Ouvrir la possibilité à toutes les femmes de congeler quelques-uns de leurs précieux ovules « pour plus tard », voici un nouveau sujet bioéthique dont le cadre pourrait être rediscuté dans la prochaine révision de la loi.Suspendre l’horloge biologique, se rassurer, maîtriser son corps ou sa vie, se donner le temps, de vivre, de faire carrière, de trouver celui avec qui faire des enfants… Voilà quelques-unes des raisons qui poussent chaque année quelques centaines de femmes à se rendre dans un des pays où la congélation de ses ovules est autorisée.
En France, actuellement, la cryoconservation d’ovocytes n’est possible que dans deux situations. D’abord, pour les jeunes femmes qui doivent malheureusement subir un traitement lourd susceptible d’altérer leur fertilité. Le deuxième cas, contestable et contesté, est celui qui vise à inciter au don d’ovocytes, en particulier les femmes jeunes dont la « qualité » des ovocytes est meilleure. Le don d’ovocytes est désormais ouvert aux femmes qui n’ont pas encore d’enfant, et depuis un décret de 2015, si suffisamment de follicules leur sont ponctionnés, certains sont mis « de côté », pour elles, en guise de « compensation »…
Lors de son dernier avis sur les demandes sociétales de recours à l’assistance médicale à la procréation (PMA), le Comité consultatif national d’éthique s’est prononcé de manière défavorable à la congélation « sociétale » (de convenance), contrairement à l’Académie de médecine et au Collège national des gynécologues obstétriciens. La récente consultation citoyenne des États généraux de la bioéthique a montré que cette question a été très peu abordée par les Français, avec des avis partagés. S’il y a une demande, elle émane majoritairement des sociétés savantes et des praticiens du secteur privé et public impliqués dans la PMA. En mi- teinte, le rapport du Conseil d’Etat pose les arguments en présence et propose, si la loi évoluait, quelques modalités de délais (âge minimal pour réaliser une ponction et maximal pour réaliser le processus de FIV) ainsi qu’une réflexion sur la prise en charge des coûts.
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L’autoconservation : une mauvaise réponse à de vraies préoccupations
Il serait injuste pour les femmes de laisser croire que cette technique serait une épargne sécurisée ou une « assurance maternité », à savoir une garantie d’avoir un enfant plus tard. Même si la survie des ovocytes lors de la décongélation est bonne — 85 à 90 % des cellules résistent — le peu d’études menées démontre qu’il est prématuré de conclure à l’innocuité totale de la méthode. La vitrification à long terme peut altérer les propriétés de l’ovocyte avec un possible retentissement sur le développement de l’enfant. Selon les auteurs, il faudrait ponctionner et garder entre 8 et 15 ovocytes minimum pour espérer aboutir à une naissance. Par ailleurs, à chaque tentative de FIV, la probabilité d’accouchement d’un enfant vivant n’oscille qu’autour des 20-25%. Ainsi, finalement, assez peu de femmes repartiront avec leur bébé dans les bras…
Cette technique, qui n’est pas une partie de plaisir pour les femmes, n’est pas dénuée de risques pour leur santé. Elle consiste d’abord à subir un traitement de stimulation hormonale pour contraindre les ovaires à faire mûrir simultanément plusieurs follicules, puis une ponction ovarienne doit être réalisée sous anesthésie. Des effets secondaires légers (8 à 14%) ou graves (0,7% en moyenne) sont à déplorer : syndrome d’hyperstimulation ovarienne sévère, complications chirurgicales liées au recueil des ovules (anesthésie, hémorragie, infection, torsion d’ovaire), complications thromboemboliques dont certaines peuvent menacer le pronostic vital.
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PMA, fin de vie… les Français loin du consensus
En France, entre deux et six évènements indésirables sévères par an sont répertoriés chez les femmes donneuses d’ovocytes. Concernant des complications potentielles à long terme, l’interrogation principale porte sur le risque de cancer de l’ovaire ou du sein, tissus dont on connaît la sensibilité aux stimulations hormonales. Proposer ce traitement à toutes les femmes, y compris celles qui sont jeunes, en bonne santé, qui n’ont pas encore envie d’avoir des enfants, n’ont et n’auraient peut-être jamais aucun problème d’infertilité sauf ceux liés à un âge tardif de tentative de grossesse, qui n’auront peut-être jamais besoin d’avoir recours à ces ovules congelés car elles auront leurs enfants naturellement… n’est-ce pas prendre la médecine complètement à l’envers ?
Par ailleurs, contrairement aux idées reçues, la trotteuse de notre horloge biologique ne se fige pas quand les ovocytes s’endorment dans le froid. En réalité, les ovules ne sont pas les seules cellules à subir les marques du temps qui passe… L’ensemble du corps féminin vit, et donc vieillit, avec le temps qui s’écoule. L’âge avançant, si une grossesse est plus difficile à obtenir, y compris par FIV, elle présente aussi plus de risques. Les gynécologues et obstétriciens s’accordent sur ce point : la fréquence des complications, tant pour la mère que pour l’enfant, augmente rapidement avec l’âge maternel.
Quel modèle de société ?
