Existe-t-il un rythme inhérent à la femme ? Quelle est sa mission dans le monde ? Comment réconcilier le rythme féminin avec le rythme masculin ? Entretien avec Aude Suramy, Vice-Doyen de la Faculté de Philosophie de l’Institut catholique de Toulouse, organisatrice du colloque “Le temps de la femme” qui s’est tenu en juin.Aleteia : Existe-t-il un rythme propre à la femme ? Est-il reconnu et respecté dans la société actuelle ?
Aude Suramy : Le rythme de nos sociétés occidentales est souvent frénétique et me semble s’exercer au détriment de l’épanouissement de la femme. Regardez autour de vous combien de femmes sont épuisées et stressées par la surcharge de travaux de toutes sortes. Elles sont très courageuses et ont une grande faculté d’adaptation. Ce n’est pas tant la lourdeur de la tâche qui semble faire obstacle à leur épanouissement — on les voit d’ailleurs porter avec une force inouïe des poids impressionnants. À mon sens, le problème vient davantage d’un rythme irrégulier et trop rapide. Je pense que les femmes pourraient être plus rayonnantes si elles prenaient ou si on leur laissait un peu plus de temps. Comme tout être humain, la femme se manifeste par et dans son corps.
Le langage de ce corps indique que son rythme est intimement lié à la réception du don et à sa transmission. C’est tout particulièrement visible dans l’acte conjugal mais cela vaut de manière générale pour toutes les dimensions de la vie féminine. Ce temps de la réception et de la transmission plus typiquement féminin, me semble être celui de l’écoute qui a besoin de calme et de silence, de l’accueil patient et profond de chaque chose et de chacun, d’un accueil dont le fruit mûrit au cours d’une longue gestation. La théologie du corps de saint Jean Paul II, mais également bien d’autres pensées, d’autres auteurs et d’autres sciences nous aident à le comprendre avec acuité. Il est capital que nous, femmes, puissions retrouver le génie de notre rythme pour le salut de nos familles, de notre société trop activiste et même pour le salut du monde.
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Pensez-vous que la femme ait un rôle particulier à jouer pour le salut du monde ?
Nous, chrétiens, croyons que le salut ne vient pas de nous : « Il est un Don de Dieu », nous dit saint Paul dans sa Lettre aux Éphésiens. Encore faut-il que nous sachions le recevoir… Or, étant donné la familiarité naturelle de la femme avec la réception du don, la femme a un rôle tout particulier à jouer pour le salut du monde. A l’image de Marie qui par son Fiat, reçoit en son sein la Miséricorde divine pour chacun d’entre nous, elle doit réapprendre à recevoir le don. L’accueil de tout don miséricordieux suppose que nous nous y disposions par la reconnaissance de notre pauvreté jusqu’à notre misère. L’Esprit Saint en a besoin pour éclairer nos cœurs, nos intelligences et circuler dans la famille humaine. « L’Église, nous dit d’ailleurs le pape François, ne peut être elle-même sans la femme et son rôle ». La femme, pour cette Église qu’il veut pauvre pour les pauvres, est, affirme-t-il, « indispensable ».
En écoutant le Saint Père, je ne peux m’empêcher de penser à la figure du Poverello d’Assise ainsi qu’à ce « François, relève mon Eglise ». Dans une homélie à Assise en 1989, le cardinal Ratzinger affirmait : « La première réponse de saint François à la demande du Crucifié ‘Va et répare mon Eglise’ était les pierres et l’argent. Mais l’Eglise du Seigneur est une maison vivante, construite par l’Esprit Saint avec des pierres vivantes. La seconde réponse, définitive, vient par la Miséricorde divine, vient par l’initiative personnelle de l’Esprit Saint ; la réponse est cette jeune femme, Claire, qui désirait faire de son corps un temple pour Dieu seul. […] Ce n’est pas sans signification profonde que sainte Claire ait été appelée à San Damiano », conclut le futur pape Benoit XVI. Bien évidemment, peu de femmes ont des vocations de cloîtrées. En revanche, elles me semblent toutes appelées à faire de leur vie un temple pour l’autre et ainsi pour ce Tout Autre qu’est Dieu seul.
La femme semble se définir par une forte volonté d’unification de tout son être, quelles en sont les conséquences ?
La femme comme tout être humain ne peut être découpée en tronçons. Son corps, sa beauté, sa physiologie, sa psychologie, sa manière de penser, sa manière d’aimer : tout est lié ! Mais il me semble que la non intégration d’une de ces dimensions aux autres dimensions, est chez la femme source d’un malaise plus vite perceptible et souvent plus profond que chez l’homme. Être unifiée a pour la femme la plus haute importance. Edith Stein, dans ses articles et conférences rassemblées sous le titre “La femme”, insiste sur sa naturelle vocation toute particulière « à la complétude et à l’homogénéité », là où l’homme arrive plus facilement à s’abstraire de certaines dimensions de sa vie pour se concentrer sur une seule chose en laissant les autres de côté. La femme rédige un document pour son travail en pensant aux enfants qu’elle doit aller chercher à l’école pour les conduire au tennis, en pensant à la préparation du repas du soir, tout en pensant à la discussion qu’elle a eu le matin avec son mari, à leurs vacances en amoureux, à sa dispute avec sa belle-mère, à la tenue qu’elle va mettre demain en même temps qu’à l’homélie de la messe de dimanche et à sa liste de course. C’est sa force particulière et en même temps sa faiblesse.
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Lorsqu’il est parti au travail, son mari a oublié de lui dire qu’il l’aimait, qu’elle était belle, que ces chaussures vernis rouges lui allaient à ravir, elle ne va donc pas bien et tout le reste va en pâtir. Lorsque l’homme est à son travail, il pense à son travail et c’est à peu près tout. Lorsqu’il fait cuire des pâtes, il pense à ses pâtes et c’est à peu près tout. C’est sa force particulière et en même temps sa faiblesse. L’homme qui s’est disputé avec sa femme le matin, va travailler et peut-être même se jeter dans le travail sans penser à la dispute et même au risque de ne plus faire que cela en oubliant de soigner la dimension affective qui lui a posé problème. La femme, elle, aura tendance à ne pas pouvoir se concentrer sur son travail parce qu’elle est tiraillée par son devoir professionnel et sa blessure affective. Je caricature évidemment mais c’est seulement pour faire ressortir certains traits plus typiquement féminins ou masculins. Si la sensibilité de la femme a été perturbée, sa psychologie l’est aussi, le rythme de sa pensée l’est aussi, le rythme de son corps l’est aussi. En bref, le rythme de son amour — c’est-à-dire de son principe de mouvement qu’est l’amour comme le dirait saint Thomas d’Aquin —, l’est aussi.
Comment réconcilier alors le rythme féminin et le rythme masculin ?
Le rythme de la femme est plus lent que celui de l’homme, et il faut donc qu’elle prenne et qu’on lui accorde plus de temps pour un épanouissement et une fécondité plus grande. Le corps de la femme parle lui-même : Bergson aurait probablement attiré notre attention sur la grâce qui s’y dessine harmonieusement en même temps que la courbe. Dans la figure du mouvement intérieur, continu et lent, l’on devine un mouvement encore à venir tout prêt à accueillir l’homme qui lui, « donne sens à la valeur éternelle de l’instant », comme le souligne Gertrud Von Le Fort dans La femme éternelle. Il est certain que le rythme de l’amour paradigmatique de tout amour qu’est l’amour sponsal est fondé sur le rythme plus continu et lent de la femme, sur le rythme de son mouvement à elle dont le principe est amour comme pour l’homme. Certes, dans les relations entre époux, si l’homme ne prend pas l’initiative, il ne se passe rien ; mais si la femme n’est pas prête à recevoir, ça ne fonctionne pas non plus. Si elle s’adapte facilement, il est un fait de nature que c’est l’homme qui doit trouver les moyens de faire coïncider son propre rythme plus rapide à la lenteur du rythme féminin. « Ce qui est reçu est reçu selon le mode du récipient », de celui qui reçoit, déclare encore Thomas d’Aquin, Doctor Humanitatis. En ce sens, c’est d’abord le rythme de la femme qui commande à l’amour sponsal, qui se trouve au fondement de toute fécondité qui en découle et est donc au fondement de toute société. Pour nous femmes, c’est d’ailleurs très rassurant parce que toute société qui se veut fonctionner à un rythme trop rapide qui ne nous convient pas est vouée à la disparition.
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Tout cela, la femme et l’homme ont besoin de le connaitre. Mais en raison d’un rapport plus intime à elle-même dans chacune de ses dimensions, la connaissance de soi-même répond chez la femme à un besoin plus évident que chez l’homme. Mieux se connaitre, c’est pouvoir mieux se posséder, c’est pouvoir mieux intégrer ses dynamismes spontanés à la hauteur de sa dignité, c’est pouvoir mieux s’autodéterminer, c’est pouvoir mieux exercer sa liberté. Mieux se connaître, c’est pouvoir mieux recevoir et donner, pour mieux aimer.