » sont organisées dans des halls de sport par et pour les adeptes de développement personnel.
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Alors finalement, le labyrinthe représente bien un pèlerinage, mais un pèlerinage intérieur, un pèlerinage de vie. Le but n’est pas tant d’aller à Jérusalem que de rejoindre SA Jérusalem, la Jérusalem céleste, “horizon ultime du chemin du croyant” comme l’affirmait le pape François fin août 2017.