Après sa prise de possession du titre de premier et unique chanoine d’honneur de la basilique de Saint-Jean-de-Latran le 26 juin 2018, le président français Emmanuel Macron s’est adressé à la communauté française liée au Vatican. Dans la salle des Empereurs du Palais du Latran, il a rappelé le “lien particulier” entre la France et le Vatican. Voici l’intégralité de son intervention.
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“Je suis très heureux que nous nous retrouvions dans ce lieu un peu particulier. Me trouver devant vous aujourd’hui, c’est acter un moment un peu à part, d’une visite un peu à part. Et pouvoir retrouver la communauté ecclésiastique française présente ici au Vatican, c’est aussi partager aussi un peu de cette singularité. Et je le fais à un moment, à l’issue de ce voyage qui est peut-être, je ne le sous-estime pas, une torture pour certains d’entre vous parce que nous sommes au début du match de l’équipe de France dans ce Mondial au moment où je commence à m’exprimer devant vous, la 19e minute était en train de s’ouvrir. Il y avait toujours zéro à zéro et des mauvaises langues étaient en train de me dire avec une légère domination danoise. Sur ce sujet, il est permis d’avoir de la mauvaise foi. Nous serons donc qualifiés, mais je l’espère dans les meilleures conditions et dès après cette cérémonie, nous pourrons voir au moins la deuxième mi-temps.
Je vous remercie d’avoir été présent pour cette cérémonie et d’être dans cette basilique dont les premiers fondements au IVe siècle, dont nous avons rappelé à l’instant avec Son Excellence, qui m’a fait l’amitié de ce tour, l’importance et le statut un peu à part dans l’Église. Et c’était aussi l’occasion de rappeler le statut un peu à part, ou le lien un peu à part, de la France avec l’Église catholique. Et je remercie l’ensemble de la délégation, le ministre d’État, ministre de l’Intérieur et donc en charge des cultes, le ministre des Affaires étrangères, les parlementaires, et l’ensemble de la délégation qui ont accepté depuis ce matin d’être à mes côtés.
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Je tiens à ce lien un peu particulier, et ce lien un peu particulier est tout à la fois le fruit de notre histoire, que nous avons eu l’occasion de rappeler tout à l’heure, est parfaitement compatible avec la France contemporaine que nous connaissons. Parce que l’histoire de la France fait que la République a construit son aventure un peu particulière avec l’ensemble des religions, mais je dirais plus spécifiquement avec l’Église catholique. La séparation de l’Église et de l’État, c’est la reconnaissance d’un ordre temporel et d’un ordre spirituel, c’est la reconnaissance qu’il y a sur les affaires politiques une spécificité complète, que l’ordre politique est établi, que les lois ne sont décidées que par ceux qui représentent la souveraineté du peuple. Mais c’est de permettre à chacun au sein de la Nation de croire et de ne pas croire.
Et donc c’est aussi de donner à chacun, en respectant les règles de la République dans sa vie de tous les jours d’avoir ce rapport à la spiritualité. La laïcité française, qui parfois est un mystère — nous en avons longuement parlé ce matin avec le pape François — ça n’est pas la lutte contre une religion. C’est un contre-sens. C’est une loi de liberté, c’est la liberté de croire et de ne pas croire, c’est donc la possibilité pour chaque individu de croire absolument, résolument, et je n’ai pas à le qualifier ni à en connaître [la nature] en tant que chef d’État. Mais d’être dans sa religion à condition que chacune et chacun, quelque soit sa religion, sa conviction ph ilosophique ou pas, soit pleinement dans la République pour ce qui est des affaires de celle-ci. Et c’est pourquoi je crois très profondément que ce lien particulier qu’a la France avec l’Église catholique est compatible — y compris la cérémonie que nous venons de vivre — avec la séparation de l’Église et de l’État. La laïcité, ce ne serait pas une pudibonderie contemporaine qui consisterait à dire : “ne me parlez pas de religion, cachez cette religion ou cette croyance que je ne saurais voir”. Elle est partout dans la société. Et nous en avons anthropologiquement, ontologiquement, métaphysiquement besoin. Certains ont ce besoin dans des convictions philosophiques, d’autres dans un agnosticisme revendiqué. Mais cela est là.
Et donc ma présence ici avec l’ensemble des membres de la délégation, et le fait d’être présent dans ce lieu multiséculaire avec vous, témoignent de ce “en même temps” compliqué. La deuxième chose qui fait ma satisfaction de vous avoir à mes côtés et d’être devant vous aujourd’hui, c’est que je crois qu’on ne construit rien de solide dans un monde en bouleversement profond, où des changements sont radicaux, quels que soient les sujets, que ce soit économique, politique, géopolitique sociétaux. Regardez le monde dans lequel on vit où tout est bousculé, tout. Les repères dans lesquels nous pensions vivre et que nous croyions intangibles sont profondément percutés. Nous ne pouvons pas avancer si nous ne savons pas d’où nous venons et quelles sont nos racines profondes, nos traditions avec leurs histoires, et donc le lien particulier qu’il y a aussi entre la République française et le Vatican, c’est une part de cette histoire. Une part de l’histoire de la France, de ce qui l’a faite, de son socle, de ses origines. Elle n’est pas exclusive, elle s’est modifiée à travers le temps y compris à travers des combats politiques comme celui que je rappelais à l’instant.
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Mais oublier ses racines ou ne pas vouloir les voir, c’est en tous cas s’assurer à peu près qu’on ne peut pas regarder le présent et ses tourments avec la force de ce qui nous a fait. On peut accepter beaucoup de choses, on peut penser beaucoup de choses, et avoir une action courageuse à condition de savoir d’où on vient et ce qui nous fait. Quels sont les fondements philosophiques, religieux de nos sociétés, qui sont là, c’est une réalité. Les luttes et l’histoire font qu’on s’en est émancipé et que le lien entre l’État français, la République n’est pas celui avec la religion catholique comme il y a 200 ou 300 ans. Mais ces racines sont là, et ne pas vouloir voir ces racines, les penser, les intégrer, pas simplement pour garder un héritage mais pour comprendre ce que nous sommes, c’est se prédestiner à ne pouvoir, avec beaucoup de force et de calme, saisir les défis contemporains.
Et que nous parlions de tous les sujets qui fâchent, ce que nous avons fait ce matin avec Sa Sainteté le Pape, les lois bioéthiques qui arrivent en France, des relations avec les religions, du sujets des migrants, des sujets géopolitiques qui me préoccupent, c’est à chaque fois le faire en tenant cette tension entre notre histoire contemporaine et notre tradition en sachant aussi ce qui nous a constitué. En connaissant nos accords et nos désaccords, mais en cherchant ce qu’il y a de non-négociable dans ce qui nous fait. Que ce qui est non-négociable nous est commun. La considération pour la personne et la dignité de chacun, la volonté de respecter les lois comme un absolu, un certain goût de l’universel. Il y a peu de lieux comme le Vatican où on pense le monde et où tout le monde est convoqué. Et il y a peu de pays comme la France où l’on prétend penser le monde et où le monde aussi est convoqué. Nous avons en commun ces principes. Et dans des moments où tout peut nous faire basculer dans le repli, le doute, le retranchement et le ressentiment, savoir ce qu’il y a de non-négociable dans nos principes est, je crois, essentiel.
Je dis cela, sans naïveté, aucune, en connaissant le quotidien du pays que j’ai aujourd’hui à présider, et que le gouvernement administre. Sa Sainteté le pape François à plusieurs reprises est revenu sur ce chemin difficile. Nous ne parlons pas de ces principes comme étant sur des éthers. Non. Ils sont évidemment difficiles chaque jour parce qu’ils sont bousculés chaque jour par les violences contemporaines des inégalités que nous vivons. Et c’est tout cet art de la précaution qui va avec cet art de gouverner. L’art de la précaution dont il a parlé à plusieurs reprises, ça n’est pas se calfeutrer dans le refus du monde, dans la volonté de ne pas voir ou de ne pas toucher, c’est l’inverse. C’est l’humilité qui consiste à savoir que, tout en étant profondément attaché à ces principes, nous savons qu’il faut accepter la part de réel : les peurs, les imperfections, les chemins un peu difficile. Mais une chose est de vouloir et d’agir avec humilité en sachant que ça ne satisfait pas forcément tout le monde, mais en en connaissant le cap, mais une autre est de vouloir revenir sur ses principes.
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C’est aujourd’hui ce combat qui parcourt notre Europe. En étant présent devant vous aujourd’hui, j’ai conscience d’être dans ce dialogue un peu singulier qui a fait notre histoire et que nous avons eu ce matin avec Sa Sainteté le pape François. Celui qui est le fruit d’une série de tensions fécondes, d’un dialogue libre, franc que nous avons eu et d’une amitié profonde. Cette tension entre la tradition et la modernité contemporaine. Cette tension entre les principes auxquels nous croyons, sur lesquels nous ne nous opposerons jamais qui unissent la France et le Vatican et les difficultés contemporaines, les doutes, les peurs qui étreignent le monde. Dans le moment que nous vivons, ne pas maintenir cette tension c’est commettre une erreur. C’est pourquoi ce dialogue est à mes yeux si important. C’est choisir les principes sans main, la petite morale, ou c’est choisir la renonciation à nos valeurs, le cynisme et la violence.
Je crois qu’il y a un chemin qui, fort de nos valeurs, est celui qui consiste à embrasser le réel. Le saisir, essayer de corriger chaque jour un peu en étant conscient que cette correction de chaque jour n’est jamais suffisante, mais qu’il y a un chemin. Dans ce dialogue unique qu’il y a entre la République française, la France, et le Vatican, c’est aussi le dialogue qu’il y a entre les imperfections quotidiennes de l’art de gouverner et une spiritualité qui accompagne chacun.
Nous avons besoin de ce dialogue, qui n’est pas un dialogue de leçon de l’un à l’autre, qui ne doit jamais être un dialogue d’incompréhension ou de non-dits, mais qui impose en permanence l’échange, la compréhension, ce qui fait notre histoire.
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Nous sommes ici dans un lieu nous avons vu il y a quelques instants la statue d’Henri IV qui a reconnu la conversion d’un roi et sa volonté de réconciliation à un moment où tout était fracturé en Europe et en France en particulier. Tout le monde en doutait, on lui disait que c’était impossible. Ses plus proches conseillers lui disaient que c’était une imbécillité de le faire, et il l’a fait. Au cœur même de l’église, au cœur du cœur, non seulement de la plus vieille mais [aussi] de la plus grande des églises de Rome, on lui a donné ce titre, j’en ai rappelé tout à l’heure l’histoire. On lui avait donné ce titre à lui qui n’était pas le meilleur des catholiques. Qui n’était pas le meilleur exemple, dont les sobriquets manifestaient quelque chose qui ne reprenait pas totalement l’idée qu’on se fait d’un tel statut. Précisément parce qu’il a assumé cette tension au moment où il l’a fait. Parce que avec l’édit de Nantes, le choix de cette réconciliation, il l’a fait pour la France et pour l’Europe. Le choix de reconnaître une part de tradition qui faisait son royaume et d’accepter le déséquilibre historique, éthique, personnel de sa situation.
Dans les moments tragiques de l’histoire on ne vit qu’en déséquilibre. Dans le dialogue que nous avons à nouer en particulier avec l’Église catholique, c’est le dialogue de déséquilibre fécond, l’instabilité aimée, qu’il faut préserver. Ces deux jambes ne sont jamais les mêmes. Peut-être que parfois cela claudique et d’autres fois ça court. Celui qui est stable n’avance plus, celui qui accepte l’insécurité, l’intranquillité dans ces moments critiques aide à avancer, sans doute.
Nous aurons beaucoup de temps intranquilles devant nous, mais nous n’avons pas choisi. L’évolution de la société est ainsi faite. Ce qui en ce moment est un défi pour l’Europe parce que c’est une crise politique et un défi pour l’Europe : la grande crise migratoire que nous connaissons à travers, à la fois la Méditerranée, les Balkans, et l’Espagne. C’est l’interrogation qui est faite à nous-mêmes de savoir comment nous nous pensons, comment nous pensons notre histoire et notre avenir et quelle place nous voulons donner à l’autre dans nos sociétés. Ni plus ni moins. Je passerai encore beaucoup de jours, de nuits et de mois à trouver des solutions techniques avec mes collègues. Mais au fond la question essentielle n’est que celle-ci. Elle ne se résout ni dans la dissolution absolue de ce que nous sommes, ni dans le rejet absolu de l’autre mais dans un chemin qu’il nous faudra trouver si nous voulons que l’Europe tienne.
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Les doutes que nos sociétés ont devant les changements technologiques, les transformations sociétales, ils sont là. Ils imposent d’une part de savoir quelle est la grammaire fondamentale que nous voulons continuer à faire respecter mais aussi de savoir reconnaître la part de chacun dans la société. Les changements climatiques, technologiques, je ne serai pas exhaustif aujourd’hui. Tous ces sujets sont des sujets que nous ne saurons traiter de manière simple, naïve et immédiate. Ils imposeront ce déséquilibre, ce décentrement, cet inconfort.
Alors Mesdames et Messieurs, vous êtes ici avec une part de France en ce lieu un peu particulier du monde. Et dans ces temps qui s’ouvrent avec une responsabilité sans doute un peu particulière. Je souhaite que la France dans ces moments de doutes joue son rôle, qu’elle joue sa part. Celle d’être un pays qui a toujours eu ce rapport à l’universel que j’ai évoqué il y a un instant et que nous essayons d’apporter notre réponse à ces défis contemporains. Parce que nous avons un peu le monde chez nous et que tant que l’on apportera pas ces réponses, nous ne saurons pas vivre avec nous-mêmes. J’y mettrai toute mon énergie, le gouvernement, l ‘ensemble des parlementaires aussi.
Il faut regarder les choses avec humilité, nous ne réglerons pas tout. Mais nous essaierons de trouver un chemin et d’avancer. Dans ces moments-là, votre présence ici est toute particulièrement importante. D’abord pour porter un peu de ce message et de porter cette ambition française ici au Vatican mais également pour poursuivre le dialogue, l’échange, la controverse, la discussion, le cheminement conjoint. Parce que nous ne pouvons dans ces temps qui adviennent, choisir le silence ou accepter les malentendus. Cela prendra parfois un peu de temps, mais nous y arriverons. Je vous donne cette double responsabilité, celle de porter un peu de ce projet français et celle aussi d’avoir cette responsabilité de dialogue, cette capacité de poursuivre ce chemin.
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La France l’a vécu ces derniers mois, et ces dernières années, les catholiques en France ont su poursuivre ce chemin difficile, ont su ne pas tomber dans le repli dans le doute ou le repli. Après les terribles attentats et l’assassinat du père Hamel les catholiques ont été exemplaires. Ils sont sollicités à nouveau mais le dialogue que nous avons encore entre le Vatican et la France est en cette période indispensable, si nous ne voulons pas céder aux peurs, et si nous ne voulons pas nous réfugier dans l’irénisme.
Voilà quelques convictions parcellaires, imparfaites et au-delà du texte qui m’avait été fait, mais que je n’ai pas du tout suivi. Je voulais vous livrer après cette journée dense, très forte et pour moi très émouvante, les échanges que j’ai pu avoir. Vous avez donc chacune et chacun un peu de ce mandat et ne le mésestimez pas. En plus de vos tâches ici en vos qualités et fonctions je vous demande un peu de porter de ce message de la France et de poursuivre et d’entretenir ce dialogue indispensable. Je compte sur vous pour cela et je vous remercie d’être là et de poursuivre, et je reviendrai — vous l’avez compris — mais nous allons continuer à cheminer ensemble.