Derrière cette « option congélation » qui peut sembler anodine se pose un vrai enjeu, celui du modèle de société que nous voulons promouvoir. Depuis quelques années aux États-Unis, Apple et Facebook financent et encouragent leurs employées à congeler leurs ovocytes. Pour qu’elles puissent travailler plus et procréer… plus tard. Progrès ou régression pour les femmes ? Corvéables à merci, corps et âme compris ? Qu’on le veuille ou non, que leur choix reste libre ou non, le message envoyé par cette proposition est qu’il leur serait impossible d’accorder maternité et évolution professionnelle, cela revient à abdiquer le travail mené sur l’égalité entre les hommes et les femmes, en plus de constituer une intrusion dans leur intimité.
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Le temps de la femme : pas sans les hommes !
Les femmes sont de plus en plus investies dans leurs études et leur vie professionnelle, et c’est tant mieux, mais c’est un fait qu’il est difficile voire héroïque de concilier maternité et études ou vie professionnelle, surtout en début de carrière. Si bien qu’aujourd’hui on demande au corps féminin de se plier aux injonctions sociétales et économiques. Quelle tristesse — mais quelle justesse — de lire au sujet de la conservation des ovocytes : « On a aidé les femmes à ne pas être fécondes quand elles étaient fertiles. Pourquoi ne pas les aider à être fécondes quand elles ne sont plus fertiles ? »
Information et prévention sont nécessaires, sinon nous resterons dans cette situation de non-assistance à procréation naturelle en danger. L’âge des premières grossesses ne cesse d’augmenter, tout comme l’infertilité masculine et féminine. Cette donnée préoccupante est une urgence de santé publique. Quelle folie, alors, d’encourager implicitement de repousser l’âge de la première grossesse ! C’est bien ce que réalise indirectement la congélation des ovules. La technique n’est jamais neutre, elle implique et induit une certaine mentalité.
Organiser la société sur la maternité
La vraie révolution ne serait-elle pas d’offrir aux femmes la liberté d’avoir leurs bébés dans le meilleur temps de leur fécondité, pas seulement en créant des conditions socio-professionnelles plus favorables, mais surtout en proposant un nouveau regard sur la maternité ? Quoi de plus précieux que le renouvellement des générations et la sérénité de l’accueil d’un enfant ?
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Des pistes pour être, enfin, fière de sa féminité
D’aucuns diront qu’il faut respecter les choix de chacun, que c’est une question d’autonomie… Mais où est l’autonomie, quand pour se libérer des contraintes de Mère Nature, on s’enchaîne à la technique ? Où est l’autonomie quand doivent intervenir tour à tour chimie, hormones, chirurgie, médecin, biologiste, banque de gamètes, frigo, FIV, recueil de sperme, étuves, euros… ?
Corps et temps sont-ils nos ennemis ? En les voyant comme tel, ne passons-nous pas à côté de l’essentiel ? Mettre ses ovocytes de côté, n’est-ce pas prendre la vie à l’envers ? Proposer aux femmes d’hypothéquer leur période de fécondité, est-ce leur donner les meilleures chances d’accomplir leur vie ? Certes, le prince charmant ne frappe pas toujours à l’heure à la porte, faut-il pour cela se transformer en belle aux ovocytes dormants ? La vie ne nous épargne pas, mais ne croyons pas trop vite qu’on pourrait épargner notre vie. Au contraire, vivre pleinement chaque période de notre vie, avoir conscience de l’importance, de la singularité, mais aussi du côté éphémère de chacune d’elles, vivre dans le réel et le voir comme une bonne nouvelle… N’est-ce pas la meilleure façon de créer les conditions idéales pour construire sa vie, se donner les meilleures chances de rencontrer celui qu’on espère comme père de ses enfants ?
Illusions et désillusions
Geler le temps, remonter le temps par la mercantile « FIV à 3 parents » qui déjà vend le rêve de « rajeunir » les ovocytes… ? Que d’illusions au présent. Que de désillusions à venir. La procréation humaine est-elle condamnée à être de plus en plus artificielle ? Elle passe de plus en plus de la couette à l’éprouvette, du père à l’expert, pas seulement pour des questions d’infertilité mais pour planifier toujours plus les naissances, trier les embryons selon certains critères, choisir le sexe de son bébé ou la couleur de ses yeux… et bientôt, pour créer le « meilleur appariement possible » en laissant des algorithmes choisir les gamètes ?
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Découvrir le rythme et la mission de la femme
La technique n’a de cesse de prendre les rênes pour créer des bébés sur commande ou sur mesure. Dans le futur, garderons-nous la liberté de faire nos bébés sans « contrôle qualité » ou devrons-nous défendre une nouvelle « libération sexuelle » pour (re)concevoir les bébés naturellement ? Ne serait-ce pas cela qu’il faut se donner aujourd’hui les moyens de préserver, cette intemporelle, belle, vraie autonomie à laquelle aspirent les cœurs des hommes et des femmes ?
Sources : Avis du CCNE du 15 juin 2017 sur les demandes sociétales de recours à l’assistance médicale à la procréation (AMP) ; Rapport de synthèse du Comité consultatif national d’éthique sur les États généraux de la bioéthique, juin 2018